Tribunaux privés

Réduction du trafic aérien : le Chili pourrait être forcé d’indemniser Vinci et ADP

Tribunaux privés

par Lora Verheecke

Les groupes français Vinci et ADP menacent le Chili d’une plainte devant un tribunal d’arbitrage international, suite à la pandémie et à la réduction concomitante du trafic aérien. Une telle procédure coûtera des millions d’argent public aux Chiliens.

Des investisseurs français, les groupes ADP et Vinci, menacent le Chili d’une procédure en arbitrage international, du fait de pertes financières liées au Covid. En effet, suite à la pandémie, l’aéroport de Santiago Arturo-Merino-Benítez n’est plus aussi rentable. ADP possède 45 % et Vinci 40 % des parts du consortium Nuevo Pudahuel qui gère cet aéroport.

Moins de passagers signifie moins de rentrées d’argent pour les deux opérateurs français. Vinci et ADP ont donc réclamé une aide financière au gouvernement chilien qui, d’après eux, leur a été refusée. Ne pouvant obtenir de l’argent public par le dialogue, ils brandissent maintenant leur plus puissante arme juridique : le règlement des différends État - investisseur (connus sous les acronymes RDIE ou ISDS en anglais). Celui-ci leur permet d’accéder à des tribunaux d’arbitrage d’investissement juteux.

Les tribunaux d’arbitrage accordent un cadre de justice parallèle privée à des investisseurs étrangers, qui peuvent attaquer un pays lorsqu’une mesure d’un gouvernement a un effet négatif sur le potentiel de son investissement ou l’estimation des ses profits. C’est une justice sens unique où seuls les investisseurs peuvent initier une procédure. Trois arbitres, payés à l’heure, décident du montant que devra payer un État qui a osé légiférer pour le bien-être de ses citoyens, plutôt que pour les bénéfices d’actionnaires étrangers. Le biais est flagrant : si c’est grâce à un investisseur que vous allez devenir arbitre, et donc être grassement rémunéré, c’est dans votre intérêt de le satisfaire.

Négociations opaques

Ces tribunaux sont contestés car ils ont sommé de nombreux pays de payer des sommes astronomiques suite à la mise en œuvre de politiques d’intérêt général. Les procédures sont si chères pour les États (plusieurs millions d’euros) que rien que la menace d’un arbitrage peut avoir un impact sur une loi, comme ce fut le cas en France pour la loi Hulot.

Ces tribunaux vivent grâce à des accords de libre-échange, comme le CETA (Canada-Union européenne), ou l’accord d’investissement entre la France et le Chili. C’est sur la base de ce dernier qu’ADP et Vinci menacent de porter plainte contre le Chili.

La suite ? Un mystère. La menace d’arbitrage n’est pas publique. Elle va conduire à des négociations tout aussi opaques entre le gouvernement chilien et les investisseurs français. Des négociations qui pourraient déboucher sur un accord financier à l’amiable, impliquant un coût pour les contribuables chiliens... Un tel accord est en général négocié de même en toute opacité.

Cet exemple illustre les intérêts financiers qu’ont les multinationales pour les accords de libre-échange, et en particulier les entreprises françaises pour la mise en œuvre du CETA qui n’a toujours pas reçu l’approbation du Sénat, et peut donc encore être stoppé.

Lora Verheecke [1]

 Ce texte a initialement été publié sur son blog.

Photo : CC FlickR

Notes

[1Lora Verheecke est chercheuse en politique commerciale européenne.