Se loger

L’habitat léger, choisi et écologique : une alternative freinée par des « maires shérifs »

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par Benjamin Sourice

Ils veulent construire eux-mêmes leur habitat, plus respectueux et plus proche des espaces naturels. Mais leurs aspirations se confrontent à un code de l’urbanisme peu favorable à l’habitat dit « réversible », et aux préjugés de maires.

Caroline et Jonathan, avec leurs deux petites filles, vivent dans des cabanes de terres et de pailles, des « paillourtes » ou « cabanoiseaux » comme les appelle François, leur créateur. Ce dernier vit et accueille depuis plus de quinze ans sur son terrain privé celles et ceux qui partagent sa simplicité volontaire. Dans ce joli coin de Corrèze, à deux pas du lac de Causse, ces amoureux de la nature érigent ces petites habitations bucoliques sans demander l’autorisation de la mairie. Jonathan Attias en a fait un concept militant, la « désobéissance fertile », qui prône « le droit à l’habitat sobre et écologique, au plus près d’espace à protéger ou régénérer, quoi qu’en dise un code de l’urbanisme rigide encourageant la bétonisation du territoire au dépend des écosystèmes » – le secteur du bâtiment est le premier émetteur de gaz à effet de serre.

Jonathan et Caroline avec leurs deux enfants, à l’entrée de leur « paillourte ». Crédit : Morgan Bisson, 2020.

Quelques mois après leur arrivée, les ennuis commencent. Le maire de la commune vient leur rendre une visite peu amicale avec des conseillers municipaux, la discussion s’envenime avec les premières menaces d’actions en justice. Jonathan et Caroline cherchent une médiation, dialoguent avec des habitants et la gendarmerie. Une des cabanes qui empiétait sur un terrain laissé à l’abandon est déplacée. Mais le 14 octobre dernier, le maire revient accompagné du sous-préfet de Brives, d’un procureur et de gendarmes. Ils réclament la destruction de toutes les cabanes – huit au total, dont quatre d’habitats. « Cette situation est inconfortable certes, mais c’est un combat politique et nécessaire. Il faut mettre en lumière ces attaques, sortir du réflexe de se cacher pour que la honte change de camp, qu’elle soit du côté de ceux qui contribuent à la destruction des territoires », commente Jonathan. À travers l’initiative « gardiens des territoires » [1], il invite les propriétaires de terrains à les mettre à disposition de personnes qui s’engagent à « agrader », c’est à dire à entretenir et régénérer ces espaces à travers des prêts à usage simples et gratuits.

« Il y a encore beaucoup de stéréotypes sur les yourtes »

Ce combat, c’est aussi celui mené par Maëlle et son compagnon. Juste après le confinement, ils jettent leur dévolu sur une vieille grange, sise sur un terrain agricole en Bretagne, qu’ils prévoient de rénover et obtiennent pour ce faire le précieux permis de construire. Les travaux seront longs, alors le couple installe fin septembre une yourte sur le terrain à côté du chantier. Mais au même moment, un ancien conseiller municipal est élu maire de cette petite commune de moins de 3000 habitants. Le nouvel édile ne partage pas la tolérance de son prédécesseur. Début novembre, il se rend seul sur le terrain du couple. Faisant fi de la trêve hivernale, il leur enjoint de démonter la yourte dans les trois semaines, sous peine de poursuites.

L’Héliyourte diffère de la yourte par son ossature uniquement : toutes les autres techniques sont semblables. © Nolwenn Lenir

« On a le sentiment d’être vus comme des marginaux, il y a encore beaucoup de stéréotypes sur les yourtes. La mairie dit craindre que d’autres viennent ensuite, qu’on serve d’exemple. » C’est ce dont atteste un courrier reçu après le passage du maire indiquant que celui-ci « ne souhaite pas généraliser cette pratique sur la commune ». Le couple est déterminé à défendre ses rêves et leur toit temporaire : « Cela ne nous laisse pas le choix : soit on va jusqu’au bout, soit on démonte la yourte, mais ce serait pour nous un crève-cœur. On a mis notre vision et nos envies dans ce logement unique construit à partir de nos savoir-faire », explique Maëlle, qui est menuisière et dont l’ami est charpentier. Tous deux travaillent sur la commune et bénéficient « du soutien de la factrice et de voisins heureux de voir le hameau se repeupler un peu ».

Pour l’agrandir, cliquez sur la lettre envoyée par la mairie à Maëlle et son compagnon.

Pas le droit d’« habiter en harmonie avec la nature et leurs valeurs »

« La cabane à Xavier », sur la commune de Cléron dans le Doubs, est l’une des affaires emblématiques de ces « cabaneux » et amoureux des yourtes aux prises avec des élus locaux. Xavier Marmier, élagueur, érige en 2011, avec sa compagne Line, sur son terrain forestier une cabane dans un arbre majestueux pour y « habiter en harmonie avec la nature et leurs valeurs ». S’il avait obtenu l’accord amiable de la mairie, un changement de mairie fait là encore tout basculer. Le nouveau maire veut obtenir la destruction de cet habitat atypique et lance la commune dans un long et coûteux combat judiciaire. Après une victoire en première instance contre laquelle le maire a fait appel, puis une décision défavorable en cassation, l’avocat de Xavier, Randall Schwendorffer poursuit la bataille devant la Cour européenne des droits de l’Homme. Mais la requête est rejetée le 24 octobre dernier.

Enfant du pays, revenu dans le village de son grand-père, Xavier Marmier ne s’attendait pas à « une telle impossibilité de communiquer. Cela a bousculé mon rapport à l’autorité et ma confiance dans la justice, je m’aperçois que le droit peut être monopolisé par des maires shérifs ». Il arrive malgré tout à philosopher, considérant que « la cabane est par essence un nid éphémère, un lieu de passage dans la vie. Dix ans après sa construction, la justice me demande de détruire une alternative qui fait sens aujourd’hui alors que le monde se dégrade. Le futur devient difficile à imaginer, mais j’ai appris par ces combats que j’ai besoin des autres pour m’en sortir, j’ai donc envie d’aller vers des projets collectifs désormais. »

Aux fondements, une opposition à l’habitat traditionnel des communautés de voyageurs et forains

Fin 2019, la loi « Engagement et proximité » est venue renforcer les « pouvoirs de police des maires ». Elle leur octroie la capacité de dresser de lourdes astreintes financières contre les contrevenants au code de l’urbanisme, sans passer par la justice [2]. Contactées, des associations comme Hameaux légers ou l’Observatoire pour les droits des citoyens itinérants, tempèrent et indiquent ne pas avoir eu connaissance d’applications abusives de ces nouvelles dispositions.

Photos de cahutes, éco-habitat mobile. © Loic Schrobiltgen
Maison Nomade. © Loic Schrobiltgen

« La législation reste floue, peu cohérente, souvent impraticable et surtout le manque de bonnes volontés locales et nationales perpétue l’ostracisation habituelle, les discriminations les plus grossières à l’encontre des fondements du code de l’urbanisme et de la protection des droits fondamentaux », indique Paul Lacoste du réseau Halem (Association d’habitants de logements éphémères ou mobiles). Une partie du code de l’urbanisme qui entrave l’implantation d’habitats légers s’est construite en opposition aux roulottes et caravanes, l’habitat traditionnel des communautés de voyageurs et forains. Mais ceux-ci sont désormais remis aux goûts écolos avec les « tiny-house », ces mini-maisons en bois construites sur des remorques.

Une carte participative des villes accueillantes et écolieux collectifs

Heureusement, il existe sur tout le territoire français des villages et des élus qui se montrent plus ouverts et désireux d’attirer sur leur territoire ces personnes en quête d’une vie meilleure. « À l’issue des dernières élections municipales, de nombreux élus se sont adressés à Halem en quête d’informations et de stratégies pour favoriser l’inclusion de l’habitat léger mobile sur leur commune », confirme Paul Lacoste. Les élus locaux sont peu formés au code de l’urbanisme qui fait peser de lourdes responsabilités sur eux. Face à ce millefeuille juridique, peur et précaution se confondent souvent. « 95 % des gens sont à la frontière de la loi, mais vivent tranquillement, tient à rappeler Guillaume Salvert, créateur de cabanes et membre de l’association Habitat léger en Poitou. Pour cela, il faut développer une intelligence du territoire, essayer de comprendre sa dynamique, son activité et son rapport à l’habitat. »

Les nombreux témoignages que nous avons recueillis sur les réseaux sociaux auprès des groupes dédiés à l’habitat écologique et auto-construit, confirment que l’implication dans la vie culturelle et associative du village est un bon moyen de s’intégrer. L’association Hameaux légers a entrepris de réaliser une cartographie participative des 150 villes « probablement accueillantes » et d’« écolieux collectifs » où se mêlent habitats, activités agricoles et artisanales, projet de restauration d’espaces naturels et d’écotourisme, autant d’activités capables de faire vivre les zones les plus rurales, mais aussi de proposer un modèle innovant d’urbanisme pour les zones périurbaines précarisées et en recherche de transition.

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Sortir de la culture de l’endettement et du loyer cher

« Avec les crises actuelles, de plus en plus d’élus prennent conscience d’un besoin de faciliter l’installation d’habitats réversibles, mais ils reconnaissent aussi un besoin de pédagogie auprès des habitants pour faire accepter ces nouveaux arrivants », témoigne Xavier Gisserot, qui conseille les élus pour l’association Hameaux léger. Olivier Martin, maire (divers gauche) de la commune de Gagnières dans le Gard, fait partie de ces élus voulant faciliter l’installation d’habitats réversibles. Tout l’enjeu, rappelle t-il, est de savoir à la fois maintenir la population sur une commune, accueillir des populations plus jeunes d’acteurs, conserver des services publics comme les écoles et les crèches... « Pour cela, il faut être attractif » confie t-il [3].

Afin de poursuivre ce travail de sensibilisation auprès des élus locaux mais aussi des législateurs pour faire évoluer les normes, les divers acteurs du secteur ont fondé la « fédération de l’habitat réversible » en août 2020. Elle s’active déjà auprès du sénateur écologiste Joël Labbé sur un projet de loi pour faciliter l’installation d’habitat réversible dans le cadre d’activités agricoles et de micro-ferme. Pour ces associations comme leurs habitants, l’habitat réversible est à la fois un oasis et un levier pour faire évoluer notre rapport à l’habitat, pour sortir de la culture de l’endettement et du loyer cher, autant qu’une source d’inspiration pour construire les réseaux de solidarité si nécessaire à la résilience de nos territoires face aux changements climatiques et à la crise sociale. Quand les cowboys partiront, les indiens se réinstalleront.

Benjamin Sourice

Notes

[1Pour en savoir plus sur l’initiative Gardiens de territoires

[2Les précisions du ministère de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales concernant la loi Engagement et proximité

[3Témoignage extrait d’une vidéo de l’association Hameaux légers