Extradition

La Cour de cassation, dernier rempart pour protéger le droit de manifester en Europe ?

Extradition

par Nolwenn Weiler

Le dossier Vincenzo Vecchi est entre les mains de la Cour de cassation. En fonction de son avis, la France extradera, ou non, cet ancien militant altermondialiste vers l’Italie, où il risque une lourde peine en vertu d’une loi héritée de Mussolini.

La France va-t-elle remettre Vincenzo Vecchi à l’Italie, où il risque plus de 10 ans de prison ? Une nouvelle audience s’est tenue ce 11 octobre 2022 pour statuer sur le sort de l’ancien altermondialiste, poursuivi en Italie pour avoir participé aux manifestations de Gênes en 2001. Par deux fois déjà, des magistrats ont estimé que les mandats d’arrêt européens qui visaient Vincenzo Vecchi n’étaient pas applicables. Par deux fois, le parquet général a fait appel. Et c’est donc au tour de la Cour de cassation de donner son avis.

Une loi fasciste appliquée par des juges français ?

Au cœur des débats qui ont occupé l’audience pendant près de deux heures ce mardi 11 octobre : la question de la « double incrimination ». Pour qu’une personne soit remise à un État où l’attend une peine (de prison ou autre), il faut que le délit ou le crime qu’elle a commis soit également poursuivi dans le pays où elle s’est réfugiée. Or, la loi « dévastation et saccage », qui sert à poursuivre Vincenzo Vecchi « répond à une conception du droit tout à fait étrangère à nos traditions, tout à fait contraire à une tradition démocratique », décrit l’écrivain Éric Vuillard, prix Goncourt 2017, et membre du comité de soutien de Vincenzo [1].

Introduite dans le Code pénal italien par les fascistes dans les années 1930, la loi « dévastation et saccage » permet, en vertu du « concours moral », de condamner lourdement – entre 8 et 15 ans de prison – une personne pour sa seule présence au sein d’une manifestation au cours de laquelle il y aurait eu des dégradations. Nul besoin d’apporter les preuves d’une participation active à ces dégradations. « Lorsque cette loi est adoptée par décret en 1930, Mussolini est au pouvoir depuis huit ans, rappelle Éric Vuillard. L’Italie est alors l’une des dictatures les plus autoritaires de l’histoire. Cette loi est par essence fasciste, elle est l’expression juridique d’un ordre dictatorial. Ce n’est pas le genre de loi que l’on vote dans un Parlement. Il est donc inquiétant de lire, dans les mémoires des différents avocats généraux, une tentative impérieuse, résolue, d’amalgamer cette loi à notre droit. »

« Deux cours d’appel ont donné raison à Vincenzo Vecchi, détaille Catherine Glon, son avocate. Ce qui interroge, c’est la position du parquet général (qui a décidé par deux fois de faire appel des décisions des magistrats, ndlr) et donc, indirectement, celle de l’État. »

Menaces sur le droit de manifester en Europe ?

Avant de statuer, la Cour de cassation avait souhaité solliciter l’avis de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) qui, dans un arrêt rendu en juillet 2022, avait estimé que la remise de Vincenzo Vecchi à l’Italie ne posait aucun problème. Un peu sonnée par cette décision de la CJUE, la défense de Vincenzo Vecchi a riposté en posant à la Cour de cassation une Question prioritaire de Constitutionnalité (QPC), présentée par Paul Mathonnet. « La double incrimination est considérée comme un principe fondamental, inhérent à notre identité constitutionnelle », décrit Pascale Jaouen, ancienne magistrate et membre du comité de soutien de Vincenzo. Les avocats ont également évoqué le contexte politique italien, plus qu’inquiétant, avec l’arrivée au pouvoir de Fratelli d’Italia, dont l’idéologie se revendique très clairement du fascisme. « C’est au nom d’une loi mussolinienne qu’il faudrait leur livrer un opposant, un militant antifasciste, un altermondialiste ! », s’est offusqué Éric Vuillard.

Quelle sera la prochaine étape de ce marathon judiciaire qui dure depuis le mois d’août 2019, avec l’arrestation de Vincenzo Vecchi ? « Soit la Cour de cassation accepte cette QPC et renvoie l’affaire au Conseil constitutionnel. Soit elle refuse et renvoie devant une nouvelle cour d’appel, soit elle décide que l’affaire n’a que trop duré, et elle ordonne la remise de Vincenzo à l’Italie », résume Pascale Jouen. Cette dernière solution est évidemment la plus redoutée, pour Vincenzo en premier lieu. Mais plus largement pour le respect du droit de manifester dans les frontières de l’Union européenne.

« C’est un enjeu politique et démocratique qui va au-delà du cas de Vincenzo », insistent ses soutiens. « La loi "dévastation et saccage" est une loi édictée sous Mussolini, qui en contient l’esprit, avance Maxime Tessier, avocat de Vincenzo Vecchi. Si, demain, un gouvernement européen se met à condamner l’IVG. Est-ce qu’une personne ayant pratiqué l’IVG, puis s’étant réfugiée ici, pourrait être livrée à autre état ? » poursuit l’avocat.

« On peut avoir plein de Vincenzo Vecchi, craint de son côté Frédéric Mathieu, député Nupes (LFI) de la première circonscription d’Ille-et-Vilaine. Des militants de l’environnement, des militants des libertés publiques, des syndicalistes, des féministes qui seraient réfugiés en France, car ils ou elles sont poursuivis en Italie [2]. » La Ligue des droits de l’Homme a également évoqué ses inquiétudes concernant l’attitude du gouvernement français, qui pourrait faire de Vincenzo Vecchi un cas symbolique. Le jugement de la Cour de cassation, mis en délibéré, sera rendu le mardi 29 novembre prochain.

Nolwenn Weiler

Photo : Près de deux cents personnes, venues du Morbihan (où vit et travaille Vincenzo Vecchi) et d’ailleurs, s’étaient rassemblées devant le Palais de justice, à Paris, ce 11 octobre 2022.

Notes

[1Conférence de presse à l’Assemblée nationale le 5 octobre 2022, organisée à l’initiative du député communiste Pierre Dharréville. Voir la dernière tribune de Éric Vuillard publiée dans Le Monde.

[2Conférence de presse à l’Assemblée nationale le 5 octobre 2022, organisée à l’initiative du député communiste Pierre Dharréville. Voir la tribune signée par 76 députés et publiée par le quotidien Libération.