Luttes écologiques

Soulèvements de la Terre : « Des citoyens engagés, ce n’est pas possible de les dissoudre »

Luttes écologiques

par Nils Hollenstein

Le gouvernement vient de prononcer le mercredi 21 juin la dissolution des Soulèvements de la Terre, mouvement composite à l’intersection des luttes écolos et locales. Derrière les accusations du ministre, la réalité de l’organisation est tout autre.

Après en avoir brandi la menace suite à la manifestation contre les mégabassines de Sainte-Soline fin mars, le gouvernement a prononcé mercredi 21 juin 2023 la dissolution des Soulèvements de la Terre. Nous republions notre article du 17 avril 2023 au sujet de ce mouvement composite à l’intersection des luttes écolos et locales.

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Si l’on en croit la note des Renseignements généraux sur le mouvement qui a fuité [1] , le collectif des Soulèvements de la Terre a « insufflé une nouvelle dynamique aux luttes écologistes », « su incarner le concept de transversalité des luttes » et « ingénieusement convaincu des militants habituellement adeptes d’actions de désobéissance civile à basculer vers la “résistance civile” ». Le service central du renseignement territorial a enquêté pendant des mois sur les Soulèvements de la Terre. Le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin avait qualifié le mouvement d’« écoterroriste » fin 2022.

Après la manifestation contre les mégabassines de Sainte-Soline le 25 mars dernier, il a menacé de dissoudre le « groupement de fait » que constitue ce rassemblement de multiples organisations et collectifs écologistes. Il peut le faire sur la base de la « loi séparatisme » adoptée en 2021. L’annonce de la dissolution d’abord attendue le jeudi 13 avril a n’a finalement pas eu lieu, le gouvernement indiquant prendre le temps d’instruire le dossier.

Le mouvement des Soulèvement de la Terre a débuté en 2021 par des actions de blocages éphémères contre l’artificialisation des terres agricoles, autour de jardins partagés, d’une zone d’agriculture urbaine, en opposition à l’extension d’une carrière de sable en Loire-Atlantique, contre des projets d’infrastructures destructrices de milieux naturels comme une déviation routière en Haute-Loire, ou le technopôle du plateau de Saclay.

Convergence entre organisations multiples

Fin 2021, les Soulèvements de la Terre commencent à s’engager contre les projets de mégabassines de rétention d’eau, ciblant « l’accaparement et l’intoxication des terres par le système agro-industriel ». Pour le collectif, les mégabassines en projet notamment dans les Deux-Sèvres, « ont un impact écologique majeur sur le territoire » et « alimentent la fuite en avant de l’agro-industrie ».

Les Soulèvements de la Terre constituent un large rassemblement d’organisations et de citoyennes. Les actions sur lesquelles ils décident de venir en appui sont, depuis le lancement du mouvement, décomposées en « saisons ». « Dès le début d’une nouvelle saison d’actions, on sait que ce ne sont pas les mêmes personnes qui vont s’engager avec nous », dit Léna Lazare, l’une des porte-parole du mouvement. Pour elle, « la rhétorique du gouvernement est complètement absurde. Ce qu’ils veulent dissoudre, c’est la dynamique construite ensemble, la convergence entre plein d’organisations de la société civile et de gens avec différentes expériences militantes. »

« Les Soulèvements, je dirais que c’est une campagne populaire et inclusive qui relie les combats écologistes d’un bout à l’autre du pays. Tout le monde peut se retrouver un jour ou l’autre, confronté à un projet d’autoroute, d’élevage intensif, de zone logistique, là où il vit, avance de son côté l’autrice et journaliste Célia Izoard, l’une des vingt coprésidentes de l’Association de défense des terres. L’association offre un soutien matériel et moral aux Soulèvements, en parallèle d’autres activités comme l’aide à l’installation paysanne et l’achat de terres collectives. La décision de constituer une coprésidence large a émergé peu de temps avant Sainte-Soline, comme manière de réaffirmer un soutien moral et symbolique », ajoute la coprésidente.

Marie Pochon, députée Nupes de la 3ᵉ circonscription de la Drôme, fait également partie de cette coprésidence pluraliste. Elle souligne le caractère protéiforme des Soulèvements de la Terre. C’est « un mouvement et des idées pour venir en appui à d’autres luttes locales », décrit-elle. Le mouvement réunit « des citoyennes et citoyens qui ne se connaissaient pas avant, pas forcément mues par les mêmes idées et qui se retrouvent autour d’un petit bout de terre commun face à des projets imposés d’en haut », ajoute l’élue.

Une stratégie collective

La stratégie de mobilisation qui semble avoir tant impressionné le renseignement français repose d’abord sur une décision collective. « Quand une lutte se retrouve bloquée au niveau local, que tous les recours ont été épuisés, le mouvement peut venir appuyer la lutte localement pour en faire une question nationale et faire venir du monde. Tout cela est décidé en assemblée, avec des propositions d’action précises », détaille Léna Lazare.

Avec encore et toujours en toile de fond, la lutte contre l’artificialisation des terres et contre les industries qui y sont liées, du béton aux pesticides. Christophe Bonneuil, historien des sciences et également coprésident de l’Association de défense des terres écrivait à ce sujet dans Politis qu’« il s’agit de reprendre la Terre à ceux qui l’effondrent, de reprendre des terres à ceux qui les accaparent, les bétonnent, les intoxiquent ».

Le « désarmement » comme principe

Le mode d’action des Soulèvements de la Terre est présenté comme de « l’écoterrorisme » par Gérald Darmanin. Le mouvement conteste totalement cette accusation. « Au sein des Soulèvements, il est question de “lutte contre les outils de destruction” et de “désarmement”. On est très loin de l’image que certaines et certains veulent en donner, insiste Marie Pochon. C’est aussi une manière de dénoncer et montrer le caractère très violent et destructeur du système en face, destructeur entre autres de la ressource en eau et de l’habitabilité de la Terre. »

« Le démontage d’infrastructures écocidaires fait partie de notre stratégie de désarmement , complète Léna Lazare. Ce qui est propre aux Soulèvements de la Terre, c’est que cela se fait de jour, à plusieurs milliers de personnes et à visage découvert. Ça peut rappeler le démontage du McDo de Millau en 1999 ou les actions des faucheurs d’OGM. On assume de s’inscrire dans cette tradition-là. »

En réponse au lancement de la procédure de dissolution par le ministre de l’Intérieur, les avocats du mouvement ont développé cette notion dans leur réponse contradictoire : « À l’image des mouvements qui appellent à “désarmer la police” par l’interdiction de certaines armes et la baisse de certains financements ; promouvoir l’idée d’un “désarmement” de l’industrie du béton et du complexe agro-industriel, c’est avant tout porter un débat citoyen sur la préservation des terres agricoles et des espaces naturels. »

Des luttes locales

Cette stratégie ne se résume pas au démontage d’infrastructures. Au-delà de la mobilisation contre les mégabassines qui a retenu toute l’attention médiatique, les Soulèvements de la Terre ont embrassé de multiples autres luttes locales.

En appui à des collectifs citoyens déjà mobilisés sur place, le mouvement s’est engagé contre l’artificialisation de jardins populaires autogérés et de parcelles agricoles menacés pour la construction d’un écoquartier à Besançon. « On a réalisé l’installation sauvage de deux maraîchères. C’est une action qui peut paraître moins spectaculaire, mais qui reste hyper forte », se souvient Léna Lazare.

Les Soulèvements ont aussi participé à la remise en état d’un vignoble dans le Jura, ou à de courts blocages d’industries de la construction près de Paris. « Les Soulèvements de la Terre, ce n’est pas 15 personnes autour d’une table, mais bien des citoyennes et citoyens engagées partout dans des luttes locales, souligne la députée Marie Pochon. Et ça, ce n’est pas possible de le dissoudre. »

Nils Hollenstein

Photo : ©Soulèvements de la Terre.