« L’Essonne est particulièrement touché en terme de service public. Nous les pompiers, on n’y échappe pas. » Jean-Christophe Cantot, secrétaire adjoint à la CGT du service départemental d’incendie et de secours (Sdis 91), était déjà jeune pompier à quinze ans. Volontaire depuis ses dix-sept ans, aujourd’hui sergent-chef à la caserne de Dourdan, il a plus de vingt ans de métier. Le constat qu’il dresse sur la situation des soldats du feu de l’Essonne est amer : « Le département cristallise les grandes problématiques urbaines et rurales que l’on retrouve nationalement. Au nord, une démographie forte, avec des grands ensembles. Au sud, un désert de services publics, avec moins d’hôpitaux et de casernes. »
Le manque de personnel et de moyens se fait de plus en plus sentir. Plusieurs casernes ont dû fermer à plusieurs reprises par manque d’effectifs [1]. Sur 21 centres de secours, où volontaires et professionnels sont en attente d’une intervention, 18 manquent de pompiers, selon le syndicaliste. « A Viry-Châtillon, ils sont censés être seize de garde la journée et quatorze la nuit. Ils ne sont que douze, au maximum. »
- Le sapeur Yohan Martin à la caserne des Ulis
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Pourtant, le conseiller départemental et président du Sdis 91, Dominique Echaroux, avait promis 140 embauches supplémentaires en décembre dernier. « La plupart de ces embauches sont des remplacements de mutations et de départs à la retraite. En fait, il y a eu vingt embauches réelles dans tout le département. Pour beaucoup, elles sont liées aux nouvelles casernes prévues, notamment à Saclay », conteste Alexandre Prunet, sapeur-pompier en poste à Fleury-Mérogis et responsable de la CFTC. Pourtant, la population de l’Essonne s’accroît constamment. Avec plus d’1,3 million d’habitants en 2019, le département devrait encore gagner 70 000 résidents d’ici 2024. Sur le plateau de Saclay, des dizaines de milliers de logements sont en construction.
« Nous avons une surcharge de travail et le département est complètement hermétique à nos revendications », déplore Yohan Martin, pompier et syndiqué CGT. « Si vous prenez les trois casernes de Corbeille, Évry et Viry, nous sommes un pompier pour 440 personnes. A Chartres, pour des casernes équivalentes, il y a un sapeur pour 240 personnes ! »
La caserne de Palaiseau comptait 2700 sorties pour neuf pompiers de garde il y a vingt ans. Aujourd’hui, le nombre d’interventions a doublé, assurées par seulement dix pompiers. Depuis 2015, les interventions pour un nid de guêpes ou un ascenseur bloqué sont facturées, dans le but d’en réduire le nombre. Mais rien n’y fait, les appels d’urgence sont toujours aussi nombreux, avec environ 100 000 interventions par an. « Et maintenant les citoyens qui ne peuvent pas payer vont se retrouver à faire des trucs dangereux. C’est dégueulasse », soupire Jean-Christophe Cantot.
« Christophe Castaner veut nous équiper de caméras-piétons. Mais ça ne réglera pas les problèmes de fond ! »
Si les effectifs manquent, c’est aussi du fait de prévisions partielles du schéma départemental d’analyse et de couverture des risques (SDACR), qui permet d’analyser les zones à risques afin de faciliter le travail des sapeurs. « Pour l’immobilier en construction, le schéma sous-estime le nombre d’habitants par foyer ! Il prévoit selon un nombre standard de personnes par appartement sans prendre en compte les familles très nombreuses », critique Jean-Christophe Cantot. Ces réductions d’effectifs ont des effets sur le terrain. « Depuis Macron, on optimise. Pour un feu de voiture nous sommes passés de six personnes à seulement quatre, pour un incendie d’habitation, de douze à dix ! »
Sans oublier la question de la sécurité des interventions. Les pompiers sont souvent les premiers sur des lieux de tensions et sont confrontés à des agressions. « En tant que représentants de l’État, on nous assimile à la police, et les gens s’en prennent à nous. Les agressions sont particulièrement fréquentes, comme ailleurs en Île-de-France parce que l’État se désengage du service public. En réponse, le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner veut nous équiper de caméras-piétons. Mais ça ne réglera pas les problèmes de fond. En plus, nous ne sommes pas des policiers ! », insiste le pompier Yohan Martin.
- Une ambulance de pompiers en intervention mais en grève
Le conseil départemental est aussi moins exigeant concernant le nombre de gradés par caserne. « Normalement à partir de dix pompiers par centre, un lieutenant doit être affecté. Comme un lieutenant, c’est un fonctionnaire de catégorie B, cela coûte plus cher ! L’Essonne a donc décidé de mettre le seuil à partir de 14 par centre », déplore Jean-Christophe Cantot.
Les représentants syndicaux ne sont pas optimistes pour l’avenir. En premier lieu, à cause du budget départemental. Si le sud du département a déjà vu des services fermer comme la maternité de Dourdan ou la pédiatrie d’Étampes, les perspectives pour le nord du département, plus urbanisé et peuplé, semblent s’assombrir davantage. En cause : fermeture programmée des hôpitaux de Juvisy, Longjumeau et Orsay d’ici 2024. « Nous allons devoir amener les patients de plus en plus loin et donc perdre plus de temps sur la route », craint Alexandre Prunet, de la CFTC. « Nous serons obligés d’emmener les gens dans le privé. Nous travaillons déjà trop, Nous sommes fatigués, tendus, moins patients. On sentait que la situation allait exploser », renchérit son homologue de la CGT.
Gabriel Gadré et Raphaël Godechot
Photos : © Sévan Melkonian
Répression anti-syndicale après le 15 octobre
Le 15 octobre, les pompiers de l’Essonne sont montés à Paris manifester avec leurs collègues de tout le pays. Jean-Christophe Cantot, sapeur pompier et syndiqué à la CGT, en était, comme 200 autres pompiers de l’Essonne. « C’était fort, il y avait des copains de partout en France. On chantait, on applaudissait... » Après l’annonce selon laquelle les négociations avec le gouvernement avaient échoué, vers 17h, en signe de protestation, plusieurs dizaines de pompiers ont décidé d’aller bloquer le périphérique. Le blocage n’a pas duré plus d’ une quinzaine de minutes. « Les CRS se sont remis à nous envoyer du gaz lacrymogène, n’épargnant pas les automobilistes au passage. Pourtant on n’était pas violent, pas un seul feu de poubelle, pas de dégradation, on n’a rien lancé. » « La direction analyse des images pour retrouver les pompiers présents à la manif » « Je conseille à ceux qui ont cru bien faire en exprimant un soutien à l’agent B. de retirer tout écrit des réseaux sociaux »
« On sera là le 14 novembre avec les soignants, et le 5 décembre avec tout le monde ! » |
Gabriel Gadré, Raphaël Godechot et Sévan Melkonian sont journalistes et membres du Petit ZPL (Zone de publication libre), journal local indépendant de Palaiseau, Essonne.