voyager éthique

Tourisme : l’été prochain, bronzez solidaires

voyager éthique

par Ivan du Roy

Lutter contre les inégalités et redistribuer (un peu) les richesses en prenant des vacances, c’est possible ! Sur fond de crise pétrolière et de réchauffement climatique, le tourisme solidaire tente de sortir de son ghetto.

Cet article a été initialement publié dans l’hebdomadaire Témoignage Chrétien

Il y a à peine un demi siècle, on comptait 25 millions de voyageurs internationaux. L’époque où le tourisme relevait d’un acte un peu téméraire et un soupçon aventureux est révolu. Aujourd’hui, 840 millions de touristes parcourent la planète. Ils seront un milliard demain (en 2010 selon l’Organisation international du tourisme). A l’heure des « low-cost » en avion ou à l’hôtel, voyager est devenu d’une extrême banalité. L’essor mondial du tourisme de masse n’est évidemment pas sans conséquences sur les populations et l’environnement des sites visités.

Parmi la multitude des opérateurs, une autre forme de voyage tente de se forger une place. Un tourisme qui se préoccupe de développement local, de répartition de la manne financière, de lutte contre la pauvreté, d’écologie, et de celui qui accueille. A l’instar du commerce équitable ou de l’économie sociale, le tourisme solidaire incarne une voie alternative. Il fait encore figure de minuscule niche au sein du marché du tourisme dit d’aventure (trekking, randonnée, circuit découverte...) qui représente 130 000 voyageurs en France. En 2006, 4 500 personnes sont passées par une structure du tourisme solidaire, principalement des associations, pour un chiffre d’affaire de 4,3 millions d’euros, dont près de 20% pour le « leader » du secteur, Croq’Nature. C’est à peine 2,5% du chiffre d’affaire dégagé par l’ensemble du tourisme dit d’aventure. Le tourisme solidaire aurait-il raté le train de l’actuelle prise de conscience environnementale ?

Problème de définitions

Tourisme solidaire, responsable, éthique, équitable, écotourisme ou encore l’inévitable voyager autrement : le vacancier motivé par une telle démarche s’y perd. « Il existe une confusion entre le tourisme humanitaire, ou de bénévolat, et le tourisme solidaire », explique Manuel Miroglio, co-organisateur du festival « Partir autrement » et membre associé de l’Association pour le tourisme équitable et solidaire (ATES) qui regroupe les principaux acteurs du secteur. « Le tourisme humanitaire répond à la volonté délibérée d’un voyageur de se rendre utile dans les pays en développement par ses compétences techniques : partir quelques semaines dans le cadre d’un congé solidaire pour enseigner au Burkina-Faso ou recenser des espèces menacées en Indonésie. Le tourisme solidaire, ce sont des voyages organisés par des associations en France en collaboration étroite avec des associations locales. Sa finalité, outre le plaisir des vacances et des rencontres, est d’être un levier de développement. »

Cette activité, expérimentée dans les années 60 avec le « tourisme intégré » en Afrique de l’Ouest a commencé à se développer dans les années 80. Elle souffre encore d’un manque criant de visibilité au-delà des cercles des convertis, et pâtit de cette image de séjour rustique et militant au milieu de populations pauvres. L’ATES ne s’est créé qu’en 2006 pour fédérer les initiatives autour de sa charte . « Ceux qui souhaitaient voyager autrement ne trouvaient pas les offres », explique Julien Buot, en charge de la communication du réseau. Pourtant, à côté des gros opérateurs, les associations ont quelques atouts à faire valoir auprès des clients soucieux des conséquences de leur voyage.

Communautés locales

« De 50% à 80% du prix d’un voyage classique revient aux pays développés, par le coût du billet d’avion ou le séjour en chaîne hôtelière internationale », détaille Manuel Miroglio. Pour le secteur solidaire, cette part descend à environ un tiers du prix. Priorité est donnée aux partenariats avec les communautés locales qui décident du projet touristique et de la répartition de ses retombées financières en fonction des besoins collectifs. « Une partie du prix du voyage, entre 3% et 15%, sert à financer des projets de développement », ajoute le militant. Les clients sont de plus adhérents de l’association qui les fait voyager, qui se doit de leur rendre des compte sur ses orientations et ses investissements. Le tourisme solidaire est aussi participatif. Le voyageur y est un acteur.

En dix ans ne association comme Croq’Nature a ainsi financé en Afrique saharienne le creusement d’une vingtaine de puits, l’ouverture de onze écoles, la création de coopératives alimentaires, de dispensaires ou d’un centre de formation en agro-écologie. Une goutte dans l’océan qui sépare pays riches et pauvres, mais qui ne demande qu’à prendre du volume. « Le tourisme solidaire est un merveilleux outil de lutte contre l’exode rural et la pauvreté », se réjouit Julien Buot. Selon l’Union nationale des associations de tourisme et de plein air (Unat), cette démarche intéresserait 6% des 11 millions de voyageurs français.

21 millions d’exclus du voyage

« Aujourd’hui, le public concerné se constitue essentiellement de catégories socioprofessionnelles moyennes et supérieures : des gens issus du monde de l’enseignement, des professions libérales et des retraités. Des personnes qui ont une tendance à l’engagement associatif et syndical », précise Manuel Miroglio. Pour élargir ce public, l’ATES commence à travailler avec des comités d’entreprise, en particulier avec la Caisse centrales d’activités sociales (CCAS) du personnel d’EDF qui a créé un catalogue de vacances alternatives. « Cela permet à des salariés qui n’en avaient jamais entendu parler de voyages solidaires d’y aller par leur CE ». Reste que 21 millions de Français n’ont pas les moyens de se payer des vacances, selon l’Insee. « N’est-il pas temps pour le tourisme solidaire, si le mot solidaire a un sens, de viser un public exclu de la possibilité d’organiser des vacances lointaines », interroge Alain Desjardin, président du réseau d’éducation populaire Peuple et culture, et animateur de l’association Accueil paysan.

Une pédagogie du voyage et du rapport à l’accueillant est nécessaire. Car voyager autrement signifie changer nos comportements vis-à-vis des vacances. La durée moyenne mondiale d’un séjour est de... quatre jours. Les « low-cost » et l’avènement du temps libre favorisent les week-ends ou les petits séjours dans une capitale voisine ou sous les palmiers à quelques heures d’avion. L’actualité du réchauffement climatique et de la crise pétrolière pose la question du recours au transport aérien. Celui-ci représente 3,5% des émissions de CO2 liées aux activités humaine, en augmentation constante depuis vingt ans, et devrait atteindre 5% en 2050.

En train et en bateau

L’alternative ? Partir moins souvent mais plus longtemps, des séjours plus longs intégrant d’autres types de transport moins rapide mais moins polluant. Certains opérateurs proposent déjà des circuits en Europe orientale et au Maroc en train et en bateau, ou s’engagent à ne faire voyager leurs clients qu’en chemin de fer pour des destinations inférieures à 800 km. L’association Accueil paysan, créé en 1987, qui « réunit dans la solidarité et le respect de l’environnement, paysans, retraités, acteurs ruraux et paysans de la mer », mise de son côté sur la multiplication des séjours en France. Plus de 700 hébergements - « où le mot tourisme a été proscrit car nous sommes dans un rapport entre accueillant et accueilli », insiste Alain Desjardin - sont proposés.

Pour essayer d’y voir plus clair dans le tourisme solidaire, un label commun est à l’étude. Car plus de 400 certifications touristiques sont en vigueur dans le monde ! L’association Agir pour un tourisme responsable (ATR) est en train d’établir une certification avec l’Afnor. Trois de ses membres (Allibert,Atalante et Chamina) l’ont déjà obtenu. De son côté, l’ATES est en contact avec le certificateur Flo international (le label Max Havelaar du commerce équitable). Un travail d’évaluation de l’impact du tourisme solidaire en terme de création d’emplois et de retombées pour les populations accueillantes a été initié. « Le consommateur va vouloir vérifier la véracité des engagements annoncés par les opérateurs », prévient Manuel Miroglio. Surtout si ces préoccupations commencent à gagner les voyagistes conventionnels, et peut-être tentés par une opération marketing à peu de frais en ces temps de prise de conscience verte.

Ivan du Roy