Numérisation

Pass vaccinal : une double peine pour les personnes âgées, les moins diplômées et aux revenus modestes ?

Numérisation

par Thalia Creac’h

Une expérimentation est en cours pour que l’application TousAntiCovid puisse héberger des certificats de vaccination et des résultats de tests, voire devienne une sorte de « pass sanitaire ». Ce qui n’est pas sans poser de nombreuses questions.

Une nouvelle fonctionnalité de l’application TousAntiCovid, nommée TousAntiCovid-Carnet, est expérimentée depuis le 19 avril. Cette application – initialement appelée StopCovid et actuellement téléchargée par 15 millions de Françaises – avait été mise en place pour tracer les malades et leurs « cas contact ». Désormais, elle pourrait héberger la « preuve de test négatif ou positif certifiée et, demain, une attestation certifiée de vaccination » selon le gouvernement. Il suffirait donc de présenter son smartphone avant de partir en voyage pour prouver que l’on n’est pas contaminé ou que l’on a été vacciné. L’option va être testée sur les vols à destination des Outre-mer et de la Corse. Si l’expérimentation est probante, le gouvernement souhaite étendre ce dispositif à l’ensemble de l’Union européenne (UE).

Comment, concrètement, va fonctionner ce « carnet » numérique ? Les utilisateurs disposeront de deux types de documents délivrés par les centres de vaccination ou les laboratoires : les résultats des tests ou les certificats de vaccination ainsi qu’un certificat authentifié par le Système d’information de dépistage populationnel (SI-DEP), qui centralise l’ensemble de ce type de données. Dès que les utilisateurs mettront à jour l’application, il sera possible d’y télécharger leurs résultats de tests PCR ou antigénique et, à partir du 29 avril, d’y stocker son certificat de vaccination [1].

« La France est le premier pays d’Europe à mettre cette fonctionnalité à disposition de ses citoyens. TousAntiCovid devient de plus en plus un couteau suisse pour la gestion sanitaire, assure Cédric O, secrétaire d’État au Numérique. « Il y a deux intérêts majeurs : les documents auront un caractère infalsifiable et pourront être lus très rapidement ». Les fichiers disposeront d’un code datamatrix, proche d’un QR Code, qui sera scanné par les douanes, la police ou les compagnies aériennes et qui leur permettra de déterminer l’authenticité du fichier.

Cela fait plusieurs mois que la France réfléchit à la mise en place d’un « pass sanitaire » dans l’optique de lever les restrictions liées au Covid-19, concernant notamment les déplacements et les accès à des événements ou certains lieux. Un projet similaire est étudié par l’UE. Ce dernier devrait être déployé fin juin et donner également la possibilité de présenter un certificat de vaccination, une preuve d’immunité au virus ou un test négatif afin de voyager dans les pays de l’Union.

Les droits et libertés des personnes en question

L’application avait subi de nombreuses critiques, en particulier sur la protection des données numériques personnelles. L’intégration des résultats de tests et des certificats de vaccination ravive ces enjeux. Selon le gouvernement, les données relatives à ces documents devraient être exclusivement stockées sur le smartphone du particulier. La confidentialité des données seraient préservée : « Le projet réunit l’expertise d’acteurs nationaux publics et privés (Inria, ANSSI, Orange et Dassault notamment) qui se sont attachés à préserver la sécurité et la vie privée des Français à tous les niveaux du développement du dispositif. » On peut cependant se demander pourquoi l’État a besoin de recourir aux services d’acteurs privés, soumis à des intérêts commerciaux, pour garantir le respect de la vie privée.

La Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés) a rendu un avis le 22 avril, rappelant quelques conditions : l’utilisation de la fonctionnalité « Carnet de tests » doit rester « basée sur le volontariat » ; le certificat « doit être accessible également au format papier » ; les autorités ne pourront pas avoir accès aux données de santé, encore moins « générer la création d’une base centralisée de données ». Enfin, l’utilisation de l’application ne peut, pour la Cnil, « constituer une condition à la libre circulation des personnes ». Pour la Cnil, dont l’avis reste consultatif, elle ne pourra donc pas être exigée pour avoir accès à certains lieux ou événements, ni servir de futur pass sanitaire. Un tel pass « poserait de nombreuses questions juridiques, techniques et sociétales ».

L’application TousAntiCovid, génératrice d’inégalités

L’hébergement des résultats des tests et des certificats sur une application soulève d’autres questions, notamment en termes de fracture numérique. L’« illectronisme » – « le fait de ne pas posséder les compétences numériques de base (envoyer des courriers électroniques, consulter ses comptes en ligne, utiliser des logiciels, etc.) ou de ne pas se servir d’Internet (incapacité ou impossibilité matérielle) » – concerne 17 % de la population, selon l’Insee. « Les personnes les plus âgées, les moins diplômées, aux revenus modestes, celles vivant seules ou en couple sans enfant ou encore résidant dans les DOM sont les plus touchées par le défaut d’équipement comme par le manque de compétences », précise l’institut de statistiques [2].

Et pour se servir de l’application, il est nécessaire d’avoir accès à Internet, de posséder un smartphone, et de savoir s’en servir. Or, selon l’Insee, « 38 % des usagers apparaissent manquer d’au moins une compétence dans les quatre domaines que sont la recherche d’information, la communication, l’utilisation de logiciels et la résolution de problèmes. Le défaut de compétence le plus répandu concerne l’usage de logiciel (35 %) » [3]. Le recours à l’application TousAntiCovid entre précisément dans cette compétence « usage de logiciel », avec le risque qu’une personne sur trois rencontre des difficultés pour l’utiliser.

Des difficultés pour se faire vacciner

Le gouvernement affirme de son côté que recourir à TousAntiCovid restera facultatif. Celles et ceux qui ne parviendront pas à utiliser l’application pourront s’adresser directement aux laboratoires et centres de vaccination pour obtenir une version papier. Problème : encore faut-il pouvoir se faire vacciner. Les personnes âgées isolées et très peu mobiles sont actuellement vaccinées à domicile. Et un Français sur dix habite dans un désert médical. « La campagne de vaccination du Covid-19 ne fait qu’accentuer les inégalités des déserts médicaux sur l’accès aux soins de la population vivant dans ces zones. En effet, pour les personnes âgées, il est très compliqué de se déplacer jusqu’aux centres de vaccination qui sont souvent trop éloignés de leur domicile. Les communes situées en dehors des agglomérations sont les grandes oubliées de cette campagne », rappelle la Mutuelle des services publics.

Ces obstacles sont déjà accentués par la fracture numérique, car il faut souvent passer par Internet pour prendre rendez-vous. Selon Les Échos, ce sont souvent les individus les plus mobiles qui sont le plus à l’aise avec le numérique. Des systèmes alternatifs ont d’ailleurs été mis en place, comme la prise de rendez-vous par téléphone, notamment en Seine-Saint-Denis. « Force est de constater que ce sont les plus instruits et les mieux informés qui ont réussi à tirer leur épingle du jeu lors de la première vague de vaccinations Pfizer et Moderna », observe le Syndicat des médecins généralistes.

Si l’on combine la fracture numérique aux difficultés pour certaines d’accéder aux soins – tant en raison de leur manque de mobilité que de leur présence au sein d’un désert médical –, il semble difficile d’éviter la rupture d’égalité. Ces personnes seront-elles victimes d’une « double peine » avec le dispositif TousAntiCovid-Carnet, en étant exclu du fameux « pass vaccinal » ? « Pour aller chez le fleuriste ou au restaurant, le passeport sanitaire n’est pas envisagé », indique Cédric O. « En revanche, la situation peut être différente pour les grands concerts, les festivals ou encore les salons professionnels ».

Thalia Creac’h

Photo : © Pedro Brito Da Fonseca

Notes

[1Celles et ceux qui auront déjà eu les deux injections avant le 29 avril devront se rendre sur Ameli, le site de l’assurance maladie, à partir de la fin du mois de mai pour télécharger leur certificat.

[2Voir le rapport de l’INSEE réalisée en 2019.

[3N°1780 de la revue Insee Première.