Droit d’asile

« Tuez-les tous, ça ira plus vite »

Droit d’asile

par Philippe Alain

Des demandeurs d’asile, un campement au bord d’une gare, des cars de CRS. Évacuation, fichages… À Lyon, le préfet perpétue une politique d’un temps qu’on croyait enfin révolu. Et propose des charters pour expulser des personnes en situation régulière. La consigne ? Que les familles déplacées ne s’installent « nulle part ». Évacuer le « problème ». Ce soir, à Lyon, des enfants dormiront encore à la belle étoile.

Photo : © Bertrand Gaudillère / item

À 7 h 30, lundi 9 juillet, la police encercle le campement situé au niveau de l’esplanade des taxis de la gare de Lyon-Perrache. Plus personne n’est autorisé à entrer ou à sortir du périmètre de sécurité.

Un officier de la PAF (Police de l’air et des frontières) est à l’affût. Comme un chasseur qui flaire sa proie, il passe de tente en tente avec une traductrice et demande frénétiquement : « Il y a des Roumains ? Il y a des Roumains ? » Les Roumains, c’est du gros gibier. Si la PAF peut en attraper un qui est en France depuis plus de trois mois, c’est le jackpot. Ce soir, la préfecture communiquera sur : « La police démantèle un campement de Roms et expulse des étrangers en situation irrégulière. » Mauvaise pioche. Pas plus de Roumains dans le camp que de socialisme dans la politique de Valls.

Ce campement est en effet occupé par des demandeurs d’asile qui sont tous en situation parfaitement régulière sur le territoire français. Théoriquement, ils devraient être hébergés en centre d’accueil de demandeurs d’asile (Cada). Théoriquement seulement, parce qu’à Lyon, cela fait belle lurette que les centres sont saturés et que des centaines de demandeurs d’asile sont abandonnés à la rue.

Toutes les personnes sont recensées, fichées puis regroupées dans un coin avant d’être autorisées à prendre leurs affaires et à partir. Les enfants, le regard perdu entre des dizaines de policiers, ne comprennent pas ce qui leur arrive. Les adultes non plus. L’un d’entre eux regrette : « Pourquoi on nous autorise à demander l’asile politique en France si c’est pour nous jeter à la rue ? La France n’avait qu’à nous dire qu’elle ne veut pas de nous, on serait allés dans un autre pays. » En voyant les familles regroupées dans un coin et encerclées par la police, un parent d’élève dont le fils était en classe avec un enfant du campement se désole : « Je n’étais pas là en 40, mais les rafles, ça devait ressembler à ça. »

Financer des charters ou des centres d’hébergement ?

Dans l’après-midi, les familles ont été bloquées sur la place Carnot, située juste à côté de la gare, par la police, qui les empêchait de quitter les lieux. Alors que le matin même, elle avait promis de les empêcher de s’y installer. Pour être exact, les familles avaient le droit de circuler, mais pas d’emmener leurs affaires, de peur qu’elles ne se réinstallent autre part. C’est nouveau, en France, si vous êtes étranger, vous n’avez plus le droit de circuler avec une tente et des couvertures. Pourvu que le préfet du Rhône, monsieur Carenco, ne soit pas appelé à des fonctions nationales… Sinon il va ruiner notre activité touristique en interdisant le territoire aux millions de Hollandais qui viennent camper en France chaque année.

© Bertrand Gaudillère / item

En fin de journée, le préfet a reçu une délégation conduite par Nathalie Perrin-Gilbert, la maire du Ier arrondissement de Lyon, et Armand Creus, conseiller régional du Front de gauche. Le bilan de la réunion est bien maigre, mais le numéro de théâtre du préfet valait le déplacement. Lyon, c’est la ville de Guignol.

Morceaux choisis :

Le préfet n’a plus d’argent pour héberger les demandeurs d’asile. En revanche, il en a encore beaucoup pour les expulser par charters… S’ils acceptent. Car tous étant en situation régulière, il a besoin de leur accord…

Le droit au logement n’est pas inconditionnel et il est réservé en priorité aux Français.

Ses interlocuteurs, n’en croyant pas leurs oreilles, lui ont demandé de répéter car ils ne pensaient pas qu’un préfet pouvait ignorer à ce point la loi.

Cerise sur le gâteau : le préfet a finalement proposé que les familles l’attaquent au tribunal administratif afin qu’il les reloge lorsqu’il sera condamné. Autrement dit, il sait qu’il est hors-la-loi en laissant des femmes et des enfants dehors, mais si un juge ne le lui rappelle pas avec une condamnation sous astreinte, il ne les logera pas.

Déplacés à quelques dizaines de mètres

Plus de deux mois après l’élection de François Hollande, les préfets sarkozystes continuent donc à appliquer la politique inhumaine de stigmatisation des étrangers de leur ancien patron. À moins qu’ils n’appliquent tout simplement la nouvelle politique définie par messieurs Hollande et Valls ?

© Bertrand Gaudillère / item

Ce matin, des dossiers pour des « référés-libertés » [1] vont être constitués afin d’attaquer l’État socialiste pour qu’il ne laisse pas dormir à la rue des demandeurs d’asile qui devraient être hébergés en Cada. En attendant, plus de cent personnes, dont de très nombreux enfants en bas âge, ont passé cette nuit dans des tentes ou à la belle étoile, à quelques dizaines de mètres de l’endroit où elles étaient la veille.

Ce soir, à Lyon, des orages sont annoncés. Où les familles vont-elles dormir ?

La police avait expliqué lors de l’expulsion avoir reçu des consignes pour que les familles ne s’installent nulle part. Un militant a fait remarquer aux policiers qu’elles seraient encore à Lyon ce soir et qu’il faudra bien qu’elles dorment quelque part : « Ce n’est pas en les pourchassant jour et nuit que vous réglerez le problème, d’autant plus qu’ils sont en situation régulière. Tuez-les tous, ça ira plus vite !… »

Philippe Alain

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Photos : © Bertrand Gaudillère / item

Notes

[1Le référé-liberté permet d’obtenir du juge des référés « toutes mesures nécessaires » à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle l’administration aurait porté atteinte de manière grave et manifestement illégale. Le juge se prononce dans ce cas en principe dans un délai de 48 heures. Source : Conseil d’État.