Soulèvements

La rentrée des luttes écologistes : « Il y a quelque chose qui est de l’ordre de la lame de fond »

Soulèvements

par Martin Bodrero

Alors que des records de chaleur ont encore frappé l’Europe, les citoyens engagés dans les luttes écologistes promettent de nouvelles mobilisations sur tous les fronts, contre l’accaparement de l’eau ou des terres.

Les menaces de Gérald Darmanin n’auront pas eu l’effet escompté : dès la rentrée, les mobilisations écologistes reprennent de plus belle. Parmi les multiples rendez-vous : une grande mobilisation le 8 septembre à Niort pour le procès des organisateurs des manifestations contre les mégabassines ; une manifestation « Déroute des routes » contre les projets autoroutiers inutiles le 7 octobre ; une action antinucléaire le 22 octobre devant toutes les centrales de France ; ou encore, au printemps 2024, une assemblée sur le plateau de Millevaches en Corrèze pour défendre les forêts.

Cet agenda d’actions et de manifestations a été annoncé début août sur le plateau du Larzac où se sont retrouvées 7500 personnes et de nombreux collectifs dans le cadre du « festival » Les Résistantes. Cela résonne comme une seconde défaite pour le ministre de l’Intérieur en lutte contre ce qu’il nomme « l’écoterrorisme ». La première a eu lieu le 11 août, avec la décision du Conseil d’État de suspendre la dissolution des Soulèvements de la Terre. Une procédure lancée le 21 juin en Conseil des ministres. « Ni les pièces versées (...) ni les éléments opposés à l’audience (…) ne peuvent être qualifiés de provocations à des agissements troublant gravement l’ordre public », estime l’institution.

Si les juges doivent maintenant se prononcer, à l’automne, sur le fond du dossier, c’est un revers pour le gouvernement. Dimitri, lui, n’a pas le temps de savourer cette victoire juridique, il est déjà tourné vers la prochaine échéance : « Pour le jugement sur le fond, on va appeler à un grand rassemblement à Paris devant le Conseil d’État. » Ces derniers mois, ce militant de la première heure est devenu l’une des voix des Soulèvements de la Terre. « Le gouvernement a pris un retour de bâton. En essayant de nous étouffer, il a amplifié le mouvement », estime-t-il.

« On a tellement de sujets d’indignation »

Lorsqu’on détaille les mobilisations futures auprès des militant.es réuni.es sur le Larzac, Caroline lâche un soupir. « Depuis quelques mois, j’ai l’impression que nous sommes des hamsters dans une roue qui va de plus en plus vite ! » rie-t-elle. Avec Dimitri, elle fait partie de celles et ceux qui animent, depuis le début, les Soulèvements de la Terre. « L’année dernière, à la même époque, on avait cinq pauvres mobilisations prévues, là, y en a des dizaines ! »

Apprendre à « lutter sans se cramer » figure d’ailleurs parmi les ateliers organisés aux Résistantes. Face à l’urgence écologique, aux multiples « fronts » – de l’accès à l’eau en période de sécheresse à la bétonisation engendrée par tel ou tel projet – et à l’apathie du gouvernement sur ces sujets, ne pas s’épuiser est l’une des préoccupations du mouvement.

Des centaines de personnes autour de tables à l'extérieur
Des milliers de personnes se sont rendues au festival des luttes locales Les Résistantes dans le Larzac.
©Martin Bodrero

« Après la réforme des retraites, on a eu Sainte-Soline [et ses mégabassines], la dissolution des Soulèvements puis la mort de Nahel tué par la police et l’affaire Hedi (un jeune homme tabassé en juillet par des policiers marseillais) », énumère Anne Le Corre, cofondatrice du Printemps écologique, un syndicat de salariés qui tente de pousser les entreprises à prendre en compte les enjeux écologiques. « Le rythme est épuisant. On a tellement de sujets d’indignation qu’on n’arrive plus à s’opposer à tout. »

Pendant le festival Les Résistantes, Dimitri martèle, d’une scène à l’autre, son analyse : en recourant à la violence le 25 mars à Sainte-Soline puis en essayant de démanteler les Soulèvements, « le gouvernement nous a fait changer d’échelle. En quelques semaines, on est devenus trop massifs pour être arrêtés ». Il rappelle les plus de 200 collectifs locaux formés depuis l’annonce de la procédure. Il mentionne les personnalités qui soutiennent le mouvement comme l’anthropologue Philippe Descola. Il évoque aussi les 150 000 personnes qui se revendiquent, via la signature d’une pétition, membres des Soulèvements de la Terre. « Même si, au final, nous sommes dissous, si on continue à se dire membres des Soulèvements, que va-t-il se passer ? » lance-t-il, micro en main, « 150 000 personnes vont-elles être poursuivies ? Un intellectuel comme Philippe Descola ? Des députés, des sénateurs ? »

« On retisse des liens distendus par le Covid »

« En ce moment, ça bouillonne, tout le monde a son projet de lutte. » Chloé Gerbier est cofondatrice de l’association Terres de Lutte. Elle est l’une des chevilles ouvrières de l’organisation des Résistantes. « La tentative de dissolution a provoqué un raz-de-marée d’engagements », constate-t-elle, « ce soutien massif, c’est le résultat d’années de mobilisation. Sainte-Soline et le projet de dissolution marquent un tournant, mais il y a quelque chose qui est de l’ordre de la lame de fond. »

Approfondir ce travail militant, c’est ce qui a motivé Anne Le Corre à venir. « J’ai l’impression que l’urgence que nous impose l’agression par l’État nous pousse à nous organiser concrètement. On parle moins de nos modalités d’actions. On ne refait pas le débat sur la violence, la non-violence, etc . » Un sentiment partagé par une majorité des personnes rencontrées pendant le festival. Sur la grande scène des Résistantes, Sarah Melki, de l’équipe d’organisation, prend le micro : « Nous assumons maintenant nos désaccords. Face à l’ampleur de l’offensive que nous subissons, faire bloc et riposter globalement est une nécessité. »

L’urgence, c’est aussi se compter et surtout se rencontrer. Fanny Métrat est membre du comité national de la Confédération paysanne. Pour cette éleveuse installée en Ardèche, « on sort enfin de la peur d’être ensemble, on retisse des liens qui s’étaient distendus ces dernières années. Il a fallu le drame de Sainte-Soline pour sortir de l’apathie causée par le Covid ».

Une sculpture bricolée en bois
La mascotte des Résistantes.
©Martin Bodrero

Autre constat, les mobilisations partout en France chamboulent les habitudes des écologistes. « Ce sont les causes locales qui deviennent le moteur de nos luttes. Ce n’est plus l’échelon national, les grosses associations qui donnent le ton de nos actions », estime Chloé Gerbier. Elle décrit un mouvement longtemps éparpillé entre des petits collectifs, des groupes qui découvrent leurs points communs. « Partout, on prend conscience de ce qui nous relie. À nous maintenant de le faire comprendre plus largement et de peser sur la suite. » Pendant le festival, des coalitions de collectifs ont été lancées autour de plusieurs sujets de mobilisation : projets autoroutiers, fermes-usines, luttes contre l’accaparement de l’eau ou encore le mouvement antinucléaire qui s’est reforgé pendant ces quatre jours. Toutes ont les mêmes objectifs : coordonner les groupes mobilisés, se soutenir mutuellement et organiser des actions d’ampleur.

« On déploie des moyens faramineux pour nous empêcher de nous exprimer »

Mais pour continuer à massifier le mouvement, il va falloir faire avec la répression croissante décidée par le gouvernement. Le 5 juin, une quinzaine de militants ont été placés en garde à vue dans le cadre d’une instruction judiciaire. Elle concerne des dégradations commises en décembre dernier dans une usine Lafarge des Bouches-du-Rhône.

Conférence de presse sous une tente
Conférence de presse pour contester la dissolution des Soulèvements de la Terre au festival Les Résistantes avec la députée européenne verte Marie Toussaint, le sénateur écologiste Thomas Dossu, Marie Pochon députée Nupes.
©Martin Bodrero

Benoît fait partie des personnes qui ont été arrêtées. Il raconte son histoire : « J’ai fait 96 heures de garde à vue, on m’a conduit menotté, les yeux bandés, jusqu’aux locaux de la Sous-Direction antiterroriste à Levallois », raconte-t-il. « On déploie des moyens faramineux pour nous empêcher de nous exprimer. » Tanguy Martin est membre d’Ingénieurs sans Frontières, il fait partie du comité qui soutient les mis en cause : « Des lois contre le terrorisme sont utilisées contre nous, les mouvements écologistes. Nous n’avons rien à voir avec la terreur de masse. »

Pour Fanny Métrat, de la Confédération paysanne, « c’est un énorme cap qui est franchi. Ça se durcit fortement avec l’État. La grâce présidentielle dont a bénéficié José Bové en 2003 (après avoir démonté un restaurant McDonald’s, ndlr), ça n’arrivera plus jamais ». Un durcissement qui se manifeste sur tous les terrains. Sur le plateau de Millevaches en Corrèze, des associations ont vu leurs subventions coupées par la préfecture. Le motif : un lien supposé avec les Soulèvements de la Terre. À Montreuil, le 22 août c’est le squat de La Baudrière qui est expulsé à la veille d’accueillir l’arrivée du convoi de l’eau, une caravane d’opposants aux mégabassines.

Pour tous, il faut donc s’adapter à ce nouveau paradigme. « Ça veut dire une prudence encore plus forte quand on s’organise », explique Dimitri des Soulèvements. « Ça passe aussi par trouver des porte-parole qui peuvent être remplacés s’ils sont visés par l’État. » Enfin, il estime que la répression peut aussi être utilisée par les luttes locales. « Il faut transformer les audiences judiciaires en événements médiatiques, en profiter pour faire le procès des procès. » Un modèle d’action déjà mis en place en 2021 dans le procès contre des militants antinucléaires de Bure ou encore à Dax en 2017 pour le procès des Faucheurs de chaises protestant contre l’évasion fiscale.

Autre enjeu, réussir à faire le lien avec les personnes plus menacées par le réchauffement climatique. « C’est une question qui reste encore à saisir », estime Fanny Métrat de la Confédération paysanne. « On doit travailler sur notre rapport aux quartiers populaires. L’affaire Hedi, ce n’est pas moins important que Sainte-Soline. Ceux qui nous répriment ne font pas de distinction, ils éliminent tout ce qui peut les gêner. La bonne nouvelle, c’est que j’ai le sentiment que là, on est le mouvement. On n’est plus dans la réaction à des événements qui nous indignent. On est dans l’action pour proposer un autre avenir. »

Martin Bodrero

Photo de une : Les luttes locales écologistes se son retrouvées au festival Les Résistantes cet été sur le plateau du Larzac/©Martin Bodrero