Fausses promesses

Prime de 1000 euros : les employés de la grande distribution n’y auront pas tous droit

Fausses promesses

par Solani Bourébi

La prime exceptionnelle de 1000 euros promise par les dirigeants de la grande distribution sera finalement mise en œuvre avec des critères restrictifs, jugés inégalitaires et discriminants par de nombreux salariés.

Le ministre de l’Économie Bruno Le Maire a encouragé les entreprises à verser une prime exceptionnelle aux employés sollicités en période de Covid-19. Créée en décembre 2018 afin de répondre au mouvement des Gilets Jaunes, cette prime défiscalisée a été assouplie et revalorisée par ordonnance le 1er avril 2020 pour récompenser, tout autant que mobiliser, les salariés dont le travail est « essentiel ». D’abord fixée à 1000 euros net, cette prime peut désormais monter jusqu’à 2000 euros, sous conditions, et au prorata du temps de travail. Il revient aux employeurs de sélectionner les employés qui en bénéficieront.

Les dirigeants des enseignes de la grande distribution avaient défilé sur les plateaux télés, une semaine après le début du confinement, pour annoncer la mise en place de cette prime. L’un des premiers à avoir répondu à la sollicitation de Bruno Le Maire, le groupe Auchan – propriété de la famille Mulliez, 5e fortune française avec 32 milliards d’euros [1] s’est finalement ravisé sur les conditions d’attribution de la prime. Parmi les 65 000 collaborateurs d’Auchan, seuls les salariés qui réalisent plus de 28h par semaine percevront la prime de 1000 euros. Pour tous les autres, elle sera calculée au prorata, malgré les risques encourus. Presque 300 euros en moins pour les contrats de 25h semaine, et une prime qui ne devrait pas dépasser les 50 euros pour les contrats inférieurs à 10h, souvent occupés par les étudiants et les personnes en situation d’invalidité.

Ces critères sont jugés inégalitaires et dénoncés par les employés d’Auchan dans une pétition en ligne adressée au gouvernement, et à la direction du groupe. « Ce prorata est révoltant puisque nous sommes en première ligne face au virus, et, quel que soit le contrat des salariés, le virus ne fait pas de distinctions et peut frapper exactement de la même manière », lit-on sur la plateforme de pétition, qui a rassemblé 19 000 signatures.

Le 16 mai, les employés d’un hypermarché Auchan à Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne) ont quitté caisses et rayons en scandant « Auchan nous a trahis ! », et forçant le magasin à fermer ses portes. Une trentaine d’employés se sont mis en grève dans la foulée.

« Les règles d’attribution de la prime annoncées le 10 avril sont profondément discriminantes »

Alors qu’Auchan maintient qu’aucune décision officielle n’a été prise, et que les discussions avec les partenaires sociaux sont toujours en cours, d’autres groupes de la grande distribution semblent adopter les mêmes directives. Chez Leclerc comme chez Casino, et la majorité des chaines franchisées, seuls les salariés des entrepôts et des plateformes logistiques sont certains de recevoir la prime de 1000 euros. Le versement d’une prime pour les caissières et les employés de rayon dépendra du bon vouloir des directeurs de magasins. Là encore, aucun groupe n’a encore officiellement tranché sur la question. Le PDG de Carrefour, Alexandre Bompard, a cependant assuré fin avril, sur BFM TV, que la prime serait de « 1000 euros net, non-conditionnelle, et non-proratisée au temps de travail, pour tous les collaborateurs présents pendant la période » [2].

Interrogée sur France info, Laurence Gilardo, déléguée syndicale FGTA-FO à Casino, témoigne du désarroi des salariés qui s’inquiètent de savoir s’ils pourront bénéficier de la prime exceptionnelle tout en continuant à travailler : « Ils ne savent plus s’ils vont pouvoir l’avoir dans leur intégralité ou partiellement. Et il y a toute sorte de rumeurs, notamment que les salariés en rayon ne toucheront pas la prime parce qu’ils ne sont pas directement exposés aux clients. »

Depuis le début de la crise sanitaire, les syndicats se sont mobilisés pour alerter sur les risques encourus par les 700 000 employés de la grande distribution, souvent forcés de travailler avec des protections sanitaires insuffisantes. Pour la CFDT : « Les règles d’attribution de la prime annoncées le 10 avril sont profondément discriminantes et inspirent un réel sentiment d’injustice pour beaucoup de salariés, qui se sentent floués. »

Solani Bourébi

 Pour signer la pétition : MesOpinions