Mouvement social

Une grève par la gratuité des transports est-elle possible ?

Mouvement social

par Sophie Chapelle

Le syndicat Sud Rail a proposé de mener la grève en rendant les trains gratuits. Mais face au refus de la direction de la SNCF, les sanctions contre ce type de grève pourraient être lourdes.

« Bloquer les trains [à Noël] n’est pas à la hauteur de l’histoire des cheminots », a martelé le ministre de l’Économie, Bruno Lemaire. Alors que les vacances de fin d’année se profilent, le gouvernement tente de faire basculer l’opinion publique contre le mouvement de grève face à la réforme des retraites.

C’est oublier que des syndicats, en particulier Sud Rail, ont proposé, avant le début de la grève le 5 décembre, une grève par la gratuité. « Concrètement, cela reviendrait à faire circuler normalement les trains, sans faire payer les voyageurs et sans contrôler les billets », explique Sud Rail. Un manière d’associer l’usager à la lutte, sans l’empêcher de se déplacer. Il deviendrait alors impossible pour les éditorialistes ou politiques de parler d’usagers « pris en otage ».

La première proposition par Sud Rail d’une grève par la gratuité remonte à 2009, soutenue par une fédération d’usagers. Elle s’appuie sur une décision de la Cour européenne des droits de l’homme de 2007, qui a validé la grève par gratuité menée par des agents publics d’un pont à péage en Turquie [1]. En France, être à son poste de travail sans exercer les missions pour lesquelles on est payé est considéré comme une faute lourde, pouvant donner lieu à des sanctions. En 1989, des contrôleurs avaient mis en œuvre « la grève de la pince », c’est à dire qu’ils assuraient leur service – sécurité, renseignement de voyageurs... (notre article sur leurs différentes missions) – mais sans contrôler les billets. Ils s’étaient fait lourdement sanctionnés à travers des retenues sur salaires. Cinq ans plus tard, la cour de cassation avait annulé ces sanctions [2]*. Cet arrêt ne remet néanmoins pas en cause le caractère illicite de cette forme d’action.

« A croire que la SNCF préfère les grèves qui gênent les usagers »

Si Sud Rail continue de faire valoir cette alternative, la direction de la SNCF s’y oppose. « Un ticket, c’est un contrat de transport. S’il y a un accident à bord d’un train, vous pouvez demander des comptes grâce au ticket », expliquait-elle en 2018. Bruno Poncet, secrétaire fédéral de Sud Rail, a une solution : « On peut éditer un billet à zéro euro, ça rejoint notre combat pour la gratuité partout. Dans un monde idéal, on ouvrirait les portiques aux usagers », illustre t-il.

Même Xavier Bertrand, président LR de la région Hauts-de-France s’agaçait, il y a un an, de l’attitude de la SNCF : « Qu’on arrête de nous bassiner avec ces prétextes d’assurances ! Il suffit que M. Pepy [ancien PDG de la SNCF, ndlr] fasse une note interne qui indique que les agents qui la pratiquent ne seront pas sanctionnés et la question est réglée. Quand on veut, on peut ! »

Pour la SNCF, ce type de grève ferait aussi courir un « risque d’incident aux usagers », en raison d’une potentielle ruée vers des trains qui seraient surchargés car devenus gratuits. Les images de ces derniers jours sur les lignes de RER franciliennes montrent que la rareté des trains n’empêche pas la ruée... bien au contraire. « A croire que la SNCF préfère les grèves qui gênent les usagers », résume Sud Rail.

En attendant, l’intersyndicale (CGT, FO, FSU, Solidaires, UNEF, MNL, FIDL et UNL) appelle « l’ensemble du monde du travail et la jeunesse à poursuivre et renforcer la grève, y compris reconductible là où les salarié-es le décident », dès le 19 décembre et jusqu’à la fin de l’année. « Sans annonce du retrait, il n’y aura pas de trêve. »

*La mention relative à l’arrêt de la cour de cassation a été ajoutée le 18 décembre à 13h.

Photo : Le 5 décembre, à Paris / © Anne Paq

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Notes

[1La CEDH a jugé que cet acte « pourrait être considéré comme une action collective d’ordre général dans le contexte de l’exercice des droits syndicaux ». Les actions judiciaires en dommages et intérêts engagées par l’administration turque ont constitué « une ingérence dans leur droit à la liberté d’association ». Source

[2La cour de cassation considère que les retenues de salaire effectuées par l’entreprise ferroviaire au titre de la grève à l’encontre de ces cheminots sont « une sanction pécuniaire illicite ». Les cheminots n’ont en fait pas fait grève, « n’ayant pas cessé leur travail, même si, à titre individuel, ils l’ont exécuté de manière défectueuse ». Source