#LesDéconfinés

Esperanza, aide-soignante : « On nous demande de fabriquer nos propres masques »

#LesDéconfinés

par Hugo Boursier (Politis)

Le monde est en pause, mais eux continuent de s’activer. Et de prendre des risques. En ces temps d’épidémie, découvrez la vie et le travail de ceux qui ne sont pas confinés. Aujourd’hui Esperanza, aide-soignante dans un hôpital francilien. #Lesdéconfinés, une série à suivre sur Politis et Basta!

Je travaille comme aide-soignante dans un centre hospitalier en Essonne. Pour le moment, on reçoit les patients des hôpitaux de Paris, pour les vider au maximum. Mais on accueille aussi des personnes atteintes du coronavirus. On a mis en place des unités spécialisées avec des sas. On nous demande déjà de faire des journées en plus, mais selon moi on ne va pas tarder à nous réquisitionner. On sent que cette épidémie prend une grande ampleur, avec un pic pressenti pour le dernier week-end de mars.

On ne connaît pas précisément le nombre de cas. Dans mon service, on a plusieurs suspicions et un patient avéré. Le protocole, c’est que l’on teste, s’ils présentent les symptômes habituels – toux, fièvre, problèmes respiratoires –, tous les « patients coronavirus » envoyés par le 15. S’ils n’ont pas de symptômes, on ne les teste pas. Ensuite, ils sont dirigés vers un centre dédié. Quand les hôpitaux parisiens vont être submergés par les cas, on devra les recevoir.

Mais tout cela reste encore bien flou et on a des informations au jour le jour. Beaucoup de soignants ont peur car ils ont eux-mêmes des pathologies cardiaques, ou du diabète. Ils sont donc considérés comme fragiles. Alors on évite, dans la mesure du possible, de les mettre avec des patients atteints de coronavirus, dont le service va être prochainement agrandi. Depuis le début de semaine, les visites sont interdites sauf pour les personnes en fin de vie. Ce n’est pas toujours accepté par les familles, qui ne comprennent pas non plus les consignes du gouvernement.

Un masque par jour, « c’est de la décoration »

En ce qui concerne le matériel, on devrait tous travailler avec des masques chirurgicaux. Mais on en a un par jour, ce qui est largement insuffisant puisqu’ils ne servent à rien après quatre heures d’utilisation. C’est de la décoration. On arrive donc souvent sans masques dans des chambres occupées par des patients dont on ne sait pas s’ils ont été testés. Si on s’aperçoit qu’ils ont une toux sèche, des diarrhées ou s’ils sont fébriles, on risque d’être contaminés. Du coup, on nous demande, oralement, de fabriquer nos propres masques avec différents tissus. Les masques FFP2, eux, sont réservés aux patients atteints du Covid-19. Pour les professionnels de santé qui doivent gérer au compte-goutte, c’est vraiment la catastrophe. On nous dit que les stocks vont être réapprovisionnés, mais on ne sait pas quand.

On a eu une suspicion supplémentaire sur une patiente en milieu de semaine. Elle avait tous les symptômes d’une grippe, mais on ne l’a pas testée pour le coronavirus. Parmi le personnel hospitalier, six ont été en contact avec elle. Dont moi. Et on n’avait pas toujours nos masques sur nous. Donc possiblement, je suis infectée, tout comme certains de mes collègues.

J’espère que l’on recevra un dédommagement de tous les risques que nous prenons et qui exposent très fortement notre famille avec cette épidémie. Mais je pense que cette idée va rester à l’état de rêve, malheureusement.

Recueilli par Hugo Boursier

*Le prénom a été changé.

Cet article a été initialement publié par Politis le 22 mars 2020. Pendant toute la durée de la crise du coronavirus, les rédactions de Basta! et Politis se coordonnent pour couvrir les événements et proposer une information indépendante sur la pandémie.

Photo : CC Francisco Àvia, Hospital Clínic, Barcelone, mars 2020