Précarité

« Un très beau métier, un salaire de misère » : une accompagnatrice d’élèves en situation de handicap raconte

Précarité

par Rédaction

Sophie est payée 750 euros par mois pour accompagner un ou plusieurs élèves en situation de handicap à l’école. Elle ne dispose d’aucun statut au sein de l’Éducation nationale. « D’un point de vue légal, je ne suis rien », dit-elle. Basta! a recueilli son témoignage.

Sophie (le prénom a été changé à sa demande) travaille depuis trois ans comme accompagnatrice d’élèves en situation de handicap dans des écoles (AESH). Elle n’a eu depuis lors que des CDD à temps partiel. Les AESH sont pourtant un pilier essentiel pour que tous les élèves, quels que soient leur handicap ou leurs difficultés, puissent accéder à l’école. Que celle-ci devienne réellement inclusive, telle est la volonté affichée.

Le gouvernement a promis en 2019 de sortir les AESH de la précarité. Pourtant, l’Éducation nationale ne leur propose que des CDD de trois ans renouvelables une fois, avant de pouvoir espérer un CDI, qui ne serait pas forcément à temps plein. Dans ces conditions, pour Sophie, aller travailler devient de plus en plus difficile. Voici son témoignage recueilli par Basta!.

« Je suis actuellement AESH, accompagnatrice d’enfant en situation de handicap, dans une école. Employée par le rectorat, je touche un salaire d’environ 759 euros par mois pour accompagner un ou plusieurs enfants durant 24 heures par semaine.

Nous accompagnons des enfants autistes, ou avec des retards scolaires, ou avec des troubles d’apprentissage, parfois avec des problèmes moteurs en plus. Parfois ce sont des enfants pour lesquels il faut écrire ou qui ont des difficultés de lecture. Ce sont des enfants qui, quand nous ne sommes pas là, n’arrivent pas à faire la moitié du travail de la classe.

« Tous les enfants auraient besoin de plus d’accompagnement que le nombre d’heures qui leur est attribué »

Avec la dernière réforme, les AESH sont mutualisées. On nous dit que les enfants ont droit à 6 à 12 heures d’accompagnement dans la semaine. Les enfants qui ont droit à 24 heures d’accompagnement, cela devient de plus en plus rare. Même 12 heures, cela arrive de moins en moins. Globalement, tous les enfants auraient besoin de plus d’accompagnement que le nombre d’heures qui leur est attribué par la MDPH [la maison départementale du handicap]. Il manque aussi des agents AESH. Car le métier n’attire pas. Dans mon école, nous devrions être trois et nous ne sommes que deux depuis un mois. Donc, nous avons trois enfants qui n’ont pas d’accompagnatrice.

J’ai eu un CDD de un an, puis un CDD de deux, et maintenant, j’ai signé un CDD de trois ans. J’en suis donc à mon troisième CDD. Nous ne travaillons pas pendant les vacances scolaires. Du coup, nos paies sont lissées à l’année. Le contrat de 24 heures par semaine nous est imposé, car en école maternelle et primaire, il est impossible de faire plus, puisque les enfants ne sont là que 24 heures. Pour faire un temps plein dans l’Éducation nationale, il faudrait que nous fassions 41 heures à cause des vacances scolaires. Mais c’est impossible, car aucun élève n’est présent 41 heures à l’école !

Au rectorat, ils nous proposent donc de travailler en plus pour les mairies, d’avoir deux employeurs. Accepter ce genre de pratiques, c’est accepter que le rectorat ne nous paiera pas plus !

« Nous commençons les premières semaines sans rien savoir de ce ce qu’on attend de nous »

Cette année, j’ai un enfant 21 heures par semaine, et j’ai trois heures à donner à l’école pour les besoins d’autres enfants qui sont aussi reconnus comme ayant des besoins d’AESH par la MDPH. Jusque là, j’ai souvent eu deux ou trois enfants à la fois par semaine. C’est beaucoup. Avec deux enfants, cela fait 12 heures chacun. Cela veut dire qu’on doit se partager entre deux classes tout le temps. La plupart du temps, on fait une première partie de matinée avec l’un, et la seconde partie avec l’autre. C’est pareil l’après-midi. Quand il y a trois enfants c’est encore plus compliqué. En plus, les instituteurs disent souvent qu’ils ont besoin de nous le matin, car c’est là qu’ils font les mathématiques et le français. Tous les instituteurs sont dans le même cas et nous, nous ne pouvons pas nous dédoubler.

Nous avons un vrai métier, qui demande de vraies connaissances et nécessite des personnes un minimum qualifiées et formées pour aider des enfants qui demandant des ressources, de la pédagogie, de l’humanité, de l’observation, et de la réflexion. Pourtant nous ne recevons qu’une formation de 60 heures quand on démarre, voire un à deux mois après le début de notre premier contrat. Nous commençons les premières semaines sans formation, sans rien savoir de ce ce qu’on attend de nous.

Je suis en « réseau d’éducation prioritaire », ce sont des écoles avec des enfants qui ont souvent des problèmes familiaux, sociaux, éducatifs. Les instituteurs doivent déjà gérer leur classe, ils attendent donc de nous des résultats assez rapides. Les premières semaines sont vraiment difficiles. Je suis pour l’école inclusive, mais les enfants sont sous-dotés en heures d’accompagnement. Nous, nous sommes mal formées. Et nous n’avons pas de matériel adapté pour aider les enfants. Dans ces conditions, cette école inclusive est souvent maltraitante pour les enfants.

« Se donner à 200 %, mais quand je vois la paie à la fin sur mon compte bancaire, j’ai envie de pleurer… »

C’est un très beau métier, j’aime beaucoup mon travail. Mais nous sommes dans une situation de précarité, avec un salaire de misère, nous ne sommes pas écoutées, nous ne faisons pas partie intégrante des équipes pédagogiques. D’un point de vue légal, je ne suis rien. Et cela, les élèves le sentent.

Nous voudrions qu’AESH soit un vrai statut dans l’Éducation nationale, avec un concours, comme pour les Atsem, les agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles. Les Atsem sont recrutées par concours. Elles sont fonctionnaires, alors que nous, nous ne sommes que contractuelles, payées au lance-pierre pendant six à huit ans.

Au bout de trois ans, j’en viens à ne plus avoir envie d’aller travailler. Non pas parce que je n’aime pas mon travail, ou l’école, ou les enfants. Mais se donner à 200 %, quand je vois la paie à la fin sur mon compte bancaire, j’ai envie de pleurer… Ce n’est pas normal d’accepter de payer les gens comme ça. Au final, nous galérons pendant des années avec, dans les grandes villes, des loyers exorbitants, et il n’y a pas de statut à la clé. Les trois quarts des AESH sont des femmes. »

Propos recueillis par Rachel Knaebel

Photos : CC Jean Luc Hebert via flickr