Habitat

Vauban, l’écoquartier du futur écologiquement exemplaire, mais socialement discutable

Habitat

par Sophie Chapelle

Construit sur une base militaire désaffectée, le quartier Vauban, près de Fribourg en Allemagne, est devenu la vitrine européenne des écoquartiers. Entre maisons passives et positives, toits végétalisés et solaires, ce quartier de 5.500 habitants concentre d’innombrables innovations écologiques. Pensé par les résidents comme un « quartier des courtes distances », Vauban a progressivement réduit l’empreinte de l’automobile pour laisser la rue aux enfants. L’exemplarité pèche néanmoins par son manque de mixité sociale.

Photo : Alter-Echos

Les façades en bois non traité se succèdent. Certaines sont bleues, d’autres marrons, blanches, jaunes ou rouges. La végétation est partout : dans la rue, au pied des immeubles, le long des murs, sur les balcons et jusqu’aux toits-terrasses, qu’elle partage avec les panneaux photovoltaïques. Au milieu de la rue libérée des voitures, on devine les contours d’une marelle. Des jardins publics alternent avec les zones bâties. En fond sonore, les sonnettes de bicyclette et le roulement du tram. Il y a tout juste vingt ans, ce site constituait une vaste friche militaire. Aujourd’hui, il est devenu la vitrine européenne des écoquartiers. Nous sommes dans le quartier Vauban, à trois kilomètres du centre-ville de Fribourg-en-Brisgau, dans l’une des régions les plus ensoleillées d’Allemagne.

Andreas Delleske vit dans ce quartier depuis dix ans. L’espace, occupé depuis 1936 par les Forces françaises stationnées en Allemagne (FFA), est libéré en 1992. « 38 hectares en pleine ville, c’était une aubaine incroyable ! », se souvient Andreas. Immédiatement, deux des casernes sont squattées par des étudiants et une population en mal de logement, estimée à 3.000 personnes. Les lieux sont cédés au Land de Bade-Wurtemberg puis revendus à la ville de Fribourg pour 20 millions d’euros. En 1995, une phase de concertation démarre, ouverte à tous les habitants de la ville, qu’ils soient candidats ou non pour venir habiter à Vauban. À l’initiative des premiers occupants du site, l’association Forum Vauban est créée. Elle coordonne une grande partie de la participation citoyenne. Elle attire des familles à la recherche de logements correspondant à leurs rêves et à leurs besoins mais aussi des militants écologistes, des anarchistes, des étudiants. Coresponsable du Forum Vauban, Andreas évoque « la participation bénévole d’architectes et d’ingénieurs venus rivaliser d’idées ».

Maison passive

Photo : Passivhaus-Vauban

En 1994, la Ville lance un concours d’architectes. Les membres du Forum Vauban se répartissent en groupes de travail et planchent sur l’énergie, les transports, la mobilité, l’architecture, la participation. Ils dessinent des plans, invitent des experts du monde entier, partent le week-end découvrir d’autres initiatives. Le résultat de ces cinq années de bouillonnement d’idées ? 400 pages de propositions, « dont la moitié seront retenues et mises en pratique », précise Andreas. Les parcelles et les bâtiments sont attribués par un système de points. Les critères : présence de personnes âgées, d’enfants, absence de voitures ou bien encore volonté de prise en compte de critères environnementaux. Un recensement des peuplements forestiers a été effectué pour conserver les vieux arbres et les biotopes le long du ruisseau. Encore aujourd’hui, la végétation luxuriante témoigne du fort niveau de participation des habitants dans l’autogestion des espaces verts. On doit aussi au Forum Vauban une place du Marché, une maison de quartier et l’attribution de la plupart des terrains à des associations de particuliers, les Baugruppen.

114 euros pour se chauffer et cuisiner

Ces Baugruppen, ou « communautés de construction », sont initiés par des personnes désireuses de construire leur logement sans passer par un promoteur. Elles se regroupent afin de définir l’organisation de leur îlot ou de leur immeuble, avant de transmettre leur projet à un maître d’œuvre. « Les Baugruppen créent des relations de voisinage avant que l’habitat ne soit construit », explique Andreas. Ils permettent de réduire les coûts de construction par des économies d’échelle, et donnent la possibilité de mettre en commun des équipements comme l’approvisionnement en énergie solaire ou les jardins. Au total, plus de cinquante Baugruppen ont vu le jour à Vauban. L’objectif est clair : construire un bâtiment collectif peu onéreux et optimisé sur le plan énergétique à partir des principes de la « maison passive ».

Une maison passive consomme moins de 15 kwh/m2/an – contre 250 kwh/m2/an en moyenne dans les logements conventionnels – et n’a pas de chauffage central permanent. « Le soleil, l’isolation doivent suffire pour maintenir la température dans la maison à un niveau confortable pendant l’hiver, soit 19°C environ », précise Andreas. En août 1999, les appartements sont livrés. « Voilà la maison dans laquelle j’habite », lance avec une once de fierté Andreas. Baptisé « Vivre et travailler », ce bâtiment passif a coûté seulement 7 % de plus qu’une construction neuve conventionnelle. Dans son appartement de 90 m2, Andreas a dépensé l’an dernier 114 euros en chauffage, eau chaude et gaz pour cuisiner. De quoi rentabiliser rapidement l’investissement. Dans ce bâtiment, les apports internes sont constitués par un système de cogénération à base de gaz complété par du solaire thermique. Quatre immenses tilleuls protègent les grands vitrages : ils procurent de l’ombre en été puis leurs branches dénudées laissent passer les rayons du soleil en hiver. Le bâtiment qui fait face est suffisamment éloigné pour que le soleil, même lorsqu’il est à son plus bas, puisse atteindre les appartements du rez-de-chaussée.

Quand les maisons produisent de l’électricité

L’ensemble des maisons passives du quartier, dotées de leur propre cogénérateur, ont reçu une dérogation de la Ville pour ne pas être reliées au système de chauffage central. Les autres habitats sont raccordés à une centrale à cogénération, alimentée en copeaux de bois provenant directement de la Forêt-Noire, qui jouxte Fribourg. La chaleur dégagée est utilisée pour produire eau chaude et chauffage. Un système de canalisations conduit l’eau à travers le quartier vers chaque bâtiment raccordé. La gestion de l’eau de pluie n’a pas non plus été négligée : la chaussée est aménagée pour permettre l’infiltration des eaux de pluie directement dans les sols. Des fossés de rétention et des toitures végétalisées retiennent le surplus le temps de leur réabsorption dans le site. Collectée dans des citernes, l’eau de pluie peut être aussi utilisée pour le lave-linge, les toilettes ou l’arrosage des jardins.

Panneaux solaires

Photo : Source

D’autres maisons sont même « positives », c’est-à-dire qu’elles produisent plus d’énergie qu’elles n’en consomment, réinjectant l’excédent dans le réseau de distribution public. Elles sont regroupées dans le Solarsiedlung, le « lotissement solaire » réalisé par l’architecte Rolf Disch. 59 maisons en ossature bois sur deux à trois étages bordent des microjardins et des arrière-cours. Leur toit est entièrement constitué de modules photovoltaïques. Étrangement, cette cité solaire fait face à des habitats où l’on aperçoit des radiateurs placés juste derrière les fenêtres : des parcelles vendues par la municipalité à des promoteurs conventionnels. « Ils ont néanmoins l’obligation de ne pas dépasser 65 kwh/m2/an », note Andreas. Le quartier accueille également le Klee-Haüser, une « maison zéro », à bilan carbone neutre.

Voitures indésirables

Le Forum Vauban a aussi permis la sauvegarde de baraquements militaires. Quatre de ces casernes ont été rachetées par le collectif SUSI, une initiative de logement social autogéré et indépendant. Étudiants, sans moyens, les premiers occupants ont réussi à constituer le fonds nécessaire à l’achat, à partir de crédits bancaires, de crédits privés et d’une subvention de l’État. La contribution s’est faite aussi en nature, chaque futur habitant s’engageant à travailler 100 heures gratuitement. Au terme de quatre ans de rénovation avec l’utilisation de matériaux écologiques bon marché, le projet réunit 45 logements pour un peu plus de 250 habitants. Des locataires précaires peuvent aujourd’hui occuper des collocations, leur loyer modeste étant complété par 105 heures de travail au service du collectif sur une période de trois ans. Six autres baraquements rénovés accueillent 600 chambres d’étudiants.

le tramway à Vauban

Photo : Source

La place de la voiture dans le quartier a constitué un sujet central des débats. Pour transformer la relation de dépendance à l’automobile, Vauban a été pensé comme un « quartier des courtes distances », où les habitants peuvent facilement aller à pied ou en vélo dans les magasins, les jardins d’enfants, les écoles, les parcs, les crèches... Le Forum Vauban a même proposé que la voiture soit totalement absente des voies secondaires. « Concrètement, explique Andreas, il est interdit de construire des places de parking sur les parcelles, et les voitures ne sont tolérées devant les maisons que le temps des chargements et déchargements. » La présence de plusieurs voitures garées devant les immeubles montre un certain laxisme à l’égard de cette règle. Mais de façon générale, toutes les voitures sont garées dans deux grands garages solaires de 900 m2, qui permettent d’économiser jusqu’à 20 % de l’espace total du quartier. Chaque logement peut s’y procurer une place de parking [1].

Les catégories populaires oubliées

« Nous ne sommes pas contre la voiture, analyse Andreas, mais un trottoir devient nécessaire lorsqu’il y a trop de voitures. Pourquoi tout le monde doit-il payer une infrastructure utilisée par seulement 60 % des ménages du quartier ? » Résultat, les voies secondaires n’ont aucun trottoir mais seulement des panneaux bleus indiquant que les piétons et les vélos sont prioritaires. La vitesse est limitée à 30 km/h sur la voie principale quand dans les ruelles, cette limite tombe à 5 km/h. « Ici, c’est le paradis des enfants, confie une habitante. La rue constitue un environnement extérieur sûr où les enfants peuvent jouer sans crainte. » Et cela tombe bien : la population du quartier est constituée d’au moins 30 % d’enfants ! Les habitudes se sont transformées, les gens font leurs courses à vélo avec une remorque, prennent le tramway ou le bus pour rallier le centre de Fribourg, ou ont éventuellement recours à un service d’auto-partage de véhicule. La moitié des ménages habitant Fribourg ne possèdent pas de voiture.

Tranquillité

Photo : Alter-Echos

Le quartier pèche cependant par son manque de mixité sociale. « Ce ne sont malheureusement jamais les pauvres qui construisent ou les retraités qui obtiennent des prêts », regrette Andreas. La plupart des 5.500 habitants du quartier sont d’origine allemande, ont entre 30 et 50 ans, sont issus de la classe moyenne avec enfants, et 80 % sont propriétaires de leur logement. Le faible nombre de logements de 1 ou 2 pièces réduit le nombre de célibataires. La récente expulsion du Kommando Rhino, une communauté alternative libertaire qui avait aménagé depuis deux ans un terrain vague dans le quartier, fait également grincer des dents. Située à l’entrée du quartier, cette parcelle est le théâtre d’un désaccord entre les associations d’habitants et la municipalité, qui projette de construire un centre d’affaires « vert ».

Toutefois, quelques projets visant la mixité intergénérationnelle et sociale parsèment le quartier grâce à la société coopérative d’habitat Genova. Créée en 1997, elle a construit 73 logements dans des immeubles aux normes pour les personnes âgées et handicapées. La volonté de penser un quartier sur de courtes distances a également abouti à la création de 600 emplois dans le commerce, les services et l’artisanat.

« Nous sommes conscients que le quartier Vauban est imparfait et que l’on peut faire mieux, reconnaît Andreas. Mais l’on constate aussi que les gens vivent bien et renouent avec le vivre-ensemble. » Signe manifeste de ce bien-vivre, peu d’habitants ont vendu leur appartement depuis le lancement du projet. Trouver le juste équilibre entre épanouissement individuel et plein engagement dans un projet collectif est le pari gagné par le quartier Vauban.

Sophie Chapelle

Déplacements doux
Bienvenue dans le quartier Vauban
Escaliers végétalisés
Des rues pour les enfants
Façade végétalisée
Lotissement solaire
Signalisation

Photos : Alter-Echos

Notes

[1Pour 20.000 euros à l’achat ou 1.500 euros en location annuelle.