Marché carbone

Shell et Gazprom, nouveaux sauveurs des forêts tropicales ?

Marché carbone

par Sophie Chapelle

En investissant dans des projets censés protéger les forêts, les plus gros pollueurs peuvent endosser un rôle de bienfaiteurs, tout en empochant de beaux gains au nouveau casino écolo. Merci les marchés carbone ! Exemple en Indonésie.

Photo : déboisement dans le Kalimantan (Indonésie)

Les géants du pétrole et du gaz vont-ils apparaître comme les sauveurs des forêts tropicales ? Les multinationales russe Gazprom et anglo-néerlandaise Shell y comptent bien. Tout en espérant ramasser quelques centaines de millions d’euros. Elles soutiennent le projet « Rimba Raya », sur l’île de Bornéo, en Indonésie. Il s’agit d’un programme de conservation de forêts tropicales. Depuis le milieu des années 80, les trois quarts des forêts de l’île ont disparu à cause des incendies, de l’extension des plantations industrielles et des abattages illégaux. L’une des parties les plus déboisées se situe dans la plaine du Kalimantan, la partie indonésienne de Bornéo. C’est à cet endroit que le projet de conservation de Shell et Gazprom, couvrant environ 100.000 hectares de forêts marécageuses et de tourbes riches en carbone, est inauguré.

Pour que l’investissement devienne lucratif, Shell et Gazprom doivent faire en sorte que leur projet écolo intègre le programme onusien « REDD ». De quoi s’agit-il ? C’est un programme pour permettre aux grandes entreprises de compenser leurs émissions de CO2 – ou de revendre leurs crédits carbone – en freinant la déforestation dans les pays en développement (voir notre lexique). Le projet « Rimba Raya » est donc passé sous les fourches caudines de la norme « Voluntary Carbon Standard », « la plus respectée des normes pour les compensations carbone volontaires  », selon l’agence de presse Reuters. Avec succès. En protégeant ces forêts, les deux multinationales vont ainsi pouvoir se féliciter publiquement d’avoir évité à la planète des émissions de gaz à effet de serre : 18,5 millions de tonnes de CO2 pour la décennie à venir, et près de 75 millions de tonnes sur 30 ans. Quelle générosité !

Généreux bienfaiteurs ou profiteurs de crise climatique ?

Surtout, des centaines de millions de certificats carbone vont être générés par ce projet. Des crédits qui serviront à compenser les pollutions futures de nos bienfaiteurs de l’humanité, ou seront revendus sur les marchés carbone :« à environ 10 dollars le crédit, cela signifie 750 millions de dollars sur 30 ans », souligne Reuters.

Du côté de « la forêt d’en bas », le Réseau environnemental des peuples autochtones dénonce cette certification. Selon lui, l’Onu, avec son programme REDD, « autorise les pollueurs comme Shell, Rio Tinto et ChevronTexaco à acheter une échappatoire de réduction de leurs émissions à la source par la supposée conservation des forêts ». Le mécanisme induit par REDD – je pollue, mais je compense en investissant dans la protection des forêts – est contesté par plusieurs ONG. Elles lui reprochent, sous couvert de protection de l’environnement, d’inclure les plantations nouvelles replantées après un déboisement, tels les palmiers à huile OGM, et de privatiser de fait les forêts. « Au moment où nous parlons, Shell essaie d’augmenter ses opérations de forages pétroliers offshore en Alaska en dépit des protestations des communautés sur place », renchérit le Réseau environnemental des peuples autochtones.

Plus d’une douzaine de projets REDD sont actuellement à l’étude en Indonésie. Les acteurs du marché mondial des crédits carbone de forêt peuvent se frotter les mains. Et les pétroliers enfin redorer leur blason.

Sophie Chapelle