Santé au travail

Victimes de l’amiante : un déni de justice qui dure depuis 15 ans

Santé au travail

par Nolwenn Weiler

Les premières contestations des non-lieux prononcés en 2017 dans le dossier pénal de l’amiante arrivent devant la justice. Portées par les familles de victimes, ces contestations sont examinées par la cour d’appel de Paris, qui peut décider – ou non – de relancer la possibilité d’un procès pénal.

Ils seront dix à être représentés par leurs avocats ce vendredi 6 novembre, face à la cour d’appel de Paris : dix anciens ouvriers de l’arsenal de Cherbourg, en Normandie, qui se sont abîmé la santé, et tués, à construire des sous-marins. Tuyauteurs, calorifugeurs, charpentiers ou soudeurs, ils ont respiré de l’amiante à longueur de journées, et pendant des années, sans n’être jamais avertis du danger.

Des plaintes déposées il y a 15 ans

Les plaintes déposées par leurs épouses et enfants en 2005 n’ont jamais abouti. Pire : elles ont été gommées par un non-lieu en janvier 2019. « Ces non-lieux sont un déni de justice. Il fallait les contester. Les plaignants l’ont fait, assumant avec courage l’épreuve douloureuse de ce marathon judiciaire inhumain », déclare l’association nationale de défense des victime de l’amiante (Andeva). C’est sur cette contestation que se penchera la cour d’appel ce vendredi 6 novembre.

« La cour s’honorerait en annulant ces non-lieux », pense l’Andeva qui continue d’espérer un procès pénal de l’amiante, pour voir les responsables jugés. « On savait que l’amiante était mortelle, rappelle Pascal Canu, président de l’Adeva Cherbourg. Le service d’hygiène des ports l’avait relevé dès 1950 ! » En Normandie, les victimes se comptent par milliers, notamment au sein de la Direction des constructions navales (DCN), devenue Naval Group, qui construit des navires militaires. « Entre 1977 et 2012, il y a eu 1500 déclarations de maladies professionnelles liées à l’amiante à la DCN de Cherbourg, décrit Pascal Canu. Cela représente un tiers des maladies professionnelles du ministère de la défense. »

Un dossier similaire à celui des ouvriers de la DCN a été jugé le 16 octobre dernier par la cour d’appel : celui de Gilbert et Angelo Giaretta, frères jumeaux, morts d’un mésothéliome en 2002 et 2004. Tous deux avaient travaillé sur le site d’Everite (Saint Gobain) à Dammarie-les-Lys, en Seine-et-Marne. L’usine était spécialisée dans la production de tôles et de tuyaux en amiante-ciment. Sur le site, les fibres d’amiante voltigeaient partout.

Un « permis de tuer » pour les employeurs ?

Cela fait trois ans déjà que le marathon judiciaire lié aux non-lieux a commencé. En juin 2017, les juges d’instruction du pôle santé publique en charge du dossier amiante annoncent la clôture de leurs enquêtes. Motif invoqué : il est impossible de dater le moment où la faute a été commise et donc de l’imputer à quiconque. Dans la foulée de cette ordonnance, des non-lieux sont prononcés pour les différentes plaintes déposées. Révoltées par cette annonce d’impunité, les associations de victimes estiment que l’argument avancé est « scientifiquement inepte, car l’intoxication par les fibres d’amiante n’est pas un fait accidentel isolé, c’est un processus cumulatif. C’est donc la période et non la date d’intoxication qui doit être prise en compte ».

Elles estiment par ailleurs que l’argument est « juridiquement infondé, car la jurisprudence montre qu’il est possible de mettre en cause la responsabilité pénale de plusieurs personnes dont les actions (ou l’inaction) ont concouru, à des titres divers, à la réalisation d’un dommage ». Pour l’Andeva, l’argument des juges d’instruction – impossibilité de dater l’intoxication, donc impossibilité d’attribuer la faute à quiconque – pourrait s’appliquer en tout lieu et en tout temps à d’autres produits dangereux.

Le valider serait rendre « injugeables a priori » les décideurs économiques et politiques, quelle que soit la gravité des fautes pénales commises, dès lors que des victimes ont été exposées à un cancérogène, voire à tout agent dont les effets sur la santé ne sont pas immédiats. L’association estime qu’une telle jurisprudence ferait reculer la prévention et délivrerait un véritable « permis de tuer » aux employeurs.

Photo : rassemblement de l’Andeva devant le palais de justice de Paris en 2013. Crédit : Andeva.