Contre l’islamophobie

« Là-haut, ils créent des problèmes que nous n’avons pas » : enseignants et parents portant le voile témoignent

Contre l’islamophobie

par Anne Paq, Zaouia Meriem-Benziane

Une partie de la classe politique et médiatique relance régulièrement les polémiques sur les mères qui accompagnent les activités scolaires tout en portant un voile, Basta! est allé à la rencontre des mères de Mantes-la-Jolie.

« J’ai participé pendant dix ans aux activités scolaires de l’école maternelle. Quand j’ai dû arrêter l’année dernière, la directrice en a pleuré, et moi aussi. Quand je pense qu’au début, j’avais peur d’entrer dans l’école… » Rabia [1] a quatre enfants, âgés de 6 à 16 ans. Ils sont tous scolarisés à Mantes-la-Jolie, dans les Yvelines. Quand elle est arrivée en France, du Maroc, Rabia ne maîtrisait pas encore bien la langue française. C’est pour cela qu’elle hésitait à participer aux activités scolaires. Une autre mère l’a finalement convaincue. « Aujourd’hui, je suis élue au conseil d’école de l’école élémentaire et élue au collège de mon fils aussi. Nous travaillons par exemple à créer un café des parents dans le collège. »

Rabia porte le voile, comme nombre de mères qui s’engagent dans les écoles à travers la France. Nous retrouvons plusieurs d’entre elles au centre de vie sociale des Garennes, un quartier de Mantes-la-Jolie. « Sans notre présence, les enfants ne pourraient plus aller aux activités sportives, illustre la parente d’élève. Pour la piscine, le créneau horaire attribué est de seulement de 45 minutes. Il faut aider les enfants à se changer au début et à la fin. Sans les parents, ce ne serait pas possible et l’activité piscine serait annulée. »

« Dans nos écoles, nous n’avons aucun problème »

À l’automne dernier, des élus de droite et des membres du gouvernement ont largement participé à relancer la polémique sur le voile et l’école, la laïcité et les mères d’élèves voilées. Fin septembre, le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer exprime sur BFM TV son opposition à la présence de mères qui porteraient le voile en sortie scolaire. Puis, en plein conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, c’est un conseiller du Rassemblement national qui agresse verbalement une femme, voilée, venue accompagner la sortie scolaire de son fils de CM2 pour découvrir l’institution. Deux jours plus tard, le 13 octobre, le ministre réitère affirmant que le voile n’était pas « souhaitable » dans la société.

Des mères préparent des crêpes pour la fête de Noël. ©Anne Paq.

Le 28 octobre, un ancien candidat du Front national attaque une mosquée à Bayonne, blessant deux hommes. Le 29, le Sénat adopte une proposition de loi des Républicains pour interdire le port du voile par les mères accompagnant les sorties scolaires. Le texte a peu de chance d’être voté à l’Assemblée nationale, Jean-Michel Blanquer y étant, malgré tout, opposé. Il ne devrait donc pas entrer en vigueur. Mais ces débats récurrents ont des effets sur les musulmans de France, sur les mères, et leurs enfants.

Le fils de Rabia, par exemple, lui a demandé pendant des semaines si la loi interdisant aux femmes musulmanes portant le foulard de participer aux sorties était passée. « Il me faisait mal au cœur », dit-elle. Dans les écoles de Mantes-la-Jolie, le climat est en tous cas bien plus apaisé que sur les plateaux de certaines télés. « Dans nos écoles, nous n’avons aucun problème sur cette question », témoigne Damien Hareau, le directeur de l’école élémentaire Madame-de-Sévigné. Pour lui, la participation des mères est, en plus, indispensable pour la vie de l’école. « Sans elles, nous sommes morts », résume-t-il.

Patricia Lartot directrice de l’école élémentaire Jules Verne, en poste depuis de nombreuses années dans la même école. ©Anne Paq.

« Nous participons à toutes les activités : les sorties, le sport, les kermesses, les marchés de Noël »

« La seule fois où il y a eu un problème, c’était à la piscine. Ils ont décidé une année que les personnes habillées ne pouvaient plus entrer jusqu’au bassin. Nous nous sommes pliées à la règle, nous restions à attendre dans le hall pour revenir dans les vestiaires à la fin de la séance, se souvient Rabia. Et puis les enseignants et les directeurs des écoles sont montés au créneau, et cette interdiction n’a pas duré. » Karima [2], mère de quatre enfants, est aussi élue au conseil de l’école primaire. Comme pour Rabia, son expérience d’engagement à l’école est très positive. « Nous n’avons aucune barrière avec les professeurs. Ils nous sollicitent énormément. Nous participons à toutes les activités : les sorties scolaires, le sport, les kermesses, les marchés de Noël, la vente de gâteaux… », précise-t-elle.

Au marché de Noël de l’école de ses enfants, les institutrices s’occupent de la vente d’objets fabriqués par les élèves tandis que des mères s’affairent à la fabrication et la distribution de crêpes. Nous y retrouvons Karima et sa sœur, Amal. Cette dernière raconte : « Cela ne nous a jamais dérangées de participer au marché de Noël. Nous, nous n’avons pas de problème avec la société française. Ce sont les politiciens qui ont un problème avec nous. Ceux qui veulent interdire les mères portant le foulard dans les sorties scolaires ne connaissent rien des vrais problèmes dans les quartiers. Les mères sont présentes pour créer du lien. Ils sont en train de détruire tout ce que nous avons construit. »

Amal est ingénieure en réseaux et communication. Elle s’organise avec son travail pour pouvoir être présente aux activités de l’école. « En fait, toute la famille participe. Un jour, je m’étais engagée pour une activité scolaire et j’ai eu un empêchement de dernière minute au travail. J’ai appelé ma mère en urgence, qui m’a remplacée. Même la grand-mère est mise à contribution ! », ajoute sa sœur Karima.

Nadia, 41 ans et sa fille Aïcha, 8 ans pendant la fête de Noël, avec Patricia, la directrice de l’école et Emilie, 38 ans, enseignante du CE2. ©Anne Paq.

« Quand il y a un souci, même d’ordre religieux, c’est tout de suite réglé par la communication »

Patricia Lartot, directrice d’école à Mantes-la-Jolie, voit elle aussi au quotidien le fossé qui sépare les fantasmes de certains politiques et commentateurs, de la vie réelle de son établissement. « Là-haut, ils sont en train de créer des problèmes que nous n’avons pas, nous dit-elle. Le voile n’est pas un problème. Les mères sont très présentes et très actives. Quand il y a un souci, même d’ordre religieux, c’est tout de suite réglé par la communication. » Au fil de ses quarante ans d’expérience dans les écoles du département, la moitié comme enseignante, l’autre comme directrice, Patricia Lartot en a vécu, des polémiques de ce type. « La question du voile à l’école n’est pas nouvelle. Mais concernant les mères voilées dans les sorties scolaires, le Conseil d’État a tranché en 2013 », analyse la directrice.

Dans un avis rendu il y a sept ans, le Conseil d’État, plus haute juridiction administrative en France, estimait en effet que les personnes accompagnatrices ne sont pas des agents du service public, et donc pas soumises à la neutralité religieuse [3].

Pour Patricia Lartot, la présence de mères qui portent le voile à des sorties n’a de toute façon « rien à voir avec la laïcité, qui est un cadre, un principe d’organisation qui garantit l’égalité de tous et la liberté de conscience. » Elle souligne aussi que « la laïcité s’enseigne. Il revient aux enseignants d’expliquer le sens de ce mot et de nouer le dialogue sur le sujet avec les enfants et avec leurs parents. » 

Amal, 34 ans, avec son fils Cémine, 10 ans. ©Anne Paq.

« Nous apprenons la tolérance à nos enfants, et à côté de cela, ils voient que leurs mères sont rejetées »

Et pourtant, au marché de Noël de l’école, Khadija, jeune mère, se souvient encore de son anxiété lors de la polémique de l’automne. « J’avais la boule au ventre », nous dit-elle. « Déjà que nous vivons beaucoup de discriminations dans tous les domaines. Moi, j’ai la chance de travailler, je suis assistante bilingue dans une grande entreprise, mais ce n’est pas le cas de toutes. Beaucoup de femmes portant le foulard ne trouvent pas de travail. Alors, nous interdire en plus les sorties scolaires… Non, on se dit que ce n’est pas possible. »

Elle pointe aussi la confusion que ces attaques provoquent chez les enfants : « Mes enfants, je leur explique que nous pouvons être français et musulmans. Nous leurs apprenons la tolérance, et à côté de cela, ils voient que leurs mères sont rejetées à cause du voile qu’elles portent. Qu’est-ce qu’on renvoie à nos enfants ? » La large manifestation contre l’islamophobe organisée à Paris le 10 novembre 2019 lui a toutefois redonné espoir. L’événement avait réuni des dizaines de milliers de personnes. « Quand j’ai vu qu’il y avait tant de monde, j’ai pleuré. Ça rassure. »

Zaouia Meriem-Benziane

Photos : © Anne Paq

Les lois et campagnes dirigées contre le voile en France
 Mars 2004 : loi sur les signes ostensibles, interdisant le port du foulard par les élèves à l’école publique.
 Septembre 2010 : loi anti-burqa, « interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public ».
 Avril 2011 : Offensive du ministre de l’Éducation Luc Chatel, qui adopte une circulaire pour exclure les mères voilées de l’accompagnement de sorties scolaires.
 Janvier 2012 : Proposition de loi interdisant le port du voile par les éducatrices des crèches et des garderies, adoptée en première lecture par un Sénat à majorité socialiste.
 Juillet 2016 : campagne contre les femmes en « burkini » et les femmes musulmanes « trop » couvertes sur les plages.
 Février 2019 : campagne contre un « hijab de running », poussant les magasins Decathlon à retirer l’article de la vente.
 Juillet 2019 : chasse aux femmes en « burkini » dans les piscines.
 Octobre 2019 : relance de la campagne sur le voile des mères accompagnatrices de sorties scolaires. 29 octobre 2019 : Le Sénat adopte une proposition de loi des Républicains pour interdire le port du voile par les mères accompagnant les sorties scolaires. Lire « Dévoilements. Du hijab au burkini : les dessous d’une obsession française », par Pierre Tevanian, sur Les Mots sont importants.

Notes

[1Le prénom a été changé à la demande de la personne.

[2Le prénom a été changé à la demande de la personne.

[3L’avis laissait cependant la porte ouverte à des restrictions. Cet avis avait été rendu suite à la saisine par le Défenseur des droits, qui sollicitait une clarification du droit applicable après une circulaire du ministre Luc Chatel du 27 mars 2012 qui recommandait d’interdire les sorties scolaires aux femmes portant le voile. Le document du Conseil d’état est disponible ici.