Catastrophe climatique

« Nos dirigeants ont ruiné mon enfance et mon futur » : ces jeunes activistes qui bousculent les consciences

Catastrophe climatique

par Vanina Delmas (Politis)

Elles ont respectivement 9 ans, 15 ans et 24 ans. Elles vivent en Inde, en Ouganda et aux États-Unis. Licypriya Kangujam, Vanessa Nakate et Alexandria Villaseñor sont des figures de cette nouvelle génération qui se mobilise autour de l’écologie comme priorité. Portraits.

Ces portraits sont parus dans Politis du 3 décembre 2020, dans le cadre d’un dossier sur « La galaxie climat en pleine mue » à lire en ligne ici (abonnés).

Licypriya Kangujam, 9 ans, Inde : « Nos dirigeants ont ruiné mon enfance et mon futur »

Licypriya Kangujam ne veut plus qu’on la surnomme la « Greta de l’Inde » et l’a fait savoir aux médias via son compte Twitter. D’ailleurs, elle est la plus jeune répertoriée sur ce réseau social. Car Licypriya n’a que 9 ans mais milite déjà depuis plus de deux ans pour alerter sur l’urgence climatique. Ayant passé ses premières années dans les montagnes verdoyantes de la région du Manipur, Licypriya ne découvre la pollution de l’air qu’en 2016, lorsqu’elle déménage à New Delhi. En 2018, elle assiste avec son père à une conférence de l’ONU sur les catastrophes en Mongolie et décide de militer en fondant le Child Movement (Mouvement des enfants) pour sensibiliser à la protection de la planète. L’année suivante, elle manifeste pendant une semaine devant le Parlement indien afin que les politiques adoptent une loi de limitation des émissions de carbone du pays.

Lors de la COP 25 à Madrid, son discours bouscule les consciences : « Quand je suis née, nos dirigeants s’étaient déjà réunis seize fois à la COP et connaissaient déjà les effets néfastes du changement climatique. Alors pourquoi devrais-je venir ici ? Je devrais retourner à l’école, jouer, étudier… Mais nos dirigeants ont ruiné mon enfance et mon futur. » Pour son 9e anniversaire, le 2 octobre, elle demande que chaque personne plante un arbre. Souhait en partie exaucé : 240 000 arbres ont été plantés, donnant naissance à un nouveau mouvement, Monday for Mother Nature (Lundi pour mère Nature).

Vanessa Nakate : à 24 ans, une figure en Ouganda de la lutte contre le racisme environnemental

Tout est parti du témoignage d’un de ses oncles lui racontant que, vingt ans plus tôt, il faisait moins chaud en Ouganda, que la saison des pluies et la saison sèche étaient plus identifiables. C’était en 2018 et, depuis, Vanessa Nakate n’a cessé de lire pour comprendre ce qui se passe dans son pays. « Quand vous allez au nord, des gens pleurent à cause des longues périodes de sécheresse. À l’est, ils pleurent à cause des glissements de terrain, à l’ouest, c’est à cause des inondations. La crise climatique menace l’accès à l’eau et à la nourriture des Ougandais », raconte-t-elle sur France 24.

En 2019, à 23 ans, l’étudiante rejoint le mouvement pour le climat Fridays for Future et lance – seule – une grève. Puis elle fonde le Rise Up Movement, pour consolider les mobilisations et agir concrètement en installant des panneaux solaires ou des cuisinières écologiques dans les écoles. En janvier 2020, elle participe au Forum de Davos et donne une conférence de presse avec quatre autres activistes, mais la photo recadrée par l’agence AP la fait disparaître. « C’est la première fois de ma vie que j’ai compris la définition du mot racisme !, confie-t-elle dans une vidéo diffusée sur Twitter. L’Afrique est le dernier émetteur de gaz à effet de serre, mais nous sommes les plus touchés par la crise climatique. Que vous effaciez nos voix, notre histoire ne changera rien. Est-ce que ça veut dire que je n’ai pas de valeur en tant qu’activiste africaine ? Ou que les Africains n’ont pas du tout de valeur ? » Son autre combat est désormais de lutter contre le racisme environnemental, qui infuse depuis des décennies, même au sein des mouvements écologistes.

Alexandria Villaseñor, 15 ans, États-Unis : « Nous sommes capables de nous unir au-delà des frontières pour résister à toutes les oppressions »

Alexandria Villaseñor a 13 ans lorsqu’elle voit les flammes ravager la forêt de son enfance. C’était en novembre 2018 et il s’agissait de Camp Fire, l’incendie le plus meurtrier de Californie. Choquée et touchée personnellement à cause de son asthme, Alexandria s’instruit et découvre les liens entre le changement climatique et les incendies. Un mois plus tard, elle décide de faire grève chaque vendredi devant le siège des Nations unies à New York. Elle s’implique aussi dans l’organisation de marches pour le climat, comme celle de septembre 2019, trois jours avant le sommet de l’ONU sur le climat, où 250 000 personnes défilent à Wall Street.

Pour poursuivre son engagement, Alexandria fonde Earth Uprising, dont l’une des priorités est l’éducation aux sujets touchant au changement climatique. Elle fait aussi partie des seize enfants qui portent plainte contre cinq pays (France, Allemagne, Argentine, Brésil et Turquie) pour dénoncer l’inaction de leurs dirigeants comme une atteinte à la convention de l’ONU sur les droits de l’enfant. En octobre dernier, Alexandria prononce un discours très politique pour la campagne « Génération Égalité » d’ONU Femmes : « Nous avons besoin d’un changement de système pour défier le patriarcat, la colonisation et le capitalisme. Les femmes sont les artisanes de la paix du monde et les mères de la planète. Nous sommes capables de nous unir au-delà des frontières pour résister à tous les systèmes d’oppression afin de créer une planète saine et un avenir vivable pour toute l’humanité. »

Vanina Delmas

Photos : Lors des premières marches pour le climat, à Paris, en 2019 / © Eros Sana
Licypriya Kangujam / CC Dilanlekamge via Wikimedia Commons
Vanessa Nakate / CC Paul Wamala Ssegujja via Wikimedia Commons
Alexandria Villasenor / CC UN Women-Ryan Brown via Flickr.