Morts au travail

Quatre ouvriers tués depuis un an : que se passe-t-il chez ArcelorMittal ?

Morts au travail

par Rachel Knaebel

Le premier accident a eu lieu il y a presque un an, le 26 décembre 2014, sur le site d’ArcelorMittal de Dunkerque. Le salarié a été percuté par une chargeuse. Puis, le 12 avril 2015, un intérimaire se retrouve coincé puis écrasé entre deux wagons. Lui aussi décède. « Il avait très peu de formation », précise Bernard Colin, délégué syndical CGT, secrétaire du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) au site dunkerquois d’ArcelorMittal. « C’est arrivé dans la cadre d’une opération de déchargement sous-traitée à une autre entreprise. Celle-ci prenait des intérimaires pour le faire. Le jour de l’accident, les trois membres de l’équipe étaient tous des intérimaires. »

Le 13 juillet 2015, toujours à Dunkerque, un intérimaire tombe dans la fonte en fusion. « Il avait seulement cinq mois d’expérience dans le métier de fondeur », souligne Bernard Colin. Le 10 septembre dernier, c’est sur le site d’ArcelorMittal de Fos-sur-Mer, dans les Bouches-du-Rhône, qu’un accident mortel survient. Le salarié d’une entreprise sous-traitante tombe lui aussi dans la fonte en fusion. « Des accidents terribles », constate le délégué syndical. Quatre accidents mortels dans de telles circonstances en moins d’un an, dont deux qui ont touché des intérimaires et un autre, un employé d’un sous-traitant. C’est beaucoup.

La situation est assez préoccupante pour que la boîte d’intérim Ranstad décide fin octobre de retirer, pour des raisons de sécurité, une trentaine de ses intérimaires du site d’ArcelorMittal de Dunkerque. La communication du groupe sidérurgiste répond en démentant « fermement tout écart de traitement entre les différents intervenants », salariés, intérimaires ou employés des sous-traitants. Le fait est que les intérimaires sont nombreux à Dunkerque comme à Fos-sur-Mer, deux sites pourtant classé Seveso, donc dangereux.

À Dunkerque, ArcelorMIttal emploie 3200 salariés directement et fait travailler en moyenne 285 intérimaires, soit un peu moins de 10 % des effectifs, selon les chiffres fournies par l’entreprise. Sur le site de Fos-sur-Mer, le sidérurgiste déclare 2500 salariés en CDI et entre cent et deux-cents intérimaires. La direction ne dispose pas de chiffres sur le nombre de travailleurs sous-traitants. Ils sont pourtant 1700 en moyenne à Dunkerque, selon la CGT. Et cela « hors gros travaux ». À Fos-sur-Mer, Sébastien Thomas, délégué CGT, recense 2400 salariés en CDI sur les 4600 personnes intervenant sur le site. Parmi le personnel permanent, « la moitié ont moins de cinq ans d’ancienneté. Ça joue aussi sur la sécurité. Ils ne connaissent pas encore forcément bien le risque, pas parce qu’ils ne font pas attention, mais parce qu’ils ont vécu moins d’accidents du travail. »

« Des intérimaires pas suffisamment formés »

Comment ArcelorMittal a réagi à cette série d’accidents mortels ? « Des mesures de renforcement de la sécurité ont été prises à l’issue des accidents (interdiction formelle d’utiliser son téléphone portable en situation de travail, même en extérieur, installation d’une protection renforcée pour empêcher toute chute dans une rigole de fonte…) », a déclaré la direction suite à la décision de Randstad. « Le PDG rappelle à chaque communication l’importance de la sécurité », nous indique aussi le service de communication. « Nous matraquons les consignes de sécurité. L’idée, c’est de compenser le facteur humain. »

« Il a fallu un accident mortel pour que la direction bouge », regrette de son côté Bernard Colin. « Après le premier accident de décembre, le direction a bien mis en place un plan d’action. Mais nous avions alerté sur les risques dans la zone en question dès 2011 ». Pour le délégué CGT, c’est bien plus la formation des travailleurs que les erreurs humaines qui sont en cause dans ces accidents. « Nous trouvons que les intérimaires ne sont pas suffisamment formés. Nous ne disons pas que la politique de sécurité est mauvaise. Nous ne disons pas qu’il ne faut pas d’intérimaires, c’est une autre question. Mais il faut qu’ils soient correctement formés. Nous critiquons aussi la politique d’embauche d’ArcelorMittal. Avec la crise, il y a eu un plan de départs volontaires, avec lequel les compétences sont parties. »

Le CHSCT de Dunkerque a demandé une expertise sur la sécurité de l’ensemble du site suite à l’accident du 13 juillet. La direction l’a contestée, jugeant plus « pertinent » que l’inspection se limite au seul secteur de la fonte, là où l’intérimaire est mort cet été après seulement quelques mois dans le métier. Le tribunal de Dunkerque doit en décider le 26 novembre.