Documentaire

Quand la démocratie entre dans l’entreprise

Documentaire

par Ivan du Roy

C’est l’histoire d’ouvrières du textile qui tentent de transformer leur entreprise, en liquidation judiciaire, en coopérative. Une histoire qui leur fait redresser la tête – et nous avec elles - en ces temps de fatalisme social. « Entre nos mains » est un documentaire salutaire pour reprendre en main sa vie au travail.

Au seuil de l’hiver, alors que les luttes sociales balbutient (pour l’instant), la tentation est grande de fourrer ses mains dans les poches, d’enfouir son visage dans la chaleur d’une écharpe, et de marcher en laissant filer le quotidien, sans trop regarder de côté. On courbe l’échine, on se replie sur soi et son entourage, on attend de voir ce qui se passera au-delà de la grisaille annoncée.

Il existe peut-être un antidote, au moins passager, à cette attitude fataliste : Entre nos mains, un documentaire sorti en salles, ce 6 octobre. Ou comment des ouvrières d’une usine textile de la région d’Orléans se réapproprient, momentanément, leur vie. Perdues au milieu des machines à coudre et des cartons de commande remplis de soutien-gorge (l’usine fabrique de la lingerie féminine), les ouvrières de l’entreprise Starissima sont confrontées à un dilemme. La boîte est en liquidation judiciaire. Le patron semble avoir lâché l’affaire, et « ses » cinquante salariés par la même occasion. Des commerciaux et des cadres proposent au personnel de reprendre l’usine en société coopérative (Scop). Mais un tel projet, à l’avenir incertain, nécessite de s’impliquer, financièrement bien sûr, mais pas seulement.

Surtout, c’est la première fois que l’on demande leur avis à ces ouvrières. De leur réponse dépend la poursuite de l’aventure. On les accompagne quatre mois durant, on suit l’usine évoluer avec elles. « Elles n’ont pas forcément confiance en elles et dans le collectif. Elles ne se sentent pas, au départ, capables de co-diriger l’entreprise. À force de discussion, cette peur disparaît. Elles s’aperçoivent qu’ensemble, elles sont plus fortes », raconte la réalisatrice Mariana Otero. Le travail, les statuts, les ateliers, les bureaux se décloisonnent. On se parle, on se réconforte, on débat, et plus uniquement au sein d’un même service. Bref, tout ce qu’un management « moderne » s’efforce d’étouffer, ailleurs, réapparaît ici.

Plus concret que le grand soir

« Les cadres sont en haut, dans les bureaux, les ouvriers en bas. C’est une frontière que l’on traverse rarement. On se voit à peine. Au début, les délégués du personnel organisent les réunions service par service. Puis les choses changent, spatialement. Un moment, tout le monde se réunit dans le hall des expéditions. À la cantine, on commence à se mélanger », décrit Mariana Otero. « Le patron » s’estompe, dans les paroles et les têtes. Fait incroyable quand on connaît le fonctionnement d’autres entreprises : ces assemblées où l’on discute des différents choix possibles, quel que soit son poste de travail. Le chemin parcouru devient aussi important que le but poursuivi, vital pourtant : la reprise en Scop dont dépend une éventuelle préservation des emplois.

« Au départ, les ouvrières ne sont pas du tout politisées, ne manient pas les concepts de lutte des classes ou d’aliénation. En participant, elles découvrent comment fonctionne l’économie, la démocratie, avec toutes les questions qui l’accompagnent : est-ce que l’on nous dit tout ? Si nous ne sommes pas informés, comment prendre une décision ? Celle-ci n’a-t-elle pas déjà été prise avant de nous demander notre avis ? Elles commencent à faire de la politique en marchant. À la différence des années 70, c’est le discours qui s’adapte au « faire », et pas l’inverse. » Et c’est bien plus efficace qu’un slogan invoquant le grand soir.

On ne vous racontera pas la fin, plutôt surprenante. Mais ce film procure une bouffée d’oxygène, alors que dehors, un gouvernement s’acharne à monter les catégories de population les unes contre les autres. Pendant 1h28, ouvriers et cadres, quelles que soient leurs origines (françaises, laotiennes ou congolaises), milieux ruraux, populaires et classes moyennes, se battent ensemble autour d’un projet de coopérative. Et créent autre chose. Une richesse non quantifiable qu’on ne veut plus perdre.

Ivan du Roy

« Entre nos mains », un film de Mariana Otero, durée 1h28.

ENTRE NOS MAINS - Bande-annonce
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