Salaires

Grève des pompiers à la SNCF : feu sur la sous-traitance

Salaires

par Ludovic Simbille

Depuis un mois et demi, les pompiers de la gare d’Austerlitz, à Paris, sont en grève. Payés 1 200 euros par mois, ils revendiquent une augmentation de salaire. Leur employeur, un sous-traitant de la SNCF, reste pour l’instant intraitable. Au risque de menacer la sécurité des usagers.

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« C’est quand même incroyable, cela fait plus de 45 jours que nous sommes bloqués pour 150 euros », résume Julien Bracq, syndicaliste CGT dans une entreprise de sécurité privée. Entre une tente igloo et un brasier dans la cour de la gare d’Austerlitz à Paris, cet agent de sécurité incendie et ses 13 collègues tiennent tête à leur employeur depuis le 3 octobre : la société Lancry Sécurité Protection, prestataire de sécurité pour la SNCF dans les gares d’Austerlitz, du Nord, de l’Est et de Montparnasse. Les négociations sont au point mort. À leur demande de hausse des salaires, la direction oppose un changement de rythme de travail.

Une entreprise peut en cacher une autre

Employés en CDI depuis février 2009, ces sapeurs-pompiers, affectés au site d’Austerlitz, regardent passer leurs employeurs au gré des rotations du marché. Ils deviennent la variable d’ajustement. Avant Lancry, le prestataire s’appelait James Sécurité. « Nous avions les heures supplémentaires, notre salaire de base était à 1 200 euros et pouvait monter à plus de 1 500 euros grâce à une ou deux vacations en plus », explique Teddy, l’un des pompiers grévistes. Au passage de relais à Lancry, en juin 2010, terminé les heures sup’. La société instaure une modulation des heures sur trois mois ou sur l’année. « Les deux premiers mois, ils nous font bosser comme des tarés et le troisième mois nous avons deux ou trois vacations. » Résultat :« Avec Lancry, nous avons perdu 200 à 300 euros. » Sans oublier que leur qualification de sapeur-pompier, exigée au recrutement, ne se traduit pas sur la fiche de paie.

Les pompiers goûtent ainsi aux joies de l’externalisation de leur activité, au détriment de leurs conditions de travail. « Ça part en vrille. Nous n’avons pas les plannings en temps voulu pour pouvoir ensuite poser des gardes dans les casernes », déplore Teddy. Un autre gréviste, Jérémie Tassin, renchérit : « On n’a pas d’ordres de mission. On ne sait même pas qui est à même de nous donner des ordres, est-ce Lancry, ceux qui nous payent, ou est-ce la SNCF ? » Alors ils apprennent l’autonomie et « font à leur sauce ». Extincteurs, plans de repères, détections incendie des bâtiments et du RER : à leur arrivée, toute la sécurité incendie était à refaire. « On a abattu un sacré boulot. Lancry, tout ce qu’elle avait à faire, c’est encaisser le chèque », relève Teddy.

« On parle salaires, ils nous parlent horaires »

Cela n’empêche pas les gestionnaires de l’entreprise d’imposer leurs choix. Lancry souhaite passer les vacations de 24 heures à 12 heures. Ce que refusent catégoriquement les pompiers d’Austerlitz. Ils tiennent à leurs six vacations mensuelles de 24 heures, suivies de 96 heures de repos. « Le fait de travailler en 24 heures est un acquis pour nous. Cela nous permet de faire nos gardes ailleurs, en tant que pompier volontaire. On ne serait pas ici si c’était sur douze heures », détaille Julien Bracq. Après une première grève, ils avaient obtenu gain de cause. Mais, cette fois, la direction de Lancry a coupé court à toute négociation en conditionnant l’acceptation des revendications salariales à ce changement d’horaires. « On leur parle salaires, ils nous parlent horaires, c’est la politique de l’autruche », lance Jérémie Tassin.

En fait, la stratégie patronale est assez rusée. L’Inspection du travail, qui assure la médiation, serait plutôt gênée aux entournures sur cette question. Difficile de ne pas faire respecter le code du travail, qui impose un temps de travail consécutif maximal à douze heures. En particulier depuis la modification de la directive sur le temps de travail, actuellement en révision à la Commission européenne. Celle-ci bouleverserait toute l’organisation de la sécurité civile française. D’où la « réponse funambule » qu’aurait donnée la direction générale du travail aux grévistes sur le maintien des 24 heures : « Je ne vous dirai jamais que les 24 heures sont interdites, sinon on me mute à Saint-Pierre-et-Miquelon. »

« Le RER brûle, et c’est le tunnel du Mont-Blanc »

En attendant, les salariés ne voient toujours pas l’ombre de leurs 150 euros revendiqués. Pourtant, c’est une bagatelle pour cette entreprise aux 81 millions de chiffre d’affaires. Et Lancy fait partie du groupe Atalian, qui compte un milliard de chiffre d’affaires. Pourquoi un tel entêtement ? « Il doit y avoir un problème de responsabilité et d’ego quelque part ; ils ne veulent pas donner l’impression que les grévistes ont gagné », estime Julien. En comparaison, il raconte comment la grève de leurs collègues de gare du Nord face à James Sécurité, dix fois plus petite que Lancry, a été réglée. « Ils se sont mis en grève le matin à 7 h. Ils avaient exactement les mêmes revendications. À 11 h, c’était fini. Tout était accepté. »

Lancry préfère piétiner le droit de grève en remplaçant les pompiers grévistes par le personnel administratif. Cette fois, les usagers ne pourront pas dire qu’ils sont « pris en otages ». Sauf que le code de l’habitation et de la construction soumet l’exploitation d’une gare à la présence de sécurité incendie. La gare d’Auterlitz devrait donc être fermée depuis le 3 octobre pour des raisons évidentes de sécurité. Avec en moyenne un ou deux incidents par jour, on imagine mal les comptables et les chargés de planning du sous-traitant secourir un voyageur blessé. « Les mecs qui bossent en bas sont incapables de mettre en route un désenfumage. Si ça brûle au RER, là c’est le tunnel du Mont-Blanc », commente un pompier.

Le Comité d’hygiène de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) a déposé des droits d’alerte qui, jusque-là, sont restés lettre morte. « On peut faire de l’intox, mais imaginez-vous que si nous n’avions pas eu les garanties d’une sécurité-incendie conforme, la SNCF aurait laissé une gare dans un tel fonctionnement ? Même si ce ne sont pas les salariés habituels, Lancry nous a assuré de leurs compétences », précise Gilles Peuziat, directeur de communication de la SNCF.

La SNCF responsable ?

Officiellement, la SNCF ne s’ingère pas dans le conflit, qui a pour origine, selon elle, « la conformité avec le droit du travail ». Ce qui ne l’a pas empêché de faire appel aux CRS le 7 octobre dernier pour déloger les pompiers de leur poste de commandement. « C’était une entrave au fonctionnement de la sécurité de Lancry », justifie Gilles Peuziat. La SNCF envoie régulièrement des huissiers sur le piquet de grève, accusent les grévistes. Pour les salariés, la SNCF, en tant que donneur d’ordres, doit assumer sa part de responsabilité.

Car, en matière de sécurité incendie, elle fait appel à des sous-traitants depuis 2001. L’objectif était de décharger la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris en mettant en place un secours spécialisé et compétent dans les premières techniques secouristes, les sapeurs-pompiers de Paris n’intervenant qu’en cas de transport à l’hôpital. Par le jeu des appels d’offres, elle participe indirectement au moins-disant social, regrettent les grévistes. « C’est automatique, les boîtes qui arrivent essaient de faire des bénéfices maximum. Il y a un jeu de la SNCF qui n’améliore pas les conditions de travail, c’est de pire en pire », constate Julien Bracq. La SNCF ferait cependant pression sur son prestataire pour qu’il trouve une issue, elle aurait même contacté d’autres prestataires possibles.

Et se faire embaucher directement par la SNCF ? Cela pourrait mettre fin aux imbroglios liés à l’externalisation. « Ce serait une solution. Mais cela représente un coût d’avoir une sécurité. S’ils font de la prestation, ce n’est pas pour rien », observe Teddy. L’embauche directe des ces « pompiers de site » par la SNCF n’est pas d’actualité. D’après la société, cela imposerait de créer un service de ressources humaines pour gérer des carrières d’employés diplômés en sécurité. « Ce n’est pas notre métier, ce serait trop lourd. On préfère faire appel à des professionnels », répond Gilles Peuziat. Le représentant CGT promet, lui, que cette « utopie » sera bien posée sur la table des négociations. Comme quoi il n’y a pas que la SNCF qui a des idées d’avance.

Ludo Simbille