Evasion fiscale

Récit de 21 heures de garde à vue pour collage d’autocollants sur la Société générale

Evasion fiscale

par Alexis Chaussalet

Ils voulaient dénoncer que quasiment rien n’a été fait, dix ans après la crise financière, pour encadrer le pouvoir nocif de la finance. Dans la nuit du 13 au 14 septembre, huit militants de l’association Attac sont arrêtés alors qu’ils collent des stickers sur les vitrines de banques. Interpellés, ils sont placés en garde pendant plus de 15 heures dans des cellules surpeuplées. Alors que plus de 30 fonctionnaires de police et deux magistrats ont été mobilisés, Alexis Chaussalet revient sur sa garde à vue et s’interroge sur les ressources publiques utilisées pour tenter de dissuader les mobilisations citoyennes contre l’évasion fiscale.

« Winston Churchill : tous les matins j’apporte le café au lit à ma femme. Elle n’a plus qu’à le moudre. » C’est la première chose que je lis en entrant dans le bureau de l’officier de police judiciaire. La citation est affichée en grand, tel un trophée au dessus du bureau du fonctionnaire chargé de m’auditionner. Après 15 heures de garde à vue, il est désormais temps de m’entendre sur les griefs qui me sont reprochés, à savoir : « Dégradation en réunion ».

La première idée qui me vient en tête en observant cette citation affichée impunément dans un lieu garant de « l’ordre républicain » est d’imaginer un homme dans ce commissariat, détenu pour avoir commis des violences sur une femme, se retrouver derrière ce bureau à devoir expliquer ses méfaits tout en contemplant cette phrase odieuse et insupportable placardée au mur... bienvenue dans les locaux de la Police nationale.

« Je n’ai rien à déclarer »

Puis l’officier de police judiciaire commence à s’exprimer : « Bon, on va faire cette audition et après vous allez pouvoir sortir et avoir droit à votre standing ovation », dit-il de façon extrêmement agacée. Il fait référence au rassemblement de soutien qui s’est constitué devant l’entrée du commissariat et qui accueille, à leur sortie, chacun des huit gardés à vue, sous des applaudissements de réconfort.

Il commence son audition, nom, prénom, adresse, … jusqu’ici tout va bien. Puis commence les questions précises :
« Que faisiez-vous devant la Société générale hier soir à 21h ? »
« Je n’ai rien à déclarer. »

Deuxième tentative de l’officier :
« Pourquoi avoir collé des autocollants sur la vitrine de la banque ? »
« Je n’ai rien à déclarer. »

C’est là qu’intervient la valeur ajoutée de l’officier de police judiciaire : « Bon écoute, tous tes petits camarades m’ont déjà raconté qui était là et pourquoi, ça sert à rien de jouer au plus malin, soit tu réponds, soit ce rappel à la loi que j’ai sur mon bureau je le déchire. »

« Alors qu’est ce que tu faisais devant l’agence Société Générale de République ? »
« Je n’ai rien à déclarer. »

S’en suivent quelques questions sur l’association Attac : En suis-je membre ? Je le reconnais. Quel est le but de cette association ? Je réponds : « Lutter pour la justice fiscale, sociale et environnementale ». L’audition est terminée.

On sort de son bureau, on se rend dans celui de son supérieur à qui il lâche : « Bon, tu rappelles le magistrat, moi je ne donne pas un rappel à la loi à un individu qui n’a rien à déclarer, on va le mettre 24 heures de plus en garde à vue, ça va lui laisser le temps de réfléchir ». Et voilà comment je me retrouve à passer ma seizième heure dans une cellule d’1m20 sur 1m20, aux odeurs mélangées de vomi, moisissure, transpiration, excréments, dans un lieu où les personnes à l’accueil de ce commissariat concèdent aisément que des puces de lits se trouvent dans les cellules. Voici le cadre du commissariat du 3e arrondissement de Paris.

Pourquoi étions-nous là ?

Le jeudi 13 septembre, une quinzaine de militant.e.s se retrouve dans le 3e arrondissement de Paris pour mener une action dans le cadre de la campagne lancée par Attac : #PasAvecNotreArgent.

L’objectif de la campagne : dénoncer le fait que, dix ans après la crise financière, rien n’a été fait pour limiter, contrôler, encadrer le pouvoir nocif de la finance. En 2018, les plus grandes banques continuent de spéculer sur des produits dérivés extrêmement dangereux, elles investissent massivement dans des projets de soutien aux énergies fossiles, elles ouvrent toujours plus de sociétés offshores dans les paradis fiscaux pour permettre aux plus riches d’échapper à l’impôt.

Quinze militants, pour la plupart âgés de plus de 60 ans, collent successivement des autocollants sur les vitrines des banques ciblées par cette campagne et inscrivent au marqueur (spécial vitre, effaçable à la main) « pollueur / fraudeur ».

Arrive une voiture de police, qui passait par hasard, trois fonctionnaires interviennent pour interrompre notre action. Rapidement, ils se rendent compte du ridicule de la situation, et après avoir procédé au contrôle d’identité, ils concèdent au bout de quelques minutes que si l’on s’engage à arrêter là notre opération, nous pourrions repartir comme nous étions arrivés. Ils signalent à la dizaine de collègues arrivés en renfort — dont de nombreux membres de la brigade anti-criminalité (BAC) — qu’ils peuvent s’en aller que la « situation est sous contrôle ». Sauf que, l’intervention a été signalée sur les canaux de radio de la police et que, désormais, il faut attendre l’autorisation des supérieurs pour pouvoir nous relâcher. Non seulement cette dernière n’arrivera jamais, mais pire, on apprendra plus tard que la magistrate de permanence donna l’ordre de nous interpeller, nous conduire au commissariat et nous placer en garde à vue.


Des policiers « stupéfaits de l’ordre qu’ils avaient reçu »

Il est nécessaire de préciser, qu’à partir de ce moment, et jusqu’à la fin de la garde à vue, l’ensemble des fonctionnaires de police rencontrés (à l’exception des officiers de police judiciaire qui, eux, n’ont clairement pas eu le même comportement) ont toutes et tous aisément et rapidement reconnu qu’ils comprenaient le sens de notre action, étaient stupéfaits de l’ordre qu’ils avaient reçu et pensaient que nous n’avions « rien à faire ici ».

Nous sommes cependant huit personnes, dont cinq âgées de plus de 60 ans, à être placées en garde à vue dans le commissariat du 4e arrondissement de Paris pour « dégradation en réunion ». Pour sept militants, c’est la première fois qu’ils ont affaire à la Police nationale. Placement en garde à vue à 22 h, personne n’a mangé depuis le déjeuner de ce jour et impossible de nous servir quoi que ce soit. L’heure réglementaire est passée, nous devrons attendre 7 h, le lendemain matin, pour avoir droit à deux biscuits.

Cellules bondées, sous-effectif dans le commissariat, insalubrité des locaux... Une jeune fille mineure attend à l’accueil que l’on vienne la transférer dans un foyer pour jeunes. Elle sera transférée à 3 h du matin, après plus de cinq heures d’attente. Pour nous trois, qui attendons encore à l’accueil à 4 h du matin une place en cellule, nous serons finalement transférés dans le commissariat du 3e arrondissement aux alentours de 5 h du matin. Problème, en arrivant sur place, les cellules de ce bâtiment sont également pleines. On trouve une place pour Laurence*, 68 ans, dans la cellule pour mineures si elle « s’allonge en diagonale ». Pour Pierre* et moi, il faut encore patienter.

Plus de 30 fonctionnaires de police mobilisés

Arrive à 5h30 du matin un officier de police judiciaire venu faire des auditions jusqu’à 6 h. Il nous interpelle d’un air narquois : « Alors je m’occupe de qui ? Je ne vais pas avoir beaucoup de temps ». Je prends la responsabilité de lui répondre calmement : « Si cela vous convient vous pourriez nous auditionner tous les quatre car cela va aller vite étant donné que mes camarades et moi-même n’avons rien à déclarer. »

Le visage se tend, il reprend : « Donc vous vous êtes ceux qui agissent mais n’assument pas leur acte et n’ont pas de parole ? » S’en suit un échange extrêmement tendu où on explique tour à tour les conditions de notre garde à vue, le ridicule de notre interpellation, le soutien de la plupart de ses collègues quant à la légitimité de notre action et la stupidité de l’acharnement à notre encontre. Il cherchera du soutien auprès des fonctionnaires autour de nous, en vain. Bref, il s’agace et invite deux d’entre nous à le suivre dans son bureau.

Le lendemain, après avoir tenté de fermer les yeux malgré la lumière aveuglante en permanence fixée sur vous, l’odeur nauséabonde qui habite votre cellule, on ne sait rien de ce qu’il se passe. Pourtant les soutiens à l’extérieur s’activent, un rassemblement est annoncé, des articles de presse titrent à propos du placement en garde de vue de « huit militants d’Attac et d’EELV » et l’indignation se diffuse.

Après 15 heures pour certains, 17 heures pour d’autres, 21 heures pour le dernier, les huit dangereux colleurs d’autocollants sont relâchés et écopent d’un « rappel à la loi ». Après avoir mobilisé plus de 30 fonctionnaires de police, quatre véhicules, des heures de travail, deux commissariats, deux magistrats, nous sommes ressortis libres.

Pas de condamnation des pratiques des banques

Une chose est sûre, messieurs Oudéa (PDG de la Société générale qui a menti devant une commission d’enquête du Sénat sur l’activité de la banque au Panama), Jean-Laurent Bonnafé (PDG de la BNP Paribas, banque championne de l’évasion fiscale en France), Philippe Brassac (PDG du Crédit agricole, et spécialiste du « greenwashing ») et John M. Flint (PDG d’HSBC banque impliquée auprès du narcotrafic mexicain et qui prévoit de transférer son siège mondial à Paris grâce aux multiples invitations et tentatives d’attrait d’Emmanuel Macron), ont tous probablement passé une nuit agréable jeudi 13 septembre. Une nuit où il n’a pas été question pour eux de remettre en cause leurs pratiques irresponsables, tant sur l’évasion fiscale massive, que sur les investissements dans les énergies fossiles. Ces pratiques immorales, aux conséquences sociales et écologiques désastreuses, sont rendues possibles grâce à la complaisance de nos gouvernants et en premier lieu celle de leur semblable : Emmanuel Macron.

En plus d’aller chercher l’argent là où il se trouve, de s’attaquer sérieusement au fléau que constitue l’évasion fiscale pour nos sociétés, il serait salutaire d’éviter de dépenser les ressources publiques pour tenter de dissuader des mobilisations citoyennes qui interpellent sur un problème majeur de notre société.

Une interrogation en plus doit nous habiter : en tant qu’individu blanc, éduqué, disposant de moyens financiers, connaissant — plus ou moins — ses droits, parlant et comprenant parfaitement la langue française, pouvant compter sur des réseaux de soutiens, quand on constate la difficulté à se remettre d’un épisode quasi-traumatisant que constitue une garde à vue, notre devoir est d’agir et de soutenir celles et ceux qui se retrouvent dans cette même situation mais ne bénéficient absolument pas des mêmes égards que nous.

Alexis Chaussalet

* Les noms des personnes ont été volontairement modifiés.

Photo : Attac Paris / twitter