Energie

Vers une augmentation de 25% des tarifs de l’électricité ?

Energie

par Nadia Djabali

Une nouvelle organisation du marché de l’électricité vient d’être adoptée par le Parlement. La révision des tarifs, au nom de l’ouverture à la concurrence, va se traduire par une augmentation du prix de l’électricité d’environ 10% dès 2011, et jusqu’à 25% d’ici à 2015. Collectivités locales, services publics et entreprises devront également payer plus cher leur électricité, ce qui aura des conséquences sur les impôts locaux et le prix de certaines prestations, comme les billets de trains.

© Ivan du Roy

La nouvelle organisation du marché français de l’électricité (Loi Nome) a été adoptée par le Parlement le 25 novembre 2010. Inspirée par la législation européenne, la loi entrera en vigueur début 2011. EDF sera ainsi obligée de vendre un quart de sa production nucléaire à ses concurrents (Poweo, Direct energie, GDF Suez...). Autre modification : la suppression fin 2015 des tarifs jaunes et verts, destinés aux moyennes et grandes entreprises et fixés par l’État. Ces tarifs préférentiels, inférieurs au prix des marchés de gros, sont considérés par Bruxelles comme une distorsion de concurrence en faveur des entreprises françaises. À partir de 2015, la commission de régulation de l’énergie (CRE) se substituera au ministère de l’Écologie et de l’Énergie et fixera les tarifs réglementés.

Selon les parlementaires de gauche, qui ont voté contre la loi, elle pourrait se traduire par une augmentation de 11 à 15% du prix de l’électricité. L’association de consommateurs UFC-Que choisir est encore plus pessimiste : les factures pourraient faire un bond de 25 %.

Hôpitaux, SNCF, collectivités, usagers : tous concernés

Car la loi Nome prévoit de fixer le prix de vente de l’électricité nucléaire entre 37 et 42 euros par mégawattheure, pour un coût de production estimé à 31 euros. Les tarifs réglementés à destination des particuliers seront désormais fixés en fonction du prix de vente de l’électricité nucléaire d’EDF à ses concurrents. Résultat : « Ce texte va mécaniquement les faire exploser, s’inquiète l’union de consommateurs. L’augmentation de la facture d’électricité sera, selon le niveau retenu, de 7% à 11% dès la mise en place de la loi et de 21% à 28% d’ici à 2015. »

Une hausse des tarifs de l’électricité a déjà eu lieu le 15 août 2010. Ils gonfleront encore de 3% en janvier, avant même l’entrée en vigueur de la nouvelle loi. Des élus communistes ont effectué une simulation pour évaluer l’impact de la loi sur les tarifs. Ils craignent un effet boule de neige auprès des collectivités locales, des services publics (hôpitaux), des entreprises publiques (SNCF) et privées : « La loi Nome provoquera une hausse de la facture énergétique de toutes les collectivités, donc de la fiscalité, au moment où le gouvernement s’apprête à diminuer leur dotation. » L’ensemble des services publics serait aussi touchés, et la SNCF répercutera le surcoût sur les billets de voyageurs et le fret.

Précarité énergétique

« La première conséquence de l’augmentation du prix de l’électricité sera d’accroître de façon sensible la précarité énergétique de centaines de milliers de familles en difficulté. Cette loi va provoquer un appel multiplié à la solidarité, donc au Fonds social habitat », déplorent les élus communistes. Les Conseils généraux, en plus du Fonds social habitat, doivent assumer, pour les collèges et les services publics de leurs compétences, les dépenses générales d’électricité. Pour le Val-de-Marne, la prévision de surcoût est estimée à un million d’euros en 2011.

Les communes seront elles aussi touchées, avec les dépenses liées à l’éclairage public ou au fonctionnement des écoles primaires. Pour Portes-lès-Valence, commune de la Drôme d’un peu plus de 9.000 habitants, la hausse est évaluée à 33.000 euros en 2011 et à plus de 50.000 euros en 2013. Les régions devront aussi casser leur tirelire afin d’assumer la hausse pour les dépenses générales, les lycées et les trains express régionaux.

Un véritable hold-up selon la CGT

« C’est un véritable hold-up », s’étrangle-t-on à la CGT Mines Énergie. « Les fournisseurs d’électricité vont se voir offrir un quart de la production nucléaire, dont les Français ont payé l’infrastructure de production dans leurs factures ». Avec un objectif : réaliser des profits, au seul bénéfice des actionnaires. « C’est un vol organisé ! Du jamais vu : obliger une entreprise, dans le monde de la concurrence libre et non faussée, à céder une partie de ses atouts à des concurrents qui produisent peu ou pas du tout d’électricité. »

Au Modem, on exprime aussi son désaccord. « On peut débattre de la rente supposée liée à la production d’électricité d’origine nucléaire dans notre pays, mais il n’y a aucune raison d’en faire bénéficier les nouveaux entrants sans que ceux-ci soient concernés par les charges à venir », explique le député européen Robert Rochefort. Ce qui n’incite pas les nouveaux entrants à innover et investir dans de nouvelles unités de production d’électricité. « Et comment pourra-t-on vérifier que cette électricité achetée à un « prix discount » ne sera pas revendue plus cher à l’étranger par ces mêmes opérateurs ? »

Au nom de l’ouverture à la concurrence

Pour EDF et ses concurrents, la question du prix est cruciale. Ce tarif sera fixé par décret début 2011 par le gouvernement. EDF souhaite un prix de vente à 42 euros. L’écart entre le coût de production et le prix de vente devrait ainsi permettre d’augmenter les recettes annuelles de 1,87 milliards d’euros ! Henri Proglio, PDG de l’entreprise publique, justifie les 42 euros par la nécessité de moderniser le parc des 58 réacteurs nucléaires.

Le marché de l’électricité a été ouvert à la concurrence en 2007. Jusqu’à présent, 96 % des usagers sont restés fidèles à l’ancienne entreprise publique. Le prix de 42 euros que souhaite imposer Henri Proglio ne convient pas aux opérateurs privés. Ils n’ont jamais réussi à s’aligner sur les prix proposés par EDF. « Il faut que ce soit 35 euros, faute de quoi le ciseau tarifaire persisterait », estime Fabien Choné, directeur général de Direct Energie.

Les prix de l’électricité en France sont aujourd’hui inférieurs de 25% à la moyenne européenne. Cette électricité « bon marché » est en partie due à la production des 58 centrales nucléaires installées sur le sol français, payées par les contribuables et les usagers d’EDF depuis 40 ans. « Certains alternatifs n’utiliseront l’électricité produite par le parc nucléaire français que pour spéculer sur le marché de gros », s’indigne Virginie Gensel, secrétaire générale de la Fédération nationale Mines Énergies CGT. Ce sont donc les contribuables et usagers français qui paieront la hausse des tarifs tout en supportant les nuisances des centrales, le risque nucléaire et la multiplication des sites de stockage des déchets radioactifs.

Nadia Djabali