On en agro !

« Ce que produit l’agro-industrie, c’est de la souffrance » : l’urgence d’enquêter pour dénoncer ces pratiques mortifères

On en agro !

par Nils Hollenstein

basta! organisait ce lundi 19 juin, un débat sur le système agro-industriel et le rôle de l’enquête journalistique pour y faire face. Les invitées ont toutes et tous mis en lumière une logique destructrice décomplexée qu’il est urgent de contrer.

- L’organisation de ce débat a été pensée dans le cadre du lancement de notre newsletter On en Agro ! Pour s’inscrire (gratuitement) c’est ici.

« Hécatombe. » C’est le mot qui vient à l’esprit de notre journaliste spécialisée dans les questions agricoles et alimentaires, Sophie Chapelle, lorsqu’elle pense à l’agro-industrie. Un constat unanimement partagé par les invitées du débat organisé par basta! ce lundi 19 juin au tiers lieu La REcyclerie à Paris.

Devant un public d’une soixantaine de personnes, quatre profils différents : Guillaume Coudray, journaliste d’investigation et auteur de plusieurs livres sur les scandales des viandes nitrées ; Mathilde Hignet, députée LFI-NUPES et ouvrière agricole ; Éric Louis, cofondateur de l’association « Cordistes en colère, cordistes solidaires » et Gaspard Manesse, maraîcher et porte-parole de la Confédération paysanne en Île-de-France. Toutes et tous s’accordent pour dénoncer un système agro-industriel mortifère.

« L’agro-industrie ne respecte ni la biodiversité, ni la vie animale, ni la vie humaine »

Gaspard Manesse critique l’obsolescence d’une « agriculture de guerre » inscrite plus largement dans un « puzzle industriel et extractiviste ». Une dimension industrielle destructrice pour les petites exploitations agricoles, menacées par la concentration des terres et des moyens, souligne Mathilde Hignet : « Les agriculteurs sont sans cesse poussés à produire plus, mais gagnent toujours aussi mal leur vie. Un agriculteur se suicide tous les deux jours en France. Ça montre bien que ce que produit l’agro-industrie, c’est de la souffrance. »

Les conséquences délétères de ce système sont aussi visibles dans le quotidien de vies humaines et non humaines. Évoquant les poulaillers industriels, Éric Louis s’insurge contre « un univers concentrationnaire et une négation totale de la vie », tout en dénonçant le cynisme de l’agro-industrie face aux nombreux accidents dont ses collègues cordistes ont été victimes. « Sept ouvriers ont perdu la vie dans les sucreries de Cristal Union depuis 2010, sans compter les blessés et les brûlés au 3e degré », recense-t-il. « L’agro-industrie ne respecte ni la biodiversité, ni la vie animale, ni la vie humaine. Elle dégrade la santé, blesse et tue des gens. »

Le public assis dans la salle du tiers-lieu La REcyclerie à Paris lors du débat organisé par Basta!.
Questions du public
Deux séquences de questions étaient prévues entre les interventions des invitées.
© Nathalie Quiroga

Guillaume Coudray illustre d’ailleurs l’impact des pratiques agroalimentaires sur la santé en fustigeant l’utilisation d’additifs nitrés dans l’industrie de la charcuterie. Additifs dont la science a démontré la cancérogénicité. « Une véritable entreprise de falsification de la science » portée par le lobby des viandes nitritées est en place depuis de nombreuses années, alerte-t-il. « Le gros verrou responsable de l’absence de changement en la matière, c’est le ministère de l’Agriculture. »

« Il faut absolument se réapproprier la connaissance »

Face à cet état des lieux qui peut décourager, nos quatre invitées ne baissent pas les bras. « Ce qui me frappe, c’est la manière dont l’émergence et la médiatisation d’une problématique dépendent d’engagements individuels », pointe Guillaume Coudray. Il est persuadé « de la nécessité d’enquêter et de développer une véritable expertise sur un sujet, même si l’on n’est pas un scientifique ».

Il est rejoint en cela par Gaspard Manesse, pour qui la bataille des OGM a pu être gagnée grâce au renfort des scientifiques dans la lutte sur le terrain. « Il faut absolument se réapproprier la connaissance et amener une expertise intraitable, implacable », souligne le maraîcher et porte-parole de la Confédération paysanne.

Sur un autre plan, c’est le concept de « caisse de résonance » qui interroge autant le public que les invitées. Comment faire pour que ces connaissances et l’information dépassent les cercles militants et initiés ? Mathilde Hignet en est persuadée : « En tant que parlementaire, on a notre rôle à jouer pour incarner cette caisse de résonance. Il faut être sur le terrain et c’est là qu’on voit que ça commence à marcher. »

Éric Louis partage son ressenti et l’élargit aux médias : « Ce qu’on fait est essentiel. Même si c’est pour de petits cercles ou des gens convaincus, il faut le faire. Toujours avec la perspective de fenêtres qui s’ouvrent çà et là dans les médias mainstream. Et d’ailleurs, un ancien collègue disait : “La presse alternative n’est pas une alternative”. »

Nils Hollenstein

Photo de une : Lors du débat à La REcyclerie à Paris le lundi 19 juin © Maÿlis Dudouet