Dieldrine

Des pesticides ultratoxiques et interdits depuis 30 ans continuent de polluer nos légumes

Dieldrine

par Nolwenn Weiler

Massivement utilisée avant son interdiction en 1972, totalement prohibée depuis 1992, la dieldrine demeure présente dans des sols agricoles aux quatre coins de la France. Une véritable entrave au développement de l’agriculture bio.

Quand elle a découvert la pollution de ses légumes à la dieldrine, un insecticide très toxique pour l’être humain, Delphine est tombée de sa chaise, incrédule. Maraîchère bio, elle peinait à comprendre comment cet insecticide interdit en agriculture depuis 50 ans, et qu’elle n’a jamais utilisé, pouvait se retrouver dans ses productions. Puis, elle s’est heurtée au silence des diverses institutions qu’elle a contactées. Comme si personne ne savait rien.

Le problème est pourtant connu de longue date, si l’on en croit plusieurs témoins qui nous ont contactés à la suite de la publication de l’histoire de Delphine, en avril 2023.

Le produit en cause, la dieldrine, est un insecticide de la famille des organochlorées (la même que le DDT), utilisé en arboriculture, en viticulture, en horticulture et en grandes cultures pour lutter contre des insectes et certains champignons. La dieldrine est interdite en 1972 en agriculture, et totalement prohibée depuis 1992, quels que soient les usages.

Un problème connu depuis longtemps

Prenons l’exemple de Gilles, technicien pour un groupement d’agriculteurs bio dans le sud-ouest de la France. La première fois qu’il entend parler de problèmes de résidus de dieldrine dans des légumes, c’est dans les années 1980. Les alertes n’ont jamais cessé ensuite, jusqu’à la fin de sa carrière, en 2017. « C’était toujours plus ou moins les mêmes circonstances, évoque-t-il. Des acheteurs de légumes, souvent des grossistes belges et parfois allemands faisaient des analyses des productions et trouvaient des doses de dieldrine qui dépassaient les limites maximales de résidus (LMR). On avait surtout des problèmes avec les courgettes, qui captent facilement la dieldrine. Mais cela arrivait aussi avec les concombres et, parfois, les carottes. »

Extrait de la fiche sur les dangers de la dieldrine réalisée par l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS).
Dieldrine : un poison
Extrait de la fiche sur les dangers de la dieldrine réalisée par l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS).

« Les parcelles bio peuvent être polluées par des pesticides organochlorés (tels que la dieldrine, ndlr) puisque ces molécules perdurent dans la terre bien au-delà des deux années de la reconversion bio », avertit pour sa part l’Institut suisse de recherche sur l’agriculture biologique. Jamais utilisée en agriculture biologique, la dieldrine a été largement épandue dans les champs « conventionnels » jusqu’à il y une trentaine d’années, notamment sur les zones maraîchères, arboricoles et céréalières. « Les vieux agriculteurs disaient qu’ils en balançaient des quantités à l’époque pour assainir les sols, évoque Gilles. Résultat : il en traîne dans tous les vieux sols maraîchers. » Mais aussi dans bon nombre de légumes, apparemment.

« On retrouve d’autant plus les polluants qu’on les cherche », ironise Gilles, qui se souvient avoir croisé des labos qui avaient arrêté de chercher la dieldrine, mais aussi d’autres pesticides, parce qu’ils en retrouvaient toujours, souvent au-delà des limites autorisées. « Ces résidus sont très problématiques pour le bio, mais on doit également en retrouver dans légumes conventionnels », souligne Gilles.

Les courges bio ne sont évidemment pas les seules à pomper les polluants qui demeurent dans le sol. Mais, tenus de se conformer à un cahier des charges très précis, les agriculteurs bio et les produits qu’ils vendent sont beaucoup plus contrôlés que leurs collègues conventionnels. « Ce serait intéressant de tester des légumes non bio, et de voir ce qu’il y a dedans », avance Julien Hamon de la Confédération paysanne du Morbihan, qui a suivi le dossier de Delphine.

Une vigilance inégale

Que faire face à cette pollution ? Pour éviter les déconvenues, « il est recommandé de clarifier une fois pour toutes si la parcelle est polluée par des pesticides organochlorés, en faisant une analyse de terre avant de cultiver pour la première fois des cucurbitacées. Cela permet aux producteurs de garantir facilement des récoltes non contaminées et de se prémunir à peu de frais contre les pertes », suggère l’Institut de recherche suisse dès 2012, soit dix ans avant que Delphine ne découvre, par hasard, cette problématique… « Si une parcelle est polluée, on oublie la production de courges dessus », appuie Gilles, qui pense qu’il faudrait systématiser les analyses de sols avant que les jeunes maraîchers s’installent. La Fédération nationale des agriculteurs bio (Fnab) partage son avis. Pour le moment, rien de tel n’est prévu en France.

La vigilance est inégale sur le territoire. Dans la Sarthe, c’est l’expérience professionnelle d’un technicien maraîcher, Frédéric, qui a rendu le groupement des agriculteurs bio attentifs à cette problématique. Frédéric a en effet travaillé sur la pollution des sols au sein du bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) [1]. « Lors des formations que je délivre, je conseille de faire des analyses de sol dans les parcelles où il y a eu du maraîchage, de la viticulture ou de l’arboriculture, détaille-t-il. Parce que ce sont des cultures sur lesquelles on épand beaucoup de pesticides quand on est en conventionnel. »

Au-delà d’une certaine teneur en dieldrine, il déconseille carrément l’installation, car les risques d’absorption du toxique par les légumes sont trop élevés d’après lui. « S’il s’avère lors d’un contrôle que les produits sont contaminés, les maraîchers vont devoir détruire leurs cultures et ils vont perdre leur certification bio, explique-t-il. Ils peuvent difficilement prendre ce risque. » L’histoire de Delphine, livrée à elle-même après la découverte de la contamination de ses terres et aujourd’hui sans revenu, lui donne plutôt raison.

Que faire quand les terres sont contaminées ?

Cécile a également découvert que le coin où elle produit des plantes ornementales, dans la Sarthe, est largement contaminé à la dieldrine, quand des analyses ont été réalisées sur des terres voisines. « Une parcelle s’est libérée juste à côté de la mienne et des maraîchers voulaient s’y installer. Je me réjouissais d’avoir des collègues si proches. Mais la présence de dieldrine sur les terres qu’ils convoitaient a rendu leur installation impossible, regrette-t-elle. Aujourd’hui, ils continuent à chercher des terres. »

La productrice a découvert que ses propres parcelles contenaient de la dieldrine, et notamment celle qu’elle prévoyait de prêter à sa sœur pour faire pousser… des courges ! « Elle fait du maraîchage et manquait de terres, cette parcelle ne me servait pas, je pouvais la mettre à sa disposition. Mais quand on a vu à quel point les courges peuvent pomper de la dieldrine, on a décidé de renoncer à cette parcelle pour cette culture. »

D’où vient donc la dieldrine présente dans les terres de Cécile ? Impossible à dire précisément. « Mes terres sont une ancienne zone maraîchère, créée à la fin des années 1970. Mais la dieldrine a été interdite en 1972. Les épandages datent sans doute d’avant, de grandes cultures comme le maïs par exemple, évoque Cécile. Mais on ne sait pas trop. » Pour elle, qui produit des plantes ornementales, l’impact est limité. « Je me sers de terreau, et suis donc hors-sol », dit-elle.

Mais elle se pose tout de même de nombreuses questions concernant les risques pour la santé et les possibilités de dépollution. « Je serai intéressée d’avoir une cartographie précise, pour identifier les endroits où je peux cultiver. Via une IEM par exemple. » IEM signifie « interprétation de l’état des milieux ». C’est une analyse poussée des sols, de l’air et des végétaux. Problème : cela coûte environ 10 000 euros. 

Les nombreuses questions qu’impose la découverte d’une contamination à la dieldrine et l’absence totale de soutien technique, administratif et financier font que beaucoup de gens – agriculteurs, pouvoirs publics, laboratoires d’analyses, etc. – jouent la stratégie de l’autruche. « Il m’est arrivé de conseiller à de jeunes porteurs de projets de faire des analyses de leurs terres, évoque Gilles. Mais ils m’ont dit non, ils n’avaient pas le temps de s’intéresser à ça. »

Plus inquiétant, le technicien se souvient d’une conversation avec le responsable des pesticides au ministère de l’Agriculture, à propos des résidus de dieldrine. « Le gars me dit “ah non je n’en ai jamais entendu parler”. Je pense qu’il se moquait de moi. Dans toutes les anciennes zones maraîchères, on en trouve, c’est obligé. Ça a été mis sous le tapis. »

« En même temps, si on systématise ces tests, on risque de se retrouver avec beaucoup de parcelles sur lesquelles on ne pourrait pas faire pousser de courgettes », concède Gilles. « Imaginons une ferme de dix hectares où il y aurait de la dieldrine partout… Il faudrait que le maraîcher achète d’autres terres ailleurs. Mais où ? Et à qui ? Ça peut vite devenir très compliqué. »

Nolwenn Weiler

Dessin : Rodho

P.-S.

Certains prénoms ont été changés.

Notes

[1Le BRGM est l’établissement public de référence dans la gestion des ressources et des risques du sol et du sous-sol.