Politique de la ville

Rénovation urbaine ou épuration sociale ?

Politique de la ville

par Ivan du Roy

Dans une vingtaine de villes concernées par les projets de rénovation urbaine, des collectifs d’habitants dénoncent l’absence de concertation et la politique du « tout démolition ». L’Agence nationale de rénovation urbaine (Anru) promet de regarder de plus près les pratiques de certains élus mais refuse de remettre en cause les démolitions.

L’Agence nationale de rénovation urbaine (Anru) « n’est pas qu’un projet de bâtisseurs, c’est aussi et surtout un programme pour les gens qui vivent dans ces quartiers », insistait Jean-Louis Borloo quand il était ministre de la Cohésion sociale. C’est là que le bât blesse. Dans plus d’une vingtaine de communes (sur 228 conventions signées au 1er janvier 2008), principalement en région parisienne, des collectifs d’habitants se sont constitués pour faire entendre leurs désaccords. Absence de concertation et de transparence, relogement dans des mauvaises conditions, pratiques scandaleuses de certains bailleurs sociaux, démolitions jugées injustifiées... La liste des griefs est longue. Et l’Anru prise pour cible en tant que principal financeur. « La rénovation urbaine comme vous la voyez, c’est peut-être une bonne chose, mais comme elle est appliquée, cela n’en est pas une », reproche Mohamed Ragoubi, porte-parole de la « Coordination anti-démolition » à Philippe Van de Maele, directeur de l’Anru, qui, en l’absence du président Gérard Hamel (UMP), en campagne électorale dans son fief de Dreux, recevait une délégation d’habitants en colère début février. « Je ne suis pas en mesure avec soixante-dix personnes à l’Anru de gérer quarante ans de merde du logement social. Vous ne pouvez pas m’accuser de tous les maux de la société. Il y a 400 quartiers, je ne peux pas être partout ! », s’agaçait le directeur de l’Anru pendant la négociation.

Ce sont les maires qui portent les projets de rénovation. Pour obtenir un financement de l’Anru, ceux-ci doivent répondre à plusieurs conditions : prévoir une concertation avec les habitants et les associations de locataires, intégrer une charte de relogement en cas de démolition, et respecter la règle du « un pour un », un logement reconstruit pour un logement détruit. Tous ne s’y conforment pas. La concertation est parfois confondue avec une simple information au détour d’un laconique communiqué. Elle dépend entièrement de la bonne volonté du maire. Des familles sont relogées dans des immeubles dont la démolition est programmée dans quelques années. Des bailleurs augmentent illégalement charges et loyers pour pousser des locataires à partir avant même qu’une convention soit signée, ce qui leur permet de toucher le loyer des personnes relogées par leur soin plus les indemnités pour vacance du logement vidé. La règle du « un pour un » semble respectée sur le papier. Elle est en fait allègrement contournée. Pour exemple, la convention signée entre Mantes-la-Jolie et l’Anru en juin 2005 prévoit bien la reconstruction des 1 149 logements détruits du Val-Fourré. Mais seuls 10 % de ceux-ci se feront dans Mantes-la-Jolie, 58 % « dans le reste de l’agglomération mantaise, dans les centres urbains et dans les communes périurbaines » et 32 % « dans le reste du département », long de 85 km...

Promesse de médiation

La règle du « un pour un » ne spécifie pas non plus que l’appartement reconstruit soit de la même taille que celui détruit. Les 5 pièces et plus représentent ainsi près de la moitié des appartements détruits, alors qu’ils ne constituent que 10 % des reconstructions (1). L’Observatoire des zones urbaines sensibles note « un déficit de la reconstitution de l’offre de logement en termes de surface (nombre de pièces). » Exit donc les familles nombreuses qui, dans ces quartiers populaires, sont souvent d’origine immigrée. Et un paradoxe gênant quand l’Hexagone accuse un retard de près d’un million de logements sociaux. Les nouveaux logements changent aussi de statut : des appartements HLM destinés aux ménages les plus précaires deviennent des logements en accession à la propriété. L’Anru est ainsi accusée de financer une forme « d’épuration sociale ». Enfin, sa politique du « tout démolition » est contestée, la coordination associative estimant qu’une réhabilitation, même lourde, est souvent préférable et moins coûteuse. En moyenne, l’Anru verse 21 800 euros par logement démoli contre 3 700 euros par logement réhabilité (1). Près de six fois plus. Ce qui pousse les maires à favoriser les démolitions pour obtenir des financements.

« Pour que les habitants soient partenaires de leur destin », Mohamed Ragoubi souhaite la mise en place d’un « cadre précis » de concertation et « d’une structure indépendante » pour vérifier qu’elle a bien eu lieu. « C’est vrai, il y a des endroits où les maires ne font pas du tout de concertation », reconnaît Philippe Van de Maele, prêt à nommer un médiateur là où des problèmes se posent malgré le suivi qu’est censée assurer la préfecture. Face au refus de certains élus de ne pas communiquer à leurs concitoyens les documents relatifs au projet de rénovation, « c’est moi qui vous donnerai la documentation administrative dès lors que la procédure de saisine n’est pas satisfaite », a-t-il promis à la délégation associative début février. Mais sur l’ampleur des démolitions, pas question de changer d’orientations. « On répare les erreurs des années 1960, des quartiers construits sous le diktat de Le Corbusier. » Objectif louable mais qui, faute d’un véritable suivi, sert dans plusieurs endroits à éloigner une population au profit d’une autre, plus rentable fiscalement et moins coûteuse pour les services sociaux.

Ivan du Roy

1. Selon le rapport de la délégation interministérielle à la ville de novembre 2007.