Après trois années de gel des négociations israélo-palestiniennes - mais pas de la colonisation israélienne en Palestine - de nouveaux pourparlers viennent de reprendre sous l’égide des États-Unis. Ministre de la Justice, Tzipi Livni le reconnaît : au sein de son gouvernement, « il y a des ministres qui ne veulent pas arriver à un accord et entendre parler de l’idée de deux États, d’autres ministres qui sont indifférents mais espèrent qu’il n’en sortira rien et d’autres membres du gouvernement qui veulent parvenir à la fin du conflit ». Rien d’étonnant. Le Premier ministre n’a-t-il pas réaffirmé tant à la tribune des Nations unies qu’à celle du Congrès américain qu’il refuserait tout Etat palestinien dans les frontières de 1967, tout démantèlement de ce qu’il nomme les « blocs de colonies », en particulier dans et autour de Jérusalem et dans la Vallée du Jourdain, tout partage de souveraineté à Jérusalem et toute reconnaissance des droits des Palestiniens expulsés devenus réfugiés ?
Qu’est-ce qui conduit dès lors ce gouvernement à accepter une reprise des négociations, passant par l’élargissement préalable de104 prisonniers politiques palestiniens ? D’une part, il l’avance lui-même, la crainte de l’isolement diplomatico-économique. Gideon Sa’ar, ministre de l’intérieur, considère ainsi comme « impératif » de reprendre les pourparlers : « Nous risquions de tout perdre, y compris nos ultimes alliés, et d’être mis au banc des nations. » Pour le quotidien israélien Yediot Aharonot, qui dénonçait en une la libération de ces prisonniers, le gouvernement de Tel-Aviv « veut uniquement légitimer son gouvernement aux yeux des pays occidentaux, et sortir de l’isolement ».
Ensuite, l’absence de contraintes liées au droit international ou à un quelconque calendrier : les négociations ont repris sans obligation ni sur le gel de la colonisation ni sur le respect des « frontières » de 1967, et avec l’hypothèse d’absence de toute initiative palestinienne susceptible de contrarier Israël sur la scène internationale. Le Premier ministre israélien s’en réjouit : « Nous avons préservé nos intérêts stratégiques vitaux. » Il a fait adopter par son gouvernement, un projet de loi selon lequel « tout changement de statut dans les territoires où s’applique la loi israélienne devra être approuvé par référendum populaire ». Au-delà de la formule « les territoires où s’applique la loi israélienne », qui veut dire en clair territoires palestiniens occupés, le Premier ministre sait aussi qu’en apparence démocratique, un tel référendum reviendrait alors à soumettre le droit du peuple palestinien à l’auto-détermination au bon vouloir du peuple d’un Etat qui l’occupe…
Enfin, le contexte. Celui d’une neutralisation provisoire de la diplomatie égyptienne, en quête de la pérennité du soutien économique et stratégique américain. L’arrestation par l’armée du président égyptien élu puis déchu Mohamed Morsi, accusé entre autres de complicité présumée dans des attaques imputées au Hamas palestinien, ne peut que contribuer – pour une part – aux divisions du mouvement national palestinien favorables à la stratégie israélienne. Or dans des territoires occupés, dont une partie est soumise à un blocus depuis plusieurs années, l’asphyxie économique érode l’indépendance politique des partis au pouvoir…
L’Union européenne a fait preuve de volonté politique, enfin, en décidant, face à l’accélération provocatrice de la colonisation israélienne, non pas encore de sanctions contre Tel-Aviv mais d’une simple réduction des échanges, en mettant ses accords commerciaux aux normes du droit et en avançant l’hypothèse d’un étiquetage des produits des colonies. Une perspective qui contribué à la crainte d’isolement de Tel-Aviv. Il ne suffit pas, aujourd’hui, comme le fait Laurent Fabius, ministre français des Affaires étrangères, de se « réjouir de la reprise des négociations israélo-palestiniennes (…) à Washington » et de saluer « cette avancée potentiellement majeure », en se déclarant prêt, « le moment venu », à « participer à la mise en œuvre d’un accord de paix ».
Il faut au contraire aider ce moment à venir. Non pas en se contentant de se féliciter d’une énième reprise de négociations, fût-ce après trois ans d’absence de pourparlers, mais sans que celles-ci soient officiellement fondées sur le droit international. Vingt ans après l’accord intérimaire d’Oslo, l’histoire a montré qu’un tête-à-tête entre occupant et occupé n’aboutit qu’à soumettre l’occupé aux exigences de l’occupant, ou à le faire dénoncer pour refus du seul compromis que l’occupant est prêt à accepter. La négociation n’a de sens que si elle porte sur les modalités d’application du droit international. Pour cela, l’Europe, loin de se contenter de féliciter Washington, peut et doit continuer à intervenir. L’étiquetage des produits des colonies n’est que le premier pas.
Isabelle Avran est membre de l’Association France Palestine Solidarité (AFPS) .