Immigration

Vichy, capitale de l’intégration ?

Immigration

par Stéphane Fernandez

Les 3 et 4 novembre, Vichy accueille une Conférence ministérielle européenne sur l’intégration. Provocation ou maladresse, la polémique enfle.

Photo : Bertrand Gaudillère/Collectif Item

Le ministre de l’Immigration et de l’Identité nationale en a donc « ras-le-bol de cette histoire du passé » (voir la vidéo où l’on apprend au passage qu’à l’origine, Brice Hortefeux voulait y tenir une conférence sur l’asile). C’est pour tordre le cou à la mauvaise réputation qui plane depuis 60 ans sur Vichy qu’il a décidé coûte que coûte que l’un des événements de la présidence française de l’Union européenne se déroulerait dans la bonne ville thermale. Pourquoi pas, après tout. Les Vichyssois d’aujourd’hui n’ont pas à payer indéfiniment l’opprobre qui pèse avec raison sur le gouvernement français qui y siégeait durant la Seconde Guerre mondiale.

Reste que le thème choisi, l’intégration, et la puissance invitante, le ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale ne prêtent pas à sourire. Il est des symboles qu’on évite de réveiller. Et, dans ce domaine, la maladresse n’est pas de mise. L’analyse des historiens du Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire à lire ici est à cet égard éclairante : « L’anti-repentance agit encore ici comme un opérateur politique qui empêche l’intelligibilité du passé en détournant les regards vers un présent dépourvu des composantes historiques les plus embarrassantes. Notre travail d’historiens consiste cependant à rappeler que seule la compréhension des enjeux propres à un moment historique - aussi sombres soient-ils - permet la projection d’un avenir collectif qui repose sur un passé pleinement assumé », concluent-ils notamment.

Bons et mauvais migrants

Côté texte, notre bon ministre de l’Identité nationale tentera de faire accepter par ses collègues des 26 autres États membres lors de cette Conférence interministérielle quelques-unes des rengaines du discours français en matière d’intégration. Notamment sur le respect des identités des États membres, sur le parcours d’intégration qui doit commencer « dans certains cas, avant le départ, dans le pays d’origine ». Étant données les barrières faites à l’entrée des étrangers dans l’espace Schengen, on ne peut que se demander comment les candidats à la migration pourraient préparer un quelconque parcours d’intégration avant même d’envisager un départ. Peut être que l’on demandera désormais aux migrants qui souffrent de faim et de soif sur les routes d’Afrique, sur les embarcations précaires qui les amènent jusqu’aux Canaries ou dans les centres de rétention de « préparer leurs parcours d’intégration » ? Plus prosaïque, le texte qui sera adopté à Vichy dessine en creux à l’échelle européenne une immigration choisie, dans laquelle les “bons” migrants seront bien accueillis avec une aide à l’emploi quasi-individualisée ou un accompagnement pour leurs démarches sociales. De quoi faire rêver les centaines de personnes qui croupissent derrières les grilles des centres de rétention.

Parmi les « valeurs » de l’Union européenne que les nouveaux arrivants doivent apprendre et intégrer, on trouve aussi le respect de l’égalité entre hommes et femmes. La France est pourtant bien loin de pouvoir se targuer de respecter elle-même ce principe : les hommes y gagnent “à peine” plus de 20% que les femmes à temps de travail équivalent et, autre statistique intéressante, les femmes sont à peine 18,5% à l’Assemblée nationale ! Du côté des violences conjugales, environ 400 femmes meurent chaque année en France sous les coups de leurs conjoints. En Europe, la violence au sein des couples serait même la principale cause de décès et d’invalidité avant même le cancer, indique un rapport du Conseil de l’Europe. Pas de quoi pavoiser, et surtout pas de quoi donner des leçons en matière d’égalité hommes-femmes.

Préférence communautaire

La même critique peut être faite sur l’accès à l’emploi et la promotion de la diversité inclus dans le projet de déclaration. « L’accès à l’emploi constitue une étape déterminante du parcours d’intégration » est-il ainsi proposé à nos partenaires européens. Quels emplois ? Quelle intégration ? Les taux de chômage relevés dans certains quartiers de Seine-Saint-Denis où se concentre une forte proportion d’immigrés apportent un tout autre éclairage sur les "bons sentiments" de ce texte qui entend « orienter les immigrés vers les secteurs de développement d’emplois et d’activités ». Ou comment dire de manière presque poétique « vers les emplois dont les Européens ne veulent pas » !

Au-delà donc de la polémique sur le lieu où se déroulera la conférence, qui est loin malgré tout de constituer un “détail”, la présidence française de l’Union européenne aura donc servi à faire avancer dans l’espace communautaire la vision française purement utilitariste de l’immigré. Et sur ce sujet, la conférence de Vichy ne sera au fond qu’un épiphénomène, comparé à l’adoption, par le Conseil européen des 15 et 16 octobre 2008 du Pacte européen sur l’immigration et l’asile. Celui-ci reprend une notion que ne renierait pas Jean-Marie Le Pen : « la préférence communautaire ». Cette notion, à la base économique puisqu’elle s’appliquait dans le Traité de Rome aux tarifs douaniers, a pourtant été abrogée. Le Pacte sur l’immigration et l’asile lui accorde pourtant une place de choix. Dès son premier chapitre en effet, il est convenu «  d’inviter les États membres et la Commission, dans le respect de l’acquis communautaire et de la préférence communautaire, à mettre en œuvre, avec les moyens les plus appropriés, des politiques d’immigration professionnelle qui tiennent compte de tous les besoins du marché du travail de chaque État membre ».

Relents xénophobes

Ce glissement de la notion de « préférence communautaire » du domaine économique au domaine migratoire dénote bien la dérive de l’Union européenne qui, dès 1994, dans une résolution du Conseil définissait clairement la notion : « Les États membres prendront en compte les demandes d’accès sur leur territoire en vue d’emploi seulement quand l’offre d’emploi proposée dans un État membre ne peut pas être pourvue par la main d’œuvre nationale et communautaire ou par la main d’œuvre non communautaire qui réside d’une façon permanente et légale dans cet État membre et qui appartient déjà au marché régulier du travail dans cet État membre. » Autrement dit : « pour l’emploi, je préfère mon frère à mon cousin, mon cousin à mon voisin, mon voisin à l’étranger, etc... » Ritournelle aux relents xénophobes trop longtemps entendue !

Le projet du Pacte est donc clair : renvoyer chez eux les immigrés clandestins en unissant les forces des États membres, attirer les travailleurs hautement qualifiés, les étudiants et les chercheurs, limiter le regroupement familial, ne régulariser qu’au cas par cas, et pour des raisons économiques ou humanitaires seulement... L’asile est traitée en toute fin du Pacte - bien tardivement pourraient opposer des esprits chagrins. On y rappelle que tout étranger persécuté a le droit d’obtenir l’asile sur le territoire de l’UE, en application de la convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés. Nous voilà pleinement rassurés ! D’autant qu’une procédure d’asile européenne commune est prévue pour 2012 au plus tard, et si possible dès 2010. Si elle aussi se base sur la pratique française, unanimement condamnée par les associations spécialisées comme étant de plus en plus restrictive, les demandeurs d’asile n’auront plus qu’à aller voir ailleurs si la démocratie est plus belle. Circulez, y’a rien à voir !

Stéphane Fernandez

Télécharger le texte du Pacte européen sur l’immigration et l’asile