Libertés

« Nul ne peut être arbitrairement détenu » : isolement et contention en hôpital psychiatrique davantage contrôlés

Libertés

par Rachel Knaebel

Suite à des décisions du Conseil constitutionnel, l’immobilisation et l’isolement en psychiatrie doivent bientôt être mieux encadrés par les juges. Mais les moyens manquent pour améliorer réellement les droits des patients.

« Nous sommes pour l’abolition de la contention », assure Delphine Glachant, psychiatre dans un hôpital de la région parisienne et présidente de l’Union syndicale de la psychiatrie. La contention, c’est cette pratique qui consiste à immobiliser un patient, la plupart du temps sur un lit, en principe face à un état de crise qui peut mettre en danger le patient lui-même ou les personnes environnantes. L’isolement consiste à placer un patient seul dans une chambre fermée, d’où il ne peut sortir librement. C’est, normalement, une mesure de protection. « Pour nous, la contention et l’isolement ne sont pas du soin. L’isolement, c’est une mesure d’urgence, ça peut permettre de réinstaurer de la relation à un moment donné où le patient va être dans un état d’angoisse tel qu’il va être très agité ou agressif », ajoute Delphine Glachant.

Les pratiques restent pourtant courantes : plus de 120 000 prescriptions de placement à l’isolement et 33 000 prescriptions de placement sous contention ont été délivrées en 2018 par des médecins psychiatres à l’égard de personnes hospitalisées en psychiatrie sans consentement, rappelait Le Monde [1]. Mais depuis, elles sont de plus en plus contestées. À partir de 2022, contention et isolement devraient être mieux contrôlés par les juges des libertés et de la détention. Car il s’agit de mesures de privation de liberté, a souligné le Conseil constitutionnel une nouvelle fois en juin dernier. « Nul ne peut être arbitrairement détenu », dit bien l’article 66 de notre Constitution. Et « la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible ». Cela vaut aussi pour les personnes hospitalisées sans leur consentement en psychiatrie.

Déjà, en juin 2020, le Conseil constitutionnel avait pour la première fois exigé que les mesures de contention et d’isolement soient soumises à l’examen du juge, au-delà « d’une certaine durée ». Les « sages » avaient rendu cette décision suite à un recours [2] déposé par l’avocat Raphaël Mayet, défenseur de nombreuses personnes dans des contentieux liés à des hospitalisations sans consentement en psychiatrie, et avec l’appui du Cercle de réflexion et de proposition d’actions sur la psychiatrie (CRPA), une association d’usagers et d’ex-usagers de la psychiatrie.

« Le front juridique est ouvert »

Contraint par le Conseil constitutionnel, le gouvernement a introduit l’année dernière un article dans la loi de financement de la Sécurité sociale : pour renouveler une mesure de contention au-delà de 24 heures, et d’isolement au-delà de 48 heures, un médecin psychiatre doit désormais en informer les proches du patients ainsi que le juge des libertés et de la détention. Mais « informer le juge » ne veut pas dire qu’il y a forcément un contrôle par le juge. L’avocat Raphaël Mayet a donc déposé un nouveau recours. Le Conseil constitutionnel lui a de nouveau donné raison. Et exigé du gouvernement une nouvelle loi avant la fin de l’année. Dans, la nouvelle loi de financement de la Sécurité sociale pour 2022, l’article 28 prévoit de rendre automatique le contrôle judiciaire de la contention et de l’isolement en psychiatrie.

« Nous sommes pour le moins réservés sur la volonté du gouvernement comme d’ailleurs des professionnels du terrain, d’opérer une réforme en profondeur qui limite l’utilisation abusive des pratiques d’isolement et de contention, a réagi le CRPA après la décision du Conseil constitutionnel de juin. À tout le moins le front juridique est ouvert, non seulement en ce qui concerne l’hospitalisation sans consentement, mais aussi en ce qui concerne l’isolement et la contention que le Conseil constitutionnel reconnaît désormais clairement comme des mesures privatives de liberté, et non comme des mesures de soins. »

C’est déjà suite à une question prioritaire de constitutionnalité, portée par le CRPA, qu’en 2011 le Conseil constitutionnel avait soumis au contrôle des juges les hospitalisations sans consentement en psychiatrie, quand elles se poursuivaient au-delà de 12 jours. « Cela a mis un peu de temps à se mettre en place, mais les juges des libertés et de la détention se sont emparés du sujet. C’est un contentieux dont les contours se sont progressivement affinés, rapporte Sarah Massoud, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature.

« Il est indispensable dans un État de droit que toute mesure de privation de liberté soit examinées par un juge. Il n’est pas question pour le juge de se substituer au rôle du médecin, mais de vérifier la régularité de la procédure, le respect des droits des patients et d’apprécier la nécessité de maintenir une mesure sous contrainte. Les patients hospitalisés sans leur consentement ont notamment le droit à un avocat, à l’information de leurs proches, à l’accès à un juge, à être tenu informé du déroulement de leur hospitalisation », rappelle la magistrate. Auparavant, si des mesures d’isolement et de contention jugées excessives ou disproportionnées pouvaient être contestées dans le cadre de l’examen par la justice des hospitalisations sous contrainte, « nous n’avions pas alors le pouvoir de les lever ».

« Un hiatus énorme entre une décision en faveur des droits des patients et les moyens mis à disposition »

Aujourd’hui, la nouvelle loi votée à l’Assemblée nationale fin octobre [3] prévoit qu’en cas d’isolement au-delà de 48 heures et au-delà de 24 heures pour la contention, le directeur de l’hôpital en informe sans délai le juge des libertés et de la détention, qui peut se saisir d’office pour mettre fin à ces mesures. Si le médecin souhaite encore poursuivre les mesures au-delà de quatre jours pour l’isolement et de trois jours pour la contention, l’hôpital est obligé de saisir le juge, qui peut en ordonner la « mainlevée », donc la fin. Les proches des patients, qui peuvent être les personnes de confiance désignées par le patient lui-même, doivent également être informées dès la première prolongation.

Quatre jours en isolement et trois jours immobilisé à un lit avant que le contrôle d’un juge soit obligatoire… Même si cette nouvelle réforme va dans le sens du droit des patients, les délais peuvent sembler longs. Pour comparaison, en Allemagne, depuis une décision du tribunal constitutionnel, les mesures de contention doivent être soumises au contrôle du juge immédiatement, dans un délai d’une demi-heure [4]. Des juges sont de garde en permanence de 6 h à 21 h pour remplir cette mission. Les mesures prises pendant la nuit sont contrôlées le lendemain matin.

En France comme en Allemagne, les décisions des garants de la constitution sont arrivées dans un contexte où le recours à la contention a tendance à augmenter. « Les visites dans les établissements de santé mentale ont fait découvrir une utilisation de l’isole­ment et de la contention d’une ampleur telle qu’elle semble être devenue indispensable aux professionnels », alertait par exemple le Contrôleur général des lieux de privation de liberté il y a cinq ans. Depuis, la psychiatrie souffre toujours plus du manque de moyens humains, ce qui ne contribue pas à réduire ces pratiques, et risque aussi d’entraver la mise en œuvre du contrôle par les juges.

« Cette censure du Conseil constitutionnel, c’est véritablement un progrès. Mais Il y a malheureusement un hiatus énorme entre une décision qui est en faveur des droits des patients et les moyens mis à disposition pour rendre effectif le contrôle », note Sarah Massoud. L’étude d’impact associée au projet de loi de financement de la Sécurité sociale envisage 15 millions d’euros de budget supplémentaire pour les hôpitaux psychiatriques pour mettre en places cette réforme. Du côté de la justice, il est prévu une vingtaine de postes de juge des libertés et de la détention et 17 de greffiers. « Ce qui est totalement en deçà des besoins », regrette la juge. Elle déplore aussi que sa profession n’ait pas été associée à l’élaboration de cette réforme, adoptée au pas de course et au milieu des lois de financement de la Sécurité sociale.

« Cela fait des années que nous demandons une loi globale sur la psychiatrie »

Des sénateurs ont d’ailleurs annoncé qu’ils comptaient saisir le Conseil constitutionnel contre ce qu’on appelle les « cavaliers législatifs » de cette loi de financement de la sécu, soit les mesures qui n’ont rien à voir avec le sujet principal de la loi, dont l’article sur la contention et l’isolement. « Le gouvernement argue qu’il a dû faire vite à cause de la date butoir du 31 décembre 2021 posée par le Conseil constitutionnel pour légiférer. Alors que dans le même temps, il a trouvé un véhicule législatif pour déposer un projet de loi sur l’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental en juillet, jugé inutile par le plus grand nombre des professionnels », critique Sarah Massoud. En septembre, le gouvernement a fait adopté cette loi limitant la possibilité de prononcer l’irresponsabilité pénale d’un auteur de crime ou de délit pour des raisons psychiatriques.

« Cela fait des années que nous demandons une loi globale sur la psychiatrie, abonde Paul Jean-François, du Syndicat des psychiatres des hôpitaux. Les gouvernements bricolent à chaque fois des articles, alors que nous souhaitons une loi qui se fasse en concertation avec les professionnels concernés, une loi qui parlerait de la place de la psychiatrie dans la médecine, dans la société, des soins sans consentement, des mesures d’isolement et de contention, des rapports entre la psychiatrie et la justice. C’est tout un ensemble. »

L’article contention et isolement de la loi de financement de la Sécurité sociale a au moins donné lieu à quelques débats sur la psychiatrie à l’Assemblée nationale. Le ministre de la Santé, Olivier Véran, neurologue de profession, y a défendu la contention et l’isolement, estimant « qu’il y a des moments où aucune solution alternative n’est possible ». La députée insoumise Caroline Fiat, qui est aide-soignante, a répondu que « s’il y avait plus de personnel, il y aurait moins de contention et moins d’isolement. S’il y avait plus de centres médico-psychologiques [des antennes de prise en charge psy à l’extérieur des hôpitaux] il y aurait moins de crise. » [5]

« Pour améliorer vraiment la situation des patients, il faut plus de personnels »

Loin des débats politiques de l’hémicycle, alors qu’elle finit tout juste sa journée de consultations, à 20 h, la psychiatre Delphine Glachant craint de son côté les difficultés à venir sur le terrain pour mettre en place le contrôle renforcé du juge. « Cela va être très chronophage, pour différents personnels, dont les psychiatres. Notre position, à l’Union syndicale de la psychiatrie, c’est qu’il est tout à fait normal que quelqu’un qui est encore plus privé de cette liberté de circuler en étant en isolement ou en contention rencontre un juge tout de suite. Mais dans les faits, ce n’est qu’une couche supplémentaire d’administratif. Et c’est ingérable. Pour améliorer vraiment la situation des patients, il faudrait plus de personnels dans nos services, et que les personnels soient mieux formés. Aujourd’hui, les infirmiers reçoivent des formations à la gestion de la violence. Ce n’est pas de ça dont ils ont besoin. Il leur faut des formations de fond à la psychopathologie et à l’accueil du patient. »

Pour le CRPA aussi, la nouvelle loi est loin d’être suffisante. « S’agissant de la contention mécanique, nous sommes évidemment partisans que de telles pratiques soient abolies, rappelle l’association. Mais aussi qu’il soit envisagé que la contention chimique soit tôt ou tard également contrôlée au plan judiciaire. » La contention chimique désigne les traitements médicamenteux tels que les neuroleptiques ou sédatifs. Un autre angle mort de la réforme, c’est ce qui se passe hors des services de psychiatrie : dans les Ehpad, en gériatrie, dans des lieux d’accueils pour personnes handicapées… où contention et isolement peuvent aussi exister.

Rachel Knaebel

Photo : Lors d’une « Mad Pride », défilé des usagers et ex-usagers de la psychiatrie, à Cologne en 2017, une protestation contre les traitements répressifs en psychiatrie. CC BY-SA 4.0 Superbass via Wikimedia Commons.

Notes

[182 000 patients ont été hospitalisés en psychiatrie sans consentement en 2018. Voir "Chiffres clé de la psychiatrie", Agence technique de l’information sur l’hospitalisation.

[2Sous forme d’une question prioritaire de constitutionnalité.

[3L’article a été supprimé par le Sénat mais devrait être réintroduit par l’Assemblée nationale en deuxième lecture.

[4Voir la décision du tribunal constitutionnel allemand.

[5Voir la vidéo du débat du 22 octobre.