Loi Boutin

Pas de plan de relance pour les mal-logés

Loi Boutin

par Ivan du Roy

La loi de « mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion », présentée par Christine Boutin, a été adoptée le 19 février. Pour les associations intervenant sur le logement, son titre ne correspond pas vraiment au contenu. « Elle contient des dizaines de mesures qui vont aggraver la crise du logement, et favoriser le désengagement financier de l¹Etat », prévient Droit au logement (DAL). La Fondation Abbé Pierre ou le Secours catholique ont déploré en vain « le décalage entre l’étendue des dégâts sociaux que provoque cette crise et l’absence de réponses à la hauteur des enjeux posés. » La loi sert en fait à couvrir l’Etat et les gros propriétaires face à la crise sociale qui s’intensifie.

Photo : © Eric Garault

La mesure la plus révélatrice de ce « décalage » est l’affaiblissement important de la protection des locataires alors que le chômage progresse. Le délai maximum pour procéder à une expulsion est ramené de trois ans (en cumulant les recours, les reports d’audiences, les appels à décision …) à un an. Motif de ce raccourcissement : « Protéger les petits propriétaires qui n’ont que le loyer pour compléter leur retraite », explique Michel Piron, député UMP du Maine-et-Loire et rapporteur du projet de loi. Un petit propriétaire peut connaître de réelles difficultés en cas d’impayés de loyer de son studio ou de son appartement. Que le mauvais payeur soit de bonne ou de mauvaise foi n’y change pas grand chose. Surtout si ces impayés s’éternisent dans de longues procédures juridiques et que le modeste propriétaire n’a pas pensé à souscrire une assurance couvrant les loyers impayés. Les « petits » seraient donc victimes des plus petits encore. La loi va désormais les protéger.

Ce que Michel Piron ne dit pas, c’est que les impayés ne se réglant pas à l’amiable sont très faibles, même s’ils ont progressé depuis 2000 en parallèle à l’augmentation des prix et des loyers immobiliers. Selon l’Agence nationale pour l’information sur le logement, le nombre de procédures judiciaires ne dépasse pas 2% pour 10 millions de locataires, avant la crise sociale en tout cas.

Ce que Michel Piron oublie également de préciser, c’est que ce sont d’abord les gros propriétaires qui vont profiter de cette mesure, donc les riches (rappeler cela devient presque d’une lénifiante banalité avec ce gouvernement). La loi ne fait aucune différence entre le petit propriétaire (qui a besoin de plus de garanties) et le gros. Ces derniers sont les plus nombreux : près d’un quart des adhérents de l’Union nationale de la propriété immobilière (Unpi) possède, par exemple, plus de dix biens immobiliers. La moitié détient plus de cinq maisons ou appartements, hors résidence principale. Pas de quoi être ruiné par un mauvais payeur.

Le cas du couple d’ouvriers ou d’employés à la retraite, louant un appartement dont ils sont péniblement devenus propriétaires pour s’assurer des revenus complémentaires, demeure assez marginal. Selon l’Insee, 93% du patrimoine, notamment immobilier, est détenu par 50% des ménages les plus riches. Ils gagnent un revenu supérieur à 25.000 euros par an. On est loin de la famille à la limite du seuil de pauvreté et plombée par un jeune chômeur qui ne peut plus acquitter son loyer. Quant aux 10% les plus riches, avec un revenu moyen de 86.000 euros par an, ils possèdent à eux seuls près de la moitié du patrimoine hexagonal. Qu’ils se rassurent, ils pourront expulser davantage et plus vite !

Pendant ce temps, l’indice de référence des loyers continue sa progression en 2008 : entre 2% et 3% environ d’augmentation chaque trimestre. Selon la Fondation Abbé Pierre, un demi-million de ménages locataires se trouvent déjà en situation d’impayés. « A la veille de la fin de la trêve hivernale qui, dans le contexte actuel de crise, va encore allonger la liste des personnes contraintes de vivre à la rue », les associations ont demandé la suppression de l’article facilitant les expulsions. En vain. Parallèlement, les députés ont limité le montant des amendes financières que les tribunaux peuvent infliger à l’Etat en cas de non relogement des ménages qui font jouer le « droit au logement opposable » (DALO). Plusieurs dizaines de milliers de familles à la rue dans les prochains mois risquent effectivement de coûter cher.

« Tandis qu’Obama débloque 75 milliards de dollars pour empêcher que 3 millions de familles ne soient jetées à la rue aux USA, le gouvernement français accélère les expulsions, précarise les locataires, vient secourir la spéculation immobilière, et ceux qui en tirent profit », condamne Droit au logement, qui dénonce d’autres aspects de la loi, comme la « privatisation » du logement social.

Plusieurs organisations de jeunesse et collectifs de lutte [1] ont, fin janvier, lancé « dix et une propositions pour sortir les jeunes de la galère du logement ». Ils revendiquent entre autres un gel des loyers. « Les loyers ont atteint des sommets inégalés. Nous demandons donc leur blocage temporaire, pour donner un peu d’air aux locataires. Il est question d’aligner l’indice de référence des loyers (IRL) sur l’inflation. Mais cela ne règlera rien : l’inflation est forte, et les loyers à la relocation ne sont toujours pas encadrés. C’est pourtant là que se concentrent les hausses les plus importantes. Pour les appartements qui ont connu un changement de locataire en 2006, l’augmentation de loyer a été de 7,3 % en moyenne. Bien entendu, ce sont les jeunes, plus mobiles, qui trinquent à nouveau ! » Une revendication qui fait écho à une certaine grève, loin des villes hexagonales, quelque part sous le soleil des Caraïbes. La plateforme du collectif LKP en Guadeloupe exige elle aussi « le gel des loyers pour une période indéterminée » et « l’annulation de l’augmentation de 2,98% pour l’année 2009 », tout en se donnant les moyens de l’obtenir.

Christine Boutin et l’UMP n’ont cependant pas totalement oublié les mal-logés. Les loueurs de logements insalubres seront en théorie davantage sanctionnés. Surtout, le député Patrick Ollier, connu pour ses amendements réactionnaires (contre l’énergie éolienne, contre la loi SRU obligeant les communes situées dans les grandes agglomérations à construire au moins 20% de logement social) a cette fois fait adopter un amendement qui va révolutionner la vie des « exclus » : l’obligation d’installer, dans les cinq ans, des détecteurs de fumée dans chaque logement. Il faudra attendre le décret d’application pour savoir si c’est le locataire ou le propriétaire qui financera les travaux… Grâce à l’amendement visionnaire du député des Hauts-de-Seine, les familles qui vivent dans des logements insalubres, surpeuplés et sans chauffage ne mourront plus dans de trop médiatiques incendies.

Ivan du Roy

Notes

[1AC le Feu, la Cé, Fac verte, Fage, La France qui se lève tôt, Génération-Précaire, Jeudi-Noir, JCR, jeunes radicaux de gauche, jeunes verts, Macaq, MJCF, MJS, MRJC, RAIDH, RéSo, Sud-étudiant, UDB, Unef, et des militants jeunes des Alternatifs, d’Attac, du Modem…