Climato-scepticisme

« Une constante intervention politique et économique visant à saboter la lutte contre le dérèglement climatique »

Climato-scepticisme

par Fabrice Nicolino

Dans son livre Le grand sabotage climatique, le journaliste Fabrice Nicolino documente l’influence des industriels sur les institutions internationales qui entrave les luttes contre le réchauffement de la planète. Bonnes feuilles.

On apprenait en février 2023 que le climatoscepticisme connaît un réveil en France. Quatre chercheurs du CNRS, étudiant à la loupe binoculaire le réseau Twitter, y découvraient 10 000 comptes actifs niant d’une manière ou d’une autre la réalité du dérèglement. David Chavalarias, l’un des auteurs, écrivait : « Entre 2021 et l’été 2022, l’activité des comptes “dénialistes” a été multipliée par six ». Sans le moindre « argument » nouveau depuis des décennies. Selon les négateurs, il y aurait réchauffement – au mieux –, mais sans aucune preuve certaine que les activités humaines en soient les responsables.

Portrait de Fabrice Nicolino
Fabrice Nicolino
Journaliste, il est notamment l’auteur de Pesticides, révélations sur un scandale français, ou encore de Bidoche : l’industrie de la viande menace le monde.
©DR

Les variations du soleil ont toujours existé – le cycle de Milanković –, et il y a toujours eu des réchauffements et des... refroidissements. Les effets du changement peuvent aussi être bénéfiques, on oublie le rôle de la vapeur d’eau, la montée des océans a d’autres explications, etc.

Cela pourrait paraître anecdotique, mais selon ce travail, les effets en sont majeurs en disséminant dans l’opinion de fausses informations. Et du même coup, même s’il est très difficile d’évaluer les conséquences, en affaiblissant la position des autres, y compris dans les cercles dirigeants où se décident les politiques publiques.

Aux États-Unis, le climatoscepticisme organisé par l’industrie

Aux États-Unis, il est clairement démontré que le climatoscepticisme a été pensé, organisé, financé par l’industrie, et des groupes politiques de droite, dont ces libertariens qui ne veulent pas entendre parler de la moindre politique d’État. En 2008, l’université de Floride publie une étude sans ambiguïté : 92 % de « l’information » climatosceptique était partiellement ou totalement sous la coupe d’une structure politique conservatrice.

En 2015, le travail de bénédictin du chercheur Justin Farrell montre que pour l’essentiel, le négationnisme climatique est « produit » aux États-Unis par 4556 personnes. Les réseaux de ces derniers n’ont pas un maître d’œuvre unique, mais se croisent, se superposent, s’intriquent dans le cadre général de 164 organisations diverses, dont nombre de think tanks. Les preuves surabondent d’une constante intervention politique et économique, visant à saboter la lutte contre le dérèglement climatique.

Une incursion en Australie s’impose aussi, car il s’y passe des événements au-delà du concevable. Le 18 septembre 2013, le conservateur Tony Abbott devient Premier ministre d’Australie et sa toute première mesure est de supprimer la taxe carbone instituée par les travaillistes qui l’ont précédé au pouvoir. C’est ensuite un bombardement. Il efface tout simplement le ministère des Sciences, l’Autorité du changement climatique et la Commission du climat.

En Australie, un climatosceptique à la tête du gouvernement

Les investissements dans les énergies renouvelables chutent de 70 % en 2014. Et je passe sur les mesures aberrantes contre la protection des forêts, des océans. Bien sûr, Abbott est un climatosceptique convaincu. Dès 2009, il avait au cours d’un meeting affirmé qu’attribuer aux activités humaines la responsabilité du réchauffement était « une connerie absolue ».

En 2017, après avoir quitté la vie politique australienne à la suite de revers, il déclare, apparemment sérieux, que le dérèglement « est plutôt une bonne chose, ou du moins, crée plus de bien que de mal ». Boris Johnson le nommera fin 2020 – son père est anglais – conseiller au commerce du Royaume-Uni. Et pendant ce temps, en Australie, 70 % des médias matraquent de la même manière qu’Abbott. Ne sont-ils pas la propriété de Robert Murdoch, climatosceptique assumé ?

Import du climatoscepticisme en France

L’Association française pour l’information scientifique (Afis) est la structure qui a « importé » en France le climatoscepticisme, selon les journalistes Stéphane Foucart et Stéphane Horel, et le sociologue Sylvain Laurens. Notons toutefois qu’il y a un véritable pionnier, auteur d’un blog très couru au début des années 2000. Un certain Charles Muller.

Couverture du livre Le Grand sabotage
Le grand sabotage climatique. Révélations sur un système corrompu. ONG, multinationales, gouvernements...., Fabrice Nicolino, éditions Les liens qui libèrent. A découvrir en librairie le 20 septembre 2023.

En 2006, traduisant simplement l’expression américaine « climate skeptic », il a bel et bien lancé l’expression dans l’arène publique. Dans leur livre Les Gardiens de la raison, les trois auteurs évoqués critiquent longuement l’Afis « qui, avec seulement 6000 abonnés, touche un public stratégique et qui donne avec autorité le “la” de la science dans l’espace public ».

Qui est Charles Muller, audacieusement présenté comme « rédacteur scientifique » ? Un pseudonyme. Son vrai nom est Charles Champetier, et l’on comprend qu’il préfère une autre signature, car sous celle-là, il a été rédacteur en chef de la revue Éléments, organe de la Nouvelle Droite – et si vieille – d’Alain de Benoist. La revue de l’Afis oublie aussi de préciser qu’il est consultant en communication, et cofondateur de l’agence Inférences.

Le réchauffement climatique serait dû aux nuages...

Pendant des années, à partir de 2002, fleurirent quantité de livres climatosceptiques, dont certains tombés entre mes mains. J’aurais préféré que ce ne soit pas le cas. Tous, je dis bien tous, étaient d’un niveau tellement affligeant que l’on en éprouvait presque de la gêne pour leur auteur. Je le jure. Et l’Afis en rendit compte avec complaisance, dans des « recensions qui évit[ai]ent de mentionner les nombreuses erreurs factuelles, voire les authentiques malversations intellectuelles qu’ils véhicul[ai]ent et qui [étaient] pour la plupart puisées dans le creuset des cercles néoconservateurs et libertariens américains ». Parmi eux, le livre du présentateur météo Laurent Cabrol, Et si la terre s’en sortait toute seule, paru en 2008.

J’ai noté alors certains entretiens qu’il avait donnés, et qui donnent une idée, je crois, du personnage. Par exemple : « J’ai été le premier à parler du réchauffement climatique il y a vingt ans, mais j’ai décidé de prendre du recul. En gros, on nous dit que le réchauffement, c’est le CO2 des voitures. En emmenant nos enfants à l’école le matin, nous réchaufferions la planète. Mais moi, en lisant tous les auteurs, je me suis rendu compte qu’y avait pas que le CO2 . ‘Y a le rôle du soleil, dont on ne sait que peu de chose. ‘Y avait le rôle des nuages, dont on ne sait rien. ‘Y avait les océans, dont on ne parle pas… »

Et à propos d’Allègre : « Je suis tout à fait en phase avec lui lorsqu’il dit qu’avant de nous rendre coupables, il faudrait en savoir plus sur la mécanique climatique. Et j’avoue qu’il a eu beaucoup de courage d’apporter la contradiction dans un domaine où la pensée unique fait des ravages... »

L’archétype d’une certaine folie climatosceptique se trouve dans un dossier du Figaro daté du 23 février 2010. Deux journalistes mettent en scène ce qu’il faut bien appeler une mystification dans un article intitulé « Réchauffement climatique : les thèses s’affrontent ». On y interroge à égalité les « tenants » du dérèglement et les négateurs du phénomène, créant ainsi l’illusion d’un débat qui n’existe pas dans la réalité.

Comment oser mettre sur le même plan des milliers de scientifiques unanimes et une poignée de zozos dont ce n’est pas même la spécialité ? Le Figaro n’hésite pourtant pas, et écrit, rendant hommage au compère bien connu d’Allègre, Vincent Courtillot : « Les courbes de températures qu’il a reconstituées avec une équipe de l’Institut de physique du globe de Paris, qu’il dirige, montrent qu’entre 1900 et 1986, il n’y a pas eu de réchauffement en Europe ». C’est une prise de position, sinistre. Un grand journal français – en 2010 ! – affirme qu’il n’y a pas eu de réchauffement en Europe, donc en France.

Présentateurs météo relais du climatoscepticisme

Le 8 juillet 2010, Claude Allègre et Luc Ferry cosignent dans Le Figaro un article titré « Le pari de l’innovation écologique ». La date est d’une grande importance, car le livre d’Allègre L’Imposture climatique, a été publié au printemps, et taillé en pièces. Le journaliste Sylvestre Huet en a aussitôt, en quelques semaines, tiré un pamphlet, « L’Imposteur, c’est lui ». Allègre est allé trop loin, et a menti manipulant des données et allant jusqu’à falsifier un graphique essentiel. C’est le pire que l’on puisse reprocher à un scientifique.

À l’automne 2015, le présentateur météo de France 2, Philippe Verdier, publie à son tour. Cela donne Climat Investigation : « À la base [de l’affaire], il y a les scientifiques manipulés, politisés, de la corruption, des scandales sexuels puis des politiques qui ne servent que leur image et leur soif de pouvoir, des médias aveuglés qui s’emballent et censurent sous la pression de leurs actionnaires [...], des ONG mercantiles et des religions en quête de nouveaux credo. » Et il ajoute : « Nous sommes indubitablement sur un plateau du réchauffement et la variabilité cyclique du climat ne nous permet pas d’envisager si le rythme naturel va demain nous entraîner vers une baisse, une stagnation ou une hausse. » En 2015 !

Tous les climatosceptiques ne sont pas à la botte de l’industrie, mais le phénomène lui-même a été largement financé, amplifié, démultiplié même par ceux qui ont tant intérêt à ce que l’extraction du gaz, du pétrole, du charbon continue jusqu’au bout. Il va de soi que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) et tous les autres ne répondent pas à toutes les questions. Il est probable que des erreurs, potentiellement importantes, existent dans l’Himalaya des données disponibles. Et alors ?

Fabrice Nicolino

 Fabrice Nicolino, Le grand sabotage climatique. Révélations sur un système corrompu. ONG, multinationales, gouvernements...., éditions Les liens qui libèrent. A découvrir en librairie le 20 septembre 2023.

Photo de une : Manifestation pour l’action contre le changement climatique à Melbourne, en Australie, en septembre 2014 alors que le climatosceptique Tony Abott était le Premier ministre australien/CC BY-SA 2.0 Takver via Wikimedia Commons.