Notre-Dame-des-Landes

Qui sont donc ces « illégaux » que le gouvernement veut à tout prix expulser de la « Zad » ?

Notre-Dame-des-Landes

par Nolwenn Weiler

2500 gendarmes, appuyés par des blindés, ont été déployés le 9 avril à l’aube pour expulser une centaine d’habitants « illégaux » de la « zone à défendre » (ZAD) de Notre-Dame-des-Landes. Des discussions devaient pourtant s’ouvrir pour légaliser des lieux de vies et des projets d’expérimentation agricoles. À peine trois mois après l’abandon officiel du projet d’aéroport, le gouvernement a donc décidé de passer en force.

Qui est visé par les expulsions en cours sur la zone à défendre de Notre-Dame-des-Landes ? Le flou règne. Le ministre de l’Intérieur, Gérard Collomb, affirme que l’opération policière de grande envergure lancée à l’aube du 9 avril vise les « occupants illégaux », avant de préciser au micro d’Europe 1 qu’« une quarantaine d’édifices [étaient] concernés par l’opération, et une centaine de personnes ». 2500 gendarmes pour 100 personnes à expulser...

« Les occupants illégaux qui avaient un projet agricole – puisque la vocation de ces terres doit être agricole – ont été invités à se manifester, à s’insérer dans les procédures normales, expliquait de son côté le Premier ministre Édouard Philippe il y a deux jours dans les colonnes du Parisien. Ceux qui se placent dans ce cadre auront leur place dans le respect des procédures légales. Tous ceux qui ne s’inscrivent pas dans le cadre de la légalité devront quitter les terrains rapidement. » Mais en ont-ils eu le temps ?

Qui est illégal, qui ne l’est pas ? Question sans réponse

« Il s’est passé moins de trois mois depuis l’annonce de l’abandon du projet d’aéroport, soupire Geneviève Coiffard-Grosdoy, opposante « historique » et présente sur la Zad ce lundi face aux forces de l’ordre. C’est très court pour trouver une solution à une situation très compliquée sur le terrain. » La longueur de la lutte, les différentes propriétés des terrains et les occupations successives ont dessiné une zone dont les habitants ont des statuts divers : entre les terres qui ont été cédées, celles qui sont sous baux précaires, celles qui sont occupées…« En attendant d’avoir une solution pérenne, il faut donc une solution provisoire », reprend Geneviève Coiffard-Grosdoy. Le mouvement de lutte « contre l’aéroport et son monde », représenté par une toute nouvelle association, était prêt à signer des baux précaires – ou des conventions d’occupation provisoire (Cop) – d’un an renouvelable pour légaliser la situation. « Mais le gouvernement veut imposer des conventions individuelles, pour trier les "bons" des "mauvais". Nous demandons que cela soit collectif. Pour le moment, personne n’a rien signé. » Tout le monde est-il, du coup, dans l’illégalité ?

La préfète de Loire-Atlantique Nicole Klein expliquait début mars que « l’état de droit consiste à respecter des choses très simples quand on est agriculteur : un statut de fermage ou un titre de propriété, l’affiliation à la MSA (sécurité sociale agricole), le paiement des factures… » La réalité est moins binaire. Plusieurs paysans déclarés à la Mutuelle sociale agricole, et au registre national des entreprises, sont ainsi installés sur des terres qui ne leur appartiennent pas, et qu’ils ne louent pas non plus. Font-ils partie des illégaux ? Doivent-il s’attendre à être mis dehors manu militari, sachant que certains d’entre eux ont des enfants ? « Le gouvernement a d’abord joué (et continuer de jouer) la division, en tentant de faire passer l’idée que certaines occupantes n’auraient aucune légitimité à rester sur un territoire qu’ils et elles ont pourtant directement contribué à protéger du béton et des avions », pensent de leur côté des syndicalistes, des chercheurs, des intellectuels et des élus qui signent une tribune de soutien aux expulsés. Des occupants, notamment paysans rappellent par ailleurs qu’un territoire rural ne comprend pas que des agriculteurs, mais aussi des artisans, des artistes, des personnes assurant des soins...

Des forces des l’ordre dans l’incapacité de produire l’avis d’expulsion

Très attaché, selon ses dires, à défendre l’état de droit, le gouvernement semble prendre des libertés avec ce même droit. C’est l’avis d’une vingtaine d’avocats qui contestent la légalité des expulsions dans un courrier adressé à Édouard Philippe le 21 mars dernier. « En l’état des éléments du dossier à notre disposition, c’est-à-dire essentiellement vos déclarations publiques, dès lors que les habitants n’ont reçu aucun ordre d’expulsion prononcé par une juridiction à l’issue d’une procédure publique et contradictoire, la Zad de Notre-Dame-des-Landes ne nous paraît pas expulsable », estimaient les juristes.

Sans réponse du chef du gouvernement, ils ont réitéré leur demande le 6 avril, exigeant que les personnes menacées d’expulsion reçoivent les éventuelles décisions de justice relatives à leur expulsion, ainsi que les commandements de quitter les lieux. Silence, à nouveau, du côté de Matignon. Vers midi, ce lundi 9 avril, quelques heures après le début des opérations policières, appuyées par des blindés, quand les habitants du lieu dit les « Cent noms » ont demandé à voir l’huissier et les ordonnances d’expulsion, les policiers n’ont pas été en mesure de les leur montrer. Les dîtes ordonnances seraient entre les mains de la préfète.

« La peur d’être réveillé par des hommes en arme »

Les occupants et leurs soutiens ont été délogés manu militari de leur lieu de vie, auquel étaient attachés plusieurs projets agricoles – élevage et maraîchage. L’expulsion a été si violente qu’elle a suscité la colère de l’association historique de lutte contre l’aéroport, l’Acipa. « Nous avons été obligés de reculer pour nous diriger ensuite vers les "Vraies rouges", autre lieu de vie bâti autour de cabanes, et où l’on développait un important projet autour des plantes médicinales », rapporte Geneviève Coiffard-Grosdoy. « De dangereux terroristes », ironise-t-elle. Plusieurs lieux de vie situés de part et d’autre de la D 281, surnommée « route des chicanes », ont été démolis plus tôt dans la matinée. « Ils risquent de remettre à feu un territoire pacifié », avertit Vincent Delabouglise, porte-parole du collectif paysan Copains 44. Il n’y a « aucune urgence à expulser, sachant que 99 % des gens sont dans une démarche de trouver des solutions pour se mettre en conformité avec le droit commun », estime-t-il [1].

« Le gouvernement choisit donc de dépenser des centaines de milliers d’euros publics dans une opération publicitaire sur le retour de l’état de droit, au beau milieu d’une négociation jusqu’à présent crédible et plutôt productive », s’indigne un collectif de parents de la Zad. « Ce qu’implique pour nous, parents, ce déploiement de 2500 gendarmes, ce sont des contrôles et des détours quotidiens pour emmener nos enfants à la crèche ou à l’école. C’est le risque que nos enfants soient confrontés à des violences policières. C’est s’endormir avec la peur d’être réveillé par des hommes en arme, interpellé, expulsé, avec ou sans nos petits – puisque nul ne sait qui est visé. »

Alors que le mouvement appelle à une réoccupation des lieux expulsés dès ce week-end, Gérard Collomb a affirmé que le gouvernement maintiendra des forces de l’ordre sur place tant qu’il sera nécessaire pour qu’il n’y ait pas de nouvelles occupations, alors que plusieurs journalistes sont entravés par les autorités dans leur travail d’information. Décidément, ce gouvernement porte une conception très particulière de la négociation.

Nolwenn Weiler

Photo : © ValK

 Lire aussi notre précédent reportage : Maraîchage, boulangeries, entraide : les vrais visages de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes

Notes

[1Au micro de RMC le 3 avril, voir ici.