Éducation

Sur une aire d’accueil de gens du voyage, une classe expérimentale comme « tremplin » vers l’école

Éducation

par Guy Pichard

Depuis un an, la ville de Paris et l’Éducation nationale mènent une expérimentation inédite sur les aires d’accueil de Boulogne et de Vincennes : amener l’école directement sur les sites où résident des gens du voyage. Reportage.

« Je viens tous les jours où les professeurs sont là. J’aime beaucoup aller à l’école. Je voudrais vraiment apprendre à lire à écrire, pour mon avenir. » Depuis le seuil de sa caravane, Angel, 11 ans, décrit « son école » et « ses maîtresses » avec enthousiasme. Depuis un an, le garçon a, deux jours par semaine, une salle de classe à quelques mètres de son domicile, sur l’aire d’accueil des gens du voyage de Vincennes.

Angel : « Je viens tous les jours où les professeurs sont là, j’aime beaucoup aller à l’école. » ©Guy Pichard
La salle de classe de l’aire d’accueil du bois de Vincennes, créée en 2017. ©Guy Pichard

Si le décor ressemble à s’y méprendre à celui d’une école comme une autre, le programme scolaire est ici adapté aux besoins spécifiques des élèves. Souvent déscolarisés, les enfants de la communauté viennent plutôt s’initier à la lecture et à l’écriture. L’équipe enseignante souhaite aussi leur inculquer des repères éducatifs dans le but de leur donner goût à l’école et les orienter vers un établissement scolaire classique.

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Pour la traditionnelle carte de vœux, chaque enfant a eu le choix entre différents souhaits à classer selon sa volonté. Abraham a choisi, l’école ! ©Guy Pichard
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Les groupes d’âge se succèdent au fil de la journée

« En un an ici, j’ai redécouvert ce que c’était que des enfants qui ont envie d’apprendre, et pourtant cela fait 20 ans que je fais ce métier », témoigne Violaine, l’une des institutrices en poste dans cette école. Un ballet incessant d’enfants se presse aux fenêtres de la classe ou viennent frapper à la porte pour demander quand ce sera leur tour « d’aller à l’école ». Dans la salle de classe, trois groupes se succèdent entre 9 h à 16 h, classés par âge, de 6 à 12 ans, les plus petits étant les premiers.

Violaine, enseignante : « Nous axons sur la lecture, l’alphabet et des thèmes comme les quatre saisons. » ©Guy Pichard

« Nous axons l’enseignement sur la lecture, l’alphabet et des thèmes simples, comme les quatre saisons. C’est frustrant d’avoir chaque enfant seulement quatre heures par semaine, mais c’est déjà ça », dit Violaine. Tout au long de la journée, les deux institutrices n’accueillent pas plus de six enfants en même temps. « Ce sont des enfants qui n’ont pas ou peu eu accès à l’école avant, qui n’ont pas appris à écouter, à se concentrer... C’est la plus grande difficulté à laquelle nous sommes confrontées », ajoute l’enseignante.

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Une chanson pour apprendre à compter. ©Guy Pichard
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Située près de l’hippodrome – et avec comme seul et unique voisin le Centre régional de formation de la police – l’aire d’accueil du bois de Vincennes a ouvert en 2017. Elle compte une centaine d’habitants pour un espace d’environ 5000 m². La densité de population est importante. « Trop peu nombreuses en France, les aires d’accueil sont officiellement destinées aux gens du voyage de passage. La réalité est qu’elles sont en majorité habitées par des groupes familiaux. Ils tiennent néanmoins à la caravane et à ce rapport particulier à l’extérieur », explique Sivan, référent pour les familles à l’Association pour l’accès aux droits et la promotion des tziganes et gens du voyage (Adept).

Une expérimentation qui attend une suite

Accès au droit, accès à la santé, soutien à la parentalité, à l’éducation... l’Adept travaille sur tous ces sujets. Pour l’expérimentation scolaire, elle a œuvré main dans la main avec la mairie de Paris et l’Éducation nationale. « Par le passé, il y a eu des mobilisations pour inciter les familles à se déplacer en mairie pour inscrire leurs enfants à l’école. Mais malheureusement, les petits n’étaient allés que quelques jours en classe, détaille Anna Carrizo, responsable du centre social pour l’Adept sur les deux aires d’accueil parisiennes de Vincennes et Boulogne. C’est cet échec qui a amené les pouvoirs publics à lancer cette expérimentation. » La fuite des établissements scolaires des élèves issus des communautés de voyageurs a plusieurs raisons : niveau scolaire de base faible, qui s’explique par une irrégularité scolaire induite par l’itinérance, discriminations, distance en transport…

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Difficile d’enseigner la phonétique avec un masque... mais comme dans n’importe quelle école, le protocole sanitaire est appliqué. ©Guy Pichard
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La majorité des familles qui composent les groupes de Vincennes et Boulogne sont installées en Île-de-France depuis plusieurs générations. Quelques-unes sont de nationalité espagnole ou italienne, la plupart sont françaises. Elles parlent le romanes, agrémenté d’italien, d’espagnol et de français bien évidemment. Dans la classe, le romanes est proscrit pour privilégier l’apprentissage du français et la compréhension des enseignantes, avec tout de même des temps d’échanges réservés pour que les enfants leur apprennent quelques mots et expressions.

Sophie, enseignante : « Notre objectif est aussi d’enseigner le français aux enfants, afin qu’ils se débrouillent ensuite à l’école ». ©Guy Pichard

Les enfants parlent parfois entre eux dans leur langue, mais sont vite repris... « Notre objectif est aussi d’enseigner le français aux enfants afin qu’ils se débrouillent à l’école, précise Sophie, l’autre institutrice. Les adolescents étant déjà presque entrés dans la vie active, nous nous focalisons sur les plus jeunes pour leur donner goût à l’école. » Violaine s’interroge sur son rapport à la culture spécifique de la communauté : « Je me pose énormément de questions sur leurs conditions de vie, quelles sont les solutions à leurs problèmes... et comment ne pas inculquer des travers de notre culture et respecter la leur ? »

Anna, de l’Adept : « Les gamins sont fous de joie. » ©Guy Pichard

« Les gamins sont fous de joie d’aller à l’école. Les famille aussi sont contentes et en redemandent. L’opération est un succès ! » s’enthousiasme Anna Carrizo, de l’Adept. Reste néanmoins un défi majeur à relever : si l’expérimentation se veut un tremplin vers une scolarisation dans une école classique, quelle peut être l’étape suivante pour inciter les parents à inscrire leurs enfants à l’école et les petits à y aller durablement ? « Le risque est que les parents n’aient pas conscience que ce n’est pas la vraie école ici, et l’objectif de l’Éducation nationale et de la ville de Paris est de scolariser les enfants ailleurs, s’inquiète Anna Carrizo. Cette classe est pensée comme une passerelle. »

Guy Pichard

Photos : © Guy Pichard