Invisibles

« On n’entend pas parler de nous, des petits personnels de l’ombre qui font tourner l’hôpital »

Invisibles

par Solani Bourébi

Paul (le prénom a été changé) est technicien dans un hôpital public en Nouvelle-Aquitaine. Depuis le début de la pandémie, il s’assure du bon fonctionnement du matériel informatique utilisé par le personnel médical dans tous les services. Malgré les risques encourus, Paul ne sait pas encore s’il aura droit à la prime, plafonnée à 500 euros pour les non-soignants. Il témoigne pour Basta!.

« Je travaille dans le milieu hospitalier depuis presque 12 ans. J’ai commencé en tant qu’électricien, puis je suis devenu informaticien. Qu’on soit ouvrier ou technicien à l’hôpital, on se sent souvent invisible. Depuis le début de la crise, on n’entend pas parler de nous, des petits personnels de l’ombre qui font tourner l’hôpital, et qui sont aussi en contact avec les patients et les soignants. Pourtant, si le personnel médical peut travailler c’est aussi grâce à nous.

Tous les jours, je mets en place, je dépanne et m’occupe de la maintenance des équipements informatiques qu’utilisent les soignants, que ce soient les ordinateurs fixes, portables, ou sur chariot, les imprimantes, les tablettes et les téléphones. D’une part, je gère une équipe de prestataires chargés du dépannage, d’autre part je travaille sur l’ouverture de nouveaux services hospitaliers, et l’installation du matériel. J’interviens dans tous les services hospitaliers car ils ont tous besoin d’équipement informatique.

Pendant la pandémie, l’activité au travail a fortement augmenté. La région a été assez épargnée par le Covid, mais on a eu des cas, notamment des patients qui sont arrivés de Paris et du Grand-Est. On a eu affaire à plein de demandes qu’on n’a pas l’habitude de traiter, et on a dû ouvrir des services liés au Covid. J’ai notamment installé l’unité de dépistage, ainsi que le matériel informatique des urgences qui ont été aménagées pour accueillir les patients adultes. Il a aussi fallu installer des laboratoires qui demandent des ordinateurs en plus pour prendre en charge des analyses, du matériel étanche plus facile à désinfecter, maintenir les logiciels des services Covid et les ordinateurs et téléphones des personnels en télétravail et téléconsultation.

Ça représente beaucoup de travail pour peu de personnels. Beaucoup de prestataires se sont mis en arrêt, donc on travaille en sous-effectif. Malgré ça, il faut trouver le moyen de coordonner les différentes unités du service informatique, et gérer les demandes des soignants. On intervient régulièrement dans les services Covid, plus pour installer et maintenir des équipements. Le risque de contagion est là. Si je vais dépanner un ordinateur aux urgences, ce matériel aura peut-être été utilisé pour faire une consultation Covid. L’infirmière aura manipulé un patient, tapoté sur le clavier de l’ordinateur, et moi je passe derrière pour le dépannage.

« Il est déjà arrivé qu’on nous réprimande parce qu’on portait des masques »

Depuis le début de la crise, la direction hospitalière ne nous informe pas des comportements à adopter. Comme nous ne faisons pas partie du personnel soignant, on n’a même pas droit à une note d’information sur les mesures sanitaires spécifiques à notre métier. On est complètement livrés à nous-même, et on fait comme on peut pour désinfecter et se protéger : on respecte les mesures barrières, on utilise du gel hydroalcoolique, et on en met un peu sur les claviers et les équipements. Mais même lorsqu’on se débrouille pour récupérer des protections, ça ne va pas. Il est déjà arrivé qu’on nous réprimande parce qu’on portait des masques alors qu’on sortait d’un service Covid. On nous a fait comprendre que ce matériel était uniquement destiné aux soignants.

Aujourd’hui encore, on n’arrive pas à obtenir de masques, malgré les demandes. Il faut à chaque fois prévenir le responsable de service de notre arrivée avant une intervention, afin qu’il mette à disposition ce qu’il faut. On a réussi à récupérer officieusement quelques masques, mais ils sont périmés depuis deux ans, et les élastiques se déchirent. Tous les services ont manqué et manquent de protections sanitaires. Les personnels des services de nettoyage comme des services de soin travaillent avec très peu de matériel, s’il n’est pas déjà périmé.

Le Covid a fait que tout est devenu plus stressant. Entre les situations d’urgence à gérer, et le manque d’information, on se retrouve dans des situations où il est parfois difficile de travailler en sécurité. Tout le monde est débordé, court dans tous les sens, et au final il y a des moments qui coïncident mal. Dans ces conditions, il se peut qu’un technicien non protégé intervienne dans un service à côté d’un patient potentiellement positif. Un jour, je me suis retrouvé en tenue de civil dans un service Covid, entouré de patients, et de soignants en combinaison complète. Je devais livrer du matériel, et le responsable du service m’avait donné le feu vert pour entrer sans équipements. Quand je lui ai demandé des explications, il m’a répondu qu’il était détaché du site, et qu’il ne connaissait pas vraiment les protocoles à appliquer.

C’est un climat assez anxiogène. Vous en venez à vous inquiéter du moindre symptôme, vous vérifiez votre température dès que vous vous levez avec un mal de tête. Quand on travaille en période de Covid, on se pose tout le temps des questions.

« Ce n’est pas une prime ponctuelle qui aidera l’hôpital et son personnel »

Malgré le déconfinement, la charge de travail n’a pas vraiment changé. L’hôpital a repris les consultations, donc les patients reviennent, et il a aussi fallu relancer les travaux de rénovation. On sait que la maladie est toujours là, mais conscience professionnelle oblige, les informaticiens, et l’ensemble du corps ouvrier, continuent de travailler pour les soignants et les patients.

Parce que je ne suis pas soignant, je n’aurai sans doute pas droit à plus de 500 euros de prime. J’étais content d’être actif quand tout le monde était confiné. Honnêtement, je me suis senti utile. Mais au vu de la charge de travail et des risques, 500 euros c’est léger. Cette prime, c’est question de montrer que le gouvernement fait quelque chose. On a commencé à manifester bien avant la crise sanitaire parce que l’indice de nos salaires est gelé depuis presque 12 ans. Ce n’est pas une prime ponctuelle qui aidera l’hôpital et son personnel.

Quand on est ouvrier ou technicien à l’hôpital, on n’est pas considéré comme prioritaire. Les directions hospitalières ont tendance à imaginer qu’on ne met jamais les pieds dans les services touchés, ce qui est bien évidemment faux. Tous les services ont besoin de faire maintenir le matériel, et les informaticiens, électriciens, serruriers, mécaniciens, plombiers, peintres, maçons interviennent partout. Actuellement, on cumule les heures supplémentaires, les journées à rallonge, les pauses déjeuners annulées, et on arrive au bout de notre énergie.

Qu’on ait 1500 ou 500 euros de prime, ce n’est pas ce qu’on demandait à la base. C’est ridicule par rapport au travail effectué par les personnels hospitaliers, et ce n’est pas ce dont l’hôpital a besoin. »

Propos recueillis par Solani Bourébi