Justice

Une retraitée combattant l’évasion fiscale sur le banc des accusés

Justice

par Sophie Chapelle

[Mise à jour] Le procès a été reporté au 7 juin 2018. Voir le programme de la journée de mobilisation.

Le 6 février 2018, Nicole Briend, militante de l’association Attac, ancienne proviseure de lycée, sera jugée à Carpentras. Son délit ? Avoir participé, en mars 2016, à une action citoyenne de « fauchage de chaises » dans une agence BNP Paribas pour dénoncer son implication dans l’évasion fiscale. Poursuivie pour « vol en réunion de chaises », elle encourt cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende. « Ce procès intervient alors que les scandales financiers se multiplient (LuxLeaks, SwissLeaks, Panama Papers, Paradise Papers, ...) et démontrent à quel point l’évasion fiscale des multinationales et des ultra-riches est systémique, souligne Raphaël Pradeau, porte-parole d’Attac France. C’est grâce au courage des lanceurs d’alertes, des journalistes et des militants que nous mettrons fin à cette grave injustice fiscale. Pourtant ce sont bien trop souvent ces derniers qui se retrouvent sur le banc des accusés, et non pas ceux qui organisent la fraude et l’évasion fiscale. »

Pour rappel, les actions de fauchage de chaises sont nées à la suite d’un appel à la désobéissance civile lancé en septembre 2015 pour demander la fin du système organisé de l’évasion fiscale et des paradis fiscaux. « Rien qu’au niveau de l’Union européenne, l’évasion fiscale coûte 1000 milliards d’euros par an aux budgets publics, écrivent les signataires. Les banques françaises ne sont pas en reste : la première d’entre elles, BNP Paribas, détient 171 filiales dans les paradis fiscaux, dont 7 aux Îles Caïmans ! » Le manque à gagner pour l’État français est évalué entre 60 à 80 milliards d’euros par an, soit autant que l’impôt sur le revenu collecté chaque année. Entre 2015 et 2016, les Faucheurs de chaises – collectif composé des Amis de la Terre, ANV-COP21, Attac France, Bizi – ont ainsi « réquisitionné » 246 chaises dans des agences bancaires, rendues aux forces de police le jour de l’ouverture du procès de l’ex-ministre du Budget Jérôme Cahuzac.

« Laisser-faire des gouvernements »

En dépit des mobilisations citoyennes et de la multiplication des révélations des journalistes sur des scandales d’évasion fiscale, les organisations de la société civile déplorent un « laisser-faire des gouvernements et des autorités judiciaires ». « En France, le Conseil constitutionnel a rejeté le reporting public des entreprises multinationales au motif que cette mesure aurait nui à la liberté d’entreprendre, illustrent 200 personnalités issues du monde politique, associatif et syndical dans une tribune publiée le 13 décembre [1]. Quant à l’actuel gouvernement, il a censuré un amendement à la loi de moralisation de la vie publique visant à supprimer le "verrou de Bercy", qui permet au ministre du Budget de bloquer les actions judiciaires contre les évadés fiscaux. »

Le 14 décembre, un porte-parole de BNP Paribas a annoncé que la banque renonçait à se constituer partie civile contre Nicole Briend, « c’est-à-dire que la banque ne demandera pas un dédommagement en réparation contre cette militante », a t-il précisé. BNP Paribas avait aussi renoncé début 2017 à se constituer partie civile contre Florent Compain, président de l’association Les Amis de la Terre, visé par une plainte pour avoir « réquisitionné » une dizaine de chaises dans une agence bancaire BNP Paribas à Nancy en novembre 2015. Le 7 juin 2017, Florent Compain a finalement été condamné à 500 euros d’amende sans sursis. Un autre faucheur de chaises, Jon Palais, a lui été relaxé par le tribunal de Dax sur la totalité des chefs de poursuite le 23 janvier 2017.

« Les relations avec les associations concernées se sont largement améliorées depuis (ces manifestations) et le dialogue a pu être renoué », a expliqué à l’AFP une source proche de la banque, constatant qu’aucune « nouvelle manifestation violente n’a été menée depuis de nombreux mois ». « Nos actions de réquisition citoyenne n’ont jamais été violentes et ont toujours été menées à visage découvert, rétorque Raphael Pradeau. Nous appelons la BNP Paribas à retirer les plaintes que la banque a systématiquement déposées à l’encontre des faucheurs de chaises ». Une mobilisation est prévue à Carpentras les 5 et 6 février 2018 pour soutenir Nicole Briend. Les organisateurs demandent sa relaxe.

Photo de Une : CC Sophie Chapelle / action le 3 décembre 2015 à Paris