Consumérisme

« Sois belle avant tout » : un rapport épingle le sexisme dans la publicité

Consumérisme

par Sophie Chapelle

La diffusion de stéréotypes et d’injonctions sexistes persiste en France. C’est ce que montre le rapport de l’Observatoire de la publicité sexiste publié ce 21 janvier.

« Sois belle avant tout », « les femmes ne savent pas conduire », « les femmes, ces êtres si fragiles »... Autant d’injonctions et de stéréotypes sexistes qui continuent d’être quotidiennement véhiculés par les publicités. C’est ce que montre le dernier rapport de l’Observatoire de la publicité sexiste publié ce 21 janvier par l’association Résistance à l’agression publicitaire (R.A.P.) [1].

À travers une plate-forme collaborative en ligne, chaque citoyen a pu soumettre des exemples de publicités jugées sexistes, diffusées sur différents supports en France durant l’année écoulée [2]. Résultat ? Les secteurs de l’habillement-parfumerie et de l’hygiène-produits de beauté représentent plus de la moitié de ces publicités jugées sexistes. Ces dernières utilisent principalement les injonctions à la beauté (54 %), à la jeunesse (47 %) et à la minceur (42 %), souvent cumulées dans une même publicité. Il ressort une sexualisation exacerbée des corps féminins, à travers notamment des bouches entrouvertes, jambes écartées...

« Le publisexisme est d’autant plus frappant quand on compare des publicités ciblant les femmes à leur équivalent adressé aux hommes, pour une même marque et un même produit ou service », souligne le rapport. Il prend l’exemple de deux publicités pour un club sportif. Outre le stéréotype du code couleur – rose pour les femmes, bleu pour les hommes – l’objectif pour les femmes est d’avoir un « Summerbody toute l’année » quand celui des hommes est d’« Oser le 42 km ». Les auteurs du rapport rappellent que de nombres recherches mettent en avant le lien entre la diffusion massive d’images de corps féminins et la progression des troubles obsessionnels compulsifs ainsi que des troubles alimentaires chez les femmes.

« Dans 89 % des campagnes, ce sont les hommes qu’on présente comme des experts »

Le rapport revient sur la représentation des femmes depuis les années 1920 dans les publicités. « Les femmes furent très tôt représentées comme assistantes des hommes. Les rares fois où des femmes sont représentées en expertes, c’est pour enseigner les tâches ménagères à leur fille, ou pour dire aux hommes comment les séduire », rappellent les auteurs.

Tout au long du 20e siècle, les femmes apparaissent comme obsédées par les objets, perdant aisément le contrôle de leurs émotions et de leur corps, comme en atteste cette publicité d’un vendeur de hi-fi français, présentant une paire de fesses surtitrées « Toutes... ça les prend là... »

Des femmes étourdies par les objets, perdant le contrôle de leur corps pour une chaîne hi-fi (1975), un parfum (1986) et une voiture (1937).

La publication de ce rapport rappelle que les publicités sexistes ont peu évolué, voire se sont renforcées au fil des décennies. Mais depuis 2019, des femmes publicitaires s’élèvent contre les inégalités et agressions sexistes dont elles sont victimes sur leur lieu de travail. En 2020, le compte Instagram « Balance ton Agency » a commencé à rassembler les témoignages de comportements et propos sexistes vécus ou entendus par les femmes au sein des agences. Christelle Delarue, fondatrice de l’association Les lionnes, figure de ce mouvement, témoignait en 2019 : « Dans les spots télé, les femmes sont six fois plus dénudées que les hommes. Et dans 89 % des campagnes, ce sont les hommes qu’on présente comme des experts ».

Répartition des figures d’expertise dans des publicités des années 1920, 1950 et 1960 pour des produits de réfrigérateur, tabac, aspirateur et nettoyage.

Inscrire dans la loi l’interdiction du sexisme dans la publicité

La plupart des pays ont choisi de confier la régulation des contenus publicitaires au secteur lui-même, consacrant le principe d’autorégulation. En France, c’est l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité qui en a la charge (ARPP). Or, l’analyse des plaintes récentes démontre l’inefficacité de l’ARPP, dénonce l’association Résistance à l’agression publicitaire. « Au mieux, elle condamne une campagne publicitaire par un "avis défavorable" publié sur son site bien après la fin de cette dernière ; au pire, elle ne fait rien du tout », déplorent les auteurs du rapport.

Certaines publicités traitées par le jury de déontologie publicitaire – l’une des trois instances de l’ARPP – ont ainsi été épinglées par les contributions de l’Observatoire de la publicité sexiste. C’est le cas de la publicité d’une marque de vêtements pour une campagne nommée « liberté, égalité, beau fessier ». Dans son avis du 20 mai 2019, le jury a estimé que cette plainte n’était pas fondée, le message n’étant pas à son sens « outrageant ou dénigrant ». Les recommandations de cette instance demeurent par ailleurs peu respectées par le milieu publicitaire. La société d’affichage qui a diffusé une publicité pour du parquet se demandant « qui a la plus grosse…offre du moment » avec un visuel présentant des hommes nus, a indiqué début 2020 « sa totale indifférence à l’égard de l’action menée par le Jury de déontologie publicitaire ».

La France reste donc très timide sur la régulation des contenus publicitaires. « Les quelques obligations qu’elle fait figurer dans la loi pour éviter tout excès ne sont clairement pas suffisantes, considère l’association R.A.P. Seules des sanctions et la création d’une instance de régulation réellement indépendante du secteur publicitaire est nécessaire pour mettre fin à ces pratiques avilissantes. » L’association recommande aussi d’inscrire dans la loi l’interdiction du sexisme dans la publicité, et de ne plus utiliser les corps dans les campagnes. « Il est plus juste de mettre en avant le produit plutôt qu’une personne censée nous séduire », précise R.A.P. Pour Jeanne Guien, chercheuse et porte-parole de l’association, « sur le terrain du genre comme sur celui de l’écologie, il est urgent de poser des limites et de réguler les discours publicitaires ».

Sophie Chapelle