Ma part du gâteau

Des révélations et des révélations…

Ma part du gâteau

par Christophe Guichet

Toute la presse en parle, vive la transparence ! Vive Wikipeaks ! Poutine est le vrai maître de Russie, Berlusconi est un guignol épuisé par ses soirées de débauche, Merkel n’est pas créative, Sarkozy est autoritaire, Israël s’est rapproché de certains États arabes pour que les États-Unis attaquent l’Iran… Des pages et des pages sur Tony Blair, Hugo Chavez, Strauss-Kahn… tel ambassadeur, tel ministre, telle personnalité… Et sur moi ? Rien.

Sur moi ? Rien. Pas un mot. Nada. Voilà, c’est toujours les mêmes… Pourtant j’ai tout fait : je suis sur Facebook, j’ai un portable, je consulte Internet tous les jours et même parfois j’y fais des achats. J’ai beau exposer mes idées, sans me dissimuler, sur la politique israélienne, sur le port du voile, sur le dérèglement du climat… Rien. Je ne suis pas même pas digne d’être espionné.

C’est une honte ! Alors que je suis en pleine recherche de reconnaissance publique, Wikileaks m’ignore et me rappelle que je ne suis rien ! Quel monde pourri ! Quelle injustice ! Wikikliks me ramène à mon droit warholien : « 15 minutes de célébrité » et c’est tout. Le souci c’est que je les ai déjà eues mes 15 minutes. Peut-être qu’à l’heure de la mondialisation, on a le droit à du rab… en plus court mais à l’échelle internationale ? Genre un petit « 5 minutes » ? L’espoir fait vivre…

Vive la transparence, mais je suis transparent ! J’ai des revenus moyens, je viens d’un milieu de Français moyens, je fais des déclarations d’impôt, j’ai un physique passe-partout… si pour une fois, une seule petite fois, je pouvais être au centre d’un vrai beau scandale avec secrets d’État et des millions de rétrocommissions. Être l’homme de l’ombre dont tout le monde connaît le nom mais n’ose pas le prononcer, être celui qui pourrait faire tomber un pouvoir, être celui qu’on veut faire taire, être celui qui peut refuser de sauver économiquement une nation, être même celui qui ment aux yeux du monde entier pour déclencher un conflit sanglant… je pourrai enfin crier avec tous ces noms cités chez Wikispeak.

Une phrase d’un personnage d’Heiner Müller : « Je vais me découper une part du gâteau du monde, je vais me découper Ma part du gâteau du monde. Vous, vous n’avez pas de couteau … » Mais peut-être que parmi toutes ces célébrités de chez Wikipeaks, je suis le seul à connaître Heiner Müller ? Je l’ai même rencontré, je l’ai même joué, je lui ai même parlé, et il y avait encore le mur entre les deux Berlin.

Il m’a parlé de la trahison, de l’importance de la trahison. De ses yeux qu’il n’a pas ouverts quand, enfant, les nazis sont venus arrêter son père. D’avoir choisi pour sa vie d’homme, le régime politique le moins hypocrite. De la nécessité d’interroger encore et toujours les grands mythes. De ne pas s’arrêter à sa compréhension du monde. De traquer l’humain dans tous ses recoins en espérant pouvoir ainsi essayer de commencer à comprendre le mystère de nos parcours…

Tout compte fait, continue à m’ignorer Wikispeaks ! Merci d’avance.

Christophe Guichet, metteur en scène