Catastrophes écologiques

Quel avenir pour les réfugiés climatiques ?

Catastrophes écologiques

par Sophie Chapelle

Elévation du niveau de la mer, marées noires, incidents nucléaires, rejets de gaz toxiques, … Les catastrophes et pollutions dues à l’activité humaine posent la question du droit des populations déplacées ou carrément forcée à l’exil, et de leur indemnisation. Une situation que subissent déjà 25 millions de personnes, selon l’Onu, et qui s’aggravera avec la multiplication des effets du réchauffement climatique. La communauté internationale doit élaborer un statut pour ces déplacés environnementaux. Il y a urgence. Réunis à Limoges mi-mars, avocats, chercheurs et militants écologistes de plusieurs continents ont planché sur une future Convention internationale sur les déplacés environnementaux. Ils sont bien les seuls…

En 2001, l’Onu estimait le nombre des « écoréfugiés » à 25 millions. Certains avancent le chiffre d’un milliard pour la fin de ce siècle [1]. Un colloque international, organisé du 11 au 13 mars à la faculté de droit et des sciences économiques de Limoges, s’est penché sur ce drame en cours et a esquissé les contours d’une future Convention internationale sur les déplacés environnementaux. Initiative scientifique et universitaire, ce projet est actuellement soumis à la communauté internationale, aux États et aux organisations non gouvernementales. L’objectif : compléter la Convention de Genève sur le statut des réfugiés (droit d’asile) en introduisant une nouvelle catégorie, celle des « déplacés environnementaux ».

« Ce terme de déplacés environnementaux comprend non seulement les réfugiés liés aux changements climatiques mais aussi ceux qui sont contraints à l’exil du fait de catastrophes écologiques, qu’elles soient naturelles, technologiques ou industrielles », explique Michel Prieur, spécialiste français du droit de l’environnement, et membre des deux centres de recherches à l’origine de l’initiative, le CRIDEAU [2] et le CIDCE [3]. « La création d’une Organisation mondiale environnementale sur les déplacés, d’une haute autorité indépendante et d’un fonds financier ont d’emblée été qualifiés d’usine à gaz. Mais sans cet “appareillage” institutionnel, cette déclaration restera purement théorique, sans portée et sans moyens pour l’appliquer. » Car la tâche est lourde vue la complexité des problèmes.

Conséquences sanitaires

Bhopal en Inde, Seveso en Italie, Tchernobyl en Ukraine, AZF à Toulouse... autant de noms assimilés à des catastrophes industrielles. Des catastrophes directement liées à l’activité humaine. À Bhopal (Inde), le bilan officiel, après la fuite de 40 tonnes de gaz toxiques de l’usine de pesticides d’Union Carbide le 3 décembre 1984, fait état de 8 000 morts dans les trois premiers jours et de plus de 20 000 en près de 20 ans. Dans le cas de Tchernobyl (Ukraine, 26 avril 1986), le bilan fait toujours polémique deux décennies après l’explosion du réacteur nucléaire : de 50 morts d’irradiations aiguës et 4000 cas de cancers de la thyroïde, pour l’OMS et l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA, dépendant de l’Onu) à plusieurs dizaines de milliers selon d’autres sources scientifiques ou associatives.

« Le débat sur le nombre de morts à Tchernobyl illustre le niveau d’acceptabilité du risque : plus le nombre est important, plus la question de l’acceptabilité du risque prend de la place et génère informations et expertise », explique Corinne Lepage, ancienne ministre de l’Environnement [4], et avocate spécialisée dans le droit de l’environnement. Le risque nucléaire est a priori beaucoup moins accepté par les populations que le risque industriel.

Les effets sanitaires liés à ces évitables fléaux sont mal reconnus. On l’a vu lors de Tchernobyl. Le grand public a rencontré les plus grandes difficultés, y compris en France, de disposer d’informations fiables suite à l’accident. Les travaux des experts indépendants pour mesurer à long terme les effets de la radioactivité sur les populations d’Ukraine et de Biélorussie ont longtemps été entravés, quand les scientifiques n’étaient pas carrément emprisonnés.

Impunité

Dans ces conditions, comment estimer les indemnisations et développer la prévention ? L’accident de Béryl (Algérie) le 1er mai 1962 est emblématique. La France réalise alors son deuxième essai nucléaire souterrain dans le Sahara lorsque la montagne Taourirt devant contenir l’explosion se fissure et libère un nuage radioactif contaminant plusieurs militaires et officiels. Le film Gerboise Bleue, réalisé par Djamel Ouahab, relate les témoignages des survivants de cet accident et le combat juridique mené par les vétérans français et les Touaregs algériens pour être reconnus comme victimes et indemnisés pour les dommages subis. Le ministère de la Défense vient d’ailleurs d’annoncer un plan d’indemnisation des victimes des 210 essais nucléaires perpétrés dans le Sahara et en Polynésie. Mieux vaut tard que jamais.

Autre catastrophe, autre lieu, autre époque, et même impunité : la pollution toxique consciemment effectuée par l’entreprise Trafigura, à Abidjan (Côte d’Ivoire). En août 2006, 528 m3 de « slops » – résidus d’hydrocarbures et de produits chimiques issus du nettoyage des cales des pétroliers – sont déversés à l’air libre dans différents quartiers de la ville. La multinationale, domiciliée dans un paradis fiscal, n’a pas vraiment été inquiétée. « Ce cas démontre la nécessité d’avoir un Tribunal Pénal International dans le domaine de l’environnement pouvant se saisir de ce genre d’affaires qui ne coûte rien pour le moment aux responsables et où personne n’est condamnée », suggère Corinne Lepage.

L’environnement, la faune et la flore constituent également des victimes souvent oubliées de ces calamités. Il en va ainsi des milliers d’hectares contaminés après l’explosion du réacteur nucléaire de la centrale de Tchernobyl, et des 70 000 têtes de bétail abattues après l’explosion du réacteur chimique de Seveso (Italie, 10 juillet 1976). La question du « coût réel du prix d’atteinte à la nature » est posée, pour Alexandre Faro, avocat des associations [5] pendant le procès de l’Erika. Le naufrage du pétrolier au large des côtes françaises, le 12 décembre 1999, a répandu 12 000 tonnes de pétrole lourd. « Envrion 150 000 oiseaux ont été mazoutés. La Ligue de protection des oiseaux a perçu un dédommagement de 300 000 euros. Soit l’équivalent de deux euros par oiseau », illustre-t-il.

Menaces climatiques

Très souvent, ces catastrophes appellent la création de nouvelles normes juridiques. « Six ans après Seveso, une première directive sur les incidents majeurs a été adoptée en 1982. Dans les six mois qui ont suivi Tchernobyl, la communauté internationale a adopté deux conventions. Après AZF, il a fallu moins de deux ans au législateur pour adopter la loi Bachelot en 2003 », détaille Julien Bétaille, chercheur au CRIDEAU. Ces catastrophes révèlent souvent l’insuffisance du droit. « Avec Tchernobyl, poursuit Julien Bétaille, la notion de frontière en droit de l’environnement par exemple est à repenser. » Tremblements de terre, inondations, raz-de-marée, sécheresse, éruptions volcaniques, cyclones... Autant de phénomènes qui peuvent entrainer des déplacements massifs et dépasser l’espace du droit national.

Si catastrophes et pollutions de grande ampleur ne connaissent pas les frontières, comme l’a illustré le tragicomique épisode du nuage radioactif de Tchernobyl en France, elles s’affranchissent également de l’horizon temporel. « Deux ans après le passage du cyclone Katrina, dans le sud des États-Unis, de nombreux déplacés n’étaient toujours pas revenus à la Nouvelle-Orléans, relate l’avocate brésilienne Ana Rachel Texeira Cavalcante. Une résolution sur les déplacés internes a été adoptée en juin 2008 par l’Organisation des États américains qui met l’accent sur les victimes des catastrophes naturelles. »

Montée des eaux

Difficile de ne pas relier certaines catastrophes naturelles aux changements climatiques. Le recul de la banquise arctique dérègle l’écosystème d’eau douce, perturbe de la chaîne alimentaire régionale, augmente l’intensité et la fréquence des tempêtes, nuit aux mammifères marins et, bien évidemment, aux habitants du grand nord, les Inuits. « Les changements climatiques ont un impact sur les droits fondamentaux des peuples autochtones. Ils fragilisent leur interdépendance avec la nature, font fuir le gibier et augmentent la dépendance aux importations. », prévient Pierre-François Mercure, de l’université de Sherbrooke (Canada)

La fonte des glaces et son corollaire direct, l’élévation du niveau de la mer, toucherait 2 % de la population mondiale à des milliers de kilomètres des pôles. 50 millions de personnes vivent sur des terres pouvant être inondées chaque année. Les Etats insulaires sont particulièrement vulnérables. Au moins 18 îles ont déjà été submergées dans le monde [6], principalement dans l’Océan indien. Plus de 40 pays ont des îles menacées par l’élévation du niveau de la mer comme les îles Maldives (369 000 habitants) ou les îles Salomon (566 800 habitants).

Des réfugiés de seconde zone ?

Là encore le droit international est à la traîne et laisse libre cours à l’arbitraire. L’archipel de Tuvalu a, par exemple, négocié une évacuation progressive avec la Nouvelle-Zélande. Celle-ci a imposé des « critères honteux », critique Agnès Michelot, maître de conférences en droit public à l’université de La Rochelle, qui travaille sur le statut des réfugiés écologiques. Les heureux évacués doivent être âgé de 18 à 45 ans, parler couramment l’anglais et disposer d’un bon état de santé. « S’il existe de nombreux accords internationaux pour garantir la libre circulation des marchandises, rien n’existe pour les personnes forcées à l’exil », insiste l’universitaire. La reconnaissance du statut de « réfugié écologique » est, selon elle, le prolongement naturel du droit à l’environnement sain et protégé.

« L’urgence est là. On sait que le phénomène est en cours et qu’il va s’exacerber avec les changements climatiques. Mais j’avoue être pessimiste quant à l’aboutissement de ce texte, confie Christel Cournil, maître de conférences en droit public à l’Université Paris 13. L’exemple de la convention internationale sur les droits des migrants en situation irrégulière n’est pas encourageant. Les pays du Nord ont mis très longtemps avant de l’accepter et aujourd’hui seuls les pays du Sud l’ont signée. La majorité des pays ne sont pas du tout dans une démarche d’acceptation et de reconnaissance du phénomène des réfugiés climatiques. Pas un seul gouvernement ne semble disposé à mettre demain cette question à l’agenda. » Si les juristes semblent prêt à inventer de nouveaux dispositifs, c’est aujourd’hui la volonté politique qui semble faire défaut. Pendant ce temps, les eaux montent…

Sophie Chapelle