Alternative

Malgré le chômage et la pauvreté, une ancienne ville minière devient un modèle de transition écologique

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par Sophie Chapelle

A Loos-en-Gohelle, dans le Pas-de-Calais, l’équipe municipale tente d’ouvrir un nouvel horizon écologique et social pour les habitants, avec une politique volontariste dans les domaines de l’eau, de l’énergie ou des pesticides. Premier volet de notre dossier de deux reportages.

« Être opprimé par les capitalistes, ici, on sait ce que c’est. » Jean-François Caron est maire écologiste depuis 2001 de la commune de Loos-en-Gohelle, dans la banlieue de Lens (Pas-de-Calais). Depuis son bureau, on aperçoit les immenses terrils qui se dressent autour de cette ville de 6650 habitants, rappelant son passé minier. Le capitalisme y a effectivement laissé de multiples cicatrices.

Dans les années 1960, au plus fort de la production de charbon, 5000 mineurs descendaient quotidiennement « au fond ». En 1986, le dernier puits de Loos a fermé, laissant derrière lui son terrible héritage : de l’eau et des terres polluées, du chômage, des délocalisations en chaîne, des paysages détruits, un sol affaissé de 15 mètres [1]... Et la silicose, une maladie qui ronge les poumons, provoquée par l’inhalation de particules de poussières de silices dans les mines [2]. « Les pauvres sont toujours dans des territoires les plus frappés sur le plan environnemental », poursuit le maire.

Les terrils surplombant la base 11/19 (© Loos-en-Gohelle).
© ici et ).

« La question sociale est tellement prégnante qu’elle occupe tout l’espace »

Au cœur de ce bassin minier, les scores des écologistes sont les plus faibles de France. « La question sociale est tellement prégnante qu’elle occupe tout l’espace. » 20 % de la population à Loos a un revenu inférieur au seuil de pauvreté et 15 % sont au chômage. L’élu vert, avec sa liste d’union de la gauche, a pourtant été reconduit à une large majorité lors des dernières municipales. Sa commune est devenue une référence en matière de transition écologique. « La gigantesque force que nous avons ici, c’est que nous sommes confrontés à toutes les crises à leur intensité maximale. » Une force qui irrigue aussi les alentours.

« On ne devrait pas entendre parler de cette commune. Elle est cinq fois plus petite que notre ville », confie un habitant de Lens. Mais Caron parvient à embarquer avec lui des élus qui ne sont pas de son camp. On a besoin de maires comme ça qui ont une vision. Il est écolo et il ne lâche rien ! »

Jean-François Caron, maire depuis 2001 (© Loos-en-Gohelle).

« Ne pas avoir honte de notre histoire »

L’histoire de Jean-François Caron, 62 ans, se confond depuis des générations à celle de Loos-en-Gohelle et à la gauche du mouvement ouvrier. Un de ses grands-pères était déjà maire de la commune en 1939. « Destitué par les allemands, il venait avec deux chaises sur la place pour continuer les rendez-vous avec la population », évoque-t-il. Même son arrière grand-mère, avant la guerre de 1914-1918, assurait le secrétariat de mairie. « Quand la mairie était fermée, elle accueillait les Polonais pour créer les conditions de leur insertion. » Jusqu’à 29 nationalités sont venues travailler dans le bassin minier.

Son père, Marcel Caron, qui l’a précédé comme maire, a démarré dès les années 1980 un travail sur la réappropriation de la mémoire locale par les habitants. « Ne pas avoir honte de cette histoire était le combat de Marcel Caron. Il s’agit de convoquer le passé sans nostalgie », confirme Guillaume Senhadji, administrateur de l’association « Culture commune », qui a élu domicile sur un ancien puits de mine et a contribué au recueil des paroles de mineurs. Progressivement, les friches ont été réhabilitées pour accueillir des spectacles autour de l’histoire minière [3].

La Fabrique théâtrale qui accueille l’association Culture commune (© Sophie Chapelle).
© Sophie Chapelle
Un son et lumière organisé en 1987 (© Loos-en-Gohelle).

En 2012, Jean-François Caron obtient l’inscription des terrils (les collines artificielles construites par accumulation de résidu minier) au patrimoine mondial de l’Unesco. « Tout cela a participé de notre processus de recherche de dignité. C’est une thérapie pour nous », affirme l’actuel maire. « Quand les terrils ont obtenu l’inscription, des tas de gens ont pleuré, se souvient une habitante. Ça a restauré de la fierté ! »

Photo du site 11/19 antérieure à 1960 (© Loos-en-Gohelle).
La biodiversité reconquiert des terrils (© Loos-en-Gohelle).

Récupération d’eau de pluie, « zéro phyto », panneaux solaires

Jean-François Caron est d’abord élu conseiller municipal en 1995, et prend en charge le plan d’occupation des sols. Que faire des terrains libres ? Où et quoi construire ? Il adresse des questionnaires à la population, anime des réunions publiques, rencontre des acteurs de terrains, des experts... Ce diagnostic fait émerger 100 idées pour l’avenir, qui vont faire de Loos un modèle de transition écologique et sociale.

Priorité des priorités : l’eau. « Elle était si polluée qu’il fallait agir. Non seulement elle nous coûtait très cher, pour la rendre propre à la consommation, mais c’était l’une des pires de France. » Première action concrète : récupérer l’eau de pluie pour les besoins de la ville, comme l’arrosage des espaces publics. « Nous avons actuellement environ trois semaines d’autonomie », explique Julien Perdrigeat, le directeur de cabinet du maire. Une politique « zéro phyto », sans pesticides chimiques, est également menée, contribuant à l’amélioration de la qualité des eaux.

Que faire du toit de l’église, dont les tuiles s’envolent à chaque tempête ? Elle est la première en France à être équipée de panneaux photovoltaïques. 200 m2 de panneaux solaires y sont installés en 2013. Cela permet à la municipalité de revendre l’électricité produite pour quelques milliers d’euros. L’évêque local salue même cette réalisation « qui respecte parfaitement l’architecture de l’église et ouvre des perspectives nouvelles dans le domaine de la production d’énergie renouvelable ».

Le toit de l’église de Loos-en-Gohelle couvert de panneaux photovoltaïques (© Sophie Chapelle).
Sophie Chapelle

Une facture énergétique divisée par dix pour les locataires HLM

La fermeture des mines marque la fin du charbon – et donc du chauffage – gratuit. Et laisse des maisons ouvrières mal isolées, de véritables « passoires thermiques ». « Leurs occupants n’arrivaient plus à se chauffer, raconte Jean-François Caron. J’ai vu des centaines de cas de précarité énergétique. » Alors que les affaissements conduisent à la démolition de 1100 logements de mineurs, Loos impose l’éco-construction dans les appels d’offre en 1997. La même année, des maisons de mines sont rénovées en suivant des critères « haute qualité environnementale » (HQE).

La ville prend une autre mesure inédite : l’interdiction du chauffage électrique pour toute nouvelle construction ou réhabilitation de son parc social ! Une telle interdiction ne peut se traduire dans les textes, mais le maire fait passer le mot aux promoteurs et bailleurs. « A chaque fois qu’un bailleur social venait me voir, je disais : "Si vous faites du chauffage électrique, allez ailleurs qu’à Loos" », précise Jean-François Caron.

Et ça marche. Depuis vingt ans, plus personne ne propose ce type de chauffage à la municipalité. Une excellente isolation, des triples vitrages ou des pompes à chaleur remplacent les énergivores convecteurs. Loos-en-Gohelle compte aujourd’hui 250 logements sociaux éco-conçus, soit un tiers de son parc social. Des habitants, dont une bonne partie vit avec le Smic, voient leur facture de chauffage divisée par dix par rapport à leur ancien logement [4].

Logements écoconstruits dans le quartier du Chênelet (© Loos-en-Gohelle).

Une politique qui bouscule habitants, administration et élus

Devenue place forte de l’éco-construction, Loos-en-Gohelle accueille désormais nombre d’expérimentations. Ce qui entraine parfois quelques ratés, autour de la gestion des nouveaux chauffages à accumulation par exemple. « C’est très simple mais il faut l’expliquer aux gens. Je doute que le bailleur social, dès qu’il y a un changement de locataire, le fasse... » C’est bien la question du changement d’échelle qui est posée, mais aussi de l’évolution des consciences et des pratiques.

Convaincu de l’importance de l’implication des habitants, l’équipe municipale multiplie les processus participatifs. Même l’aménagement du skatepark n’a pas échappé à la règle, élaboré avec les enfants et adolescents qui l’utilisent [5]. « Cette participation change profondément le métier des agents municipaux. Ça bouscule l’administration », pointe le maire. Les élus et les 130 salariés de la ville doivent par exemple rapidement informer les habitants de ce qui a été fait, pour montrer que leur implication n’est pas vaine.

La mairie de Loos-en-Gohelle (© Sophie Chapelle).
© Sophie Chapelle

Formations, dispositifs d’écoute entre élus ou chefs de services et espaces de réflexion collective ont été mis en place pour prévenir les burn out « Cette maïeutique n’est pas visible, prend énormément de temps, mais est structurante si l’on veut assumer la radicalité des transformations et pas seulement la radicalité des propos », estime l’édile. Là où les choses avancent, il y a des personnes motivées, mais également une intelligence collective.

Tout n’est pas parfait, à commencer par les déplacements. En dépit des quinze kilomètres de ceinture verte, difficile de rallier le centre-ville sans voiture. Le faible nombre de pistes cyclables se conjugue à un manque de régularité des lignes de bus. « Sur la mobilité ou les déchets, on a échoué car ce sont des compétences d’agglomération », reconnaît Jean-François Caron, bien qu’il soit lui même vice-président de l’agglo. « On peut malgré tout faire beaucoup de choses à l’échelle d’une commune. On le voit sur les énergies ou sur le système alimentaire » (ce que Basta! vous raconte dans le 2e volet de ce reportage).

Une des rares pistes cyclables autour de Loos-en-Gohelle (© Sophie Chapelle).
© Sophie Chapelle

« Dans cinq ans, la ville sera intégralement solaire »

Après l’église, plusieurs bâtiments communaux ont été équipés en panneaux photovoltaïques, capables d’alimenter en électricité l’équivalent de 176 foyers. Les statuts de la société d’économie mixte, « Mine de soleil », viennent d’être déposés, offrant la possibilité aux citoyens d’investir dans la transition. Toutes les écoles ont été isolées. Mener à bien l’ensemble de ces mesures concrètes relèverait presque du sport de combat. « C’est un mix entre l’interdiction, la posture, et la pratique du judo avec les acteurs, plus un peu de persuasion... Il s’agit d’utiliser les espaces. »

Et ce n’est pas terminé. La municipalité caresse le projet d’installer des panneaux solaires sur les toitures privées. « Dans cinq ans, la ville sera intégralement solaire », pronostique son maire [6]. En parallèle, la ville fait la promotion de la sobriété énergétique, via la rénovation thermique ou la baisse de l’éclairage public.

Panneaux solaires sur les toits d’un bâtiment (© Loos-en-Gohelle).

Aspiré par le besoin d’un changement d’échelle, Jean-François Caron multiplie les interventions partout en France. « Ça diffuse partout, mais c’est à côté de Loos que c’est le plus difficile », constate-t-il. Dans le bassin minier du Pas-de-Calais, tous les députés sont issus du Rassemblement national (ex-FN). Loos est à douze kilomètres de Hénin-Beaumont, tenue depuis les élections municipales de 2014 par Steeve Briois, proche de Marine Le Pen. Au deuxième tour de l’élection présidentielle de 2017, cette dernière a recueilli 57 % des voix à Loos – et déjà 39 % au premier tour.

Dans le secteur, ce score reste cependant l’un des plus faibles du RN. « On est quinze points au-dessous des autres », souligne Jean-François Caron. Le vote RN peut monter jusqu’à 73 % au second tour dans les communes alentour. « C’est important qu’il y ait en face des ces logiques des gens organisés. Montrer que l’on peut faire tout cela en étant pauvre a aussi un pouvoir de démonstration énorme. » Jean-François Caron en est convaincu : « Plus les gens sont impliqués dans la citoyenneté, moins ils votent RN. »

Sophie Chapelle

 Dans le second volet de ce reportage, vous découvrirez comment Loos-en-Gohelle tente aussi de développer son autonomie agricole et alimentaire, et essaie de créer les emplois de la transition.

Photo de une : Des citoyens et citoyens engagés dans le plan solaire de Loos en Gohelle. Derrière eux, la centrale solaire de Lumiwatt, à l’extérieur de la ville, qui génère l’équivalent de la consommation électrique de 24 ménages. En arrière plan, les terrils. Crédit : Association Energethic.

Notes

[1Lire à ce sujet notre reportage dans le bassin minier en Lorraine où les habitants sont confrontés aux mêmes conséquences : maisons fissurées à la limite de l’effondrement, rivières mortes à force d’être goudronnées, pollution des nappes phréatiques, risque d’inondations...

[2Lire le combat exemplaire des verriers de Givors, pour la reconnaissance de leurs maladies professionnelles.

[3Lire à ce sujet le zoom sur le festival culturel populaire « les Gohelliades » et voir des photos ici.

[4Dans cette vidéo, une habitante explique qu’elle paie moins de 150 euros par an, contre 1500 euros auparavant.

[5Regarder à ce sujet cette vidéo sur la manière dont le skatepark de Loos-en-Gohelle a été réalisé.

[6Voir à ce sujet le plan solaire de Loos-en-Gohelle.