Loire-Atlantique

Quand l’avenir d’une centrale à charbon permet un véritable débat sur la transition écologique

Loire-Atlantique

par Nolwenn Weiler

À Cordemais, en Loire Atlantique, les travailleurs de la centrale à charbon sont à nouveau en grève. Ils demandent un sursis au gouvernement qui prévoit de fermer les dernières centrales à charbon de l’hexagone en 2022. Ce sursis doit leur laisser le temps de peaufiner leur projet de transition vers une centrale à biomasse (lire notre article sur le sujet). Soutenu par les élus locaux et la direction d’EDF, ce projet de transition nommé « Ecocombust » ne fait cependant pas l’unanimité côté citoyens. L’association locale Virage énergie climat Pays-de-la-Loire, soulève des doutes, d’abord sur la question des emplois. « Pour le moment, la centrale tourne environ 4000 heures par an, avance Martin, membre actif de l’association. Ecocombust prévoit qu’elle tournera 500 heures, soit huit fois moins. Mécaniquement, cette diminution du temps de fonctionnement s’accompagnera d’une destruction potentielle de plusieurs centaines d’emplois. » La centrale à charbon génère pour l’instant 800 emplois, avec la sous-traitance.

1500 nouveaux emplois chaque année

Les salariés de la centrale, qui portent le projet de conversion, affirment que l’activité de collecte et de transformation du bois en pellets impliquera un surcroît d’activité à même de compenser le fonctionnement réduit, en nombre d’heures, de la centrale. Virage énergie climat assure n’avoir jamais obtenu de chiffres précis en terme d’emplois préservés par le projet Ecocombust malgré de multiples demandes auprès d’EDF, des syndicats ou des élus locaux.

L’association estime que son scénario régional de transition énergétique est plus solide. Celui-ci s’appuie sur des économies d’énergie, via la rénovation thermique des logements, et sur la montée en puissance d’énergies renouvelables, en particulier le solaire et l’éolien off-shore. « La région peut devenir autosuffisante en énergie avant 2050, en réduisant très fortement ses émissions de gaz à effet de serre et en créant chaque année 1500 emplois. Tous les salariés actuels de la centrale pourraient facilement trouver des emplois locaux et de qualité si les bons choix de politique énergétique étaient faits. »

Virage énergie climat souligne par ailleurs la faible performance de la centrale de Cordemais, dont le rendement avoisine les 33 % (comme toutes les centrales électriques). « Cela signifie que seulement un-tiers de la chaleur produite est transformée en électricité, détaille Martin. Les deux-tiers restants sont perdus, dissipés dans l’eau de l’estuaire de la Loire et dans les fumées. Cela représente un important gaspillage énergétique. Avec un fonctionnement de 500 heures par an, on gaspillera l’équivalent des besoins en chaleur de 200 000 logements BBC [pour bâtiment basse consommation, ndlr], soit un-tiers des logements de la Loire-Atlantique. » Pour l’association l’utilisation de la biomasse et du « bois-énergie », intégrée dans son scénario, n’est défendable que pour de petites installations de chauffage ou des centrales à cogénération, capables de récupérer la chaleur « perdue » pour alimenter des réseaux de chaleur ou des sites industriels.

Réduire la consommation : une priorité

Dans une analyse publiée début décembre, le Conseil économique social et environnemental des Pays-de-la-Loire (Ceser) affirme que la connexion de la centrale à un réseau de chaleur « est en cours d’analyse ». Cela dit, la chaleur étant produite de manière intermittente et les besoins locaux à proximité de la centrale étant limités, le projet risque de ne pas être viable.

« Il n’y a aucune évaluation de la quantité d’électricité nécessaire si un vaste programme de rénovation thermique des logements était réalisé, ajoute Martin. Il faut selon nous commencer par réduire la consommation, et s’interroger ensuite sur la pointe électrique, et les capacités de production disponibles pour y faire face. » La pointe électrique, c’est le pic de consommation hivernal lié à l’utilisation massive dans l’ouest de chauffages électriques. La centrale de Cordemais permet actuellement de répondre à cette importante demande.

L’association émet par ailleurs de sérieux doutes sur la disponibilité, à long terme, de la ressource en bois. Soucieux de faire mieux que d’autres projets de reconversion de centrale à charbon (comme à Gardanne dans le sud est de la France), les promoteurs d’Ecocombust excluent d’utiliser le bois de bocage, les sciures, les souches, la paille, les effluents agricoles, etc. Le gros de ce qui serait brûlé dans la centrale viendrait de rebuts de bois vert et de bois d’ameublement, appelés bois de « classe B ».

EDF affirme qu’une étude garantit que les quantités de rebuts de bois disponibles sont supérieures aux besoins de la centrale pour assurer 500 heures de fonctionnement. « Malheureusement les résultats de cette étude, financée à hauteur de 31 450 € par la région Pays-de-la-Loire, n’ont pas été rendus publics », regrette Martin. « Par ailleurs, il n’y a aucun engagement d’EDF à ne pas utiliser de bois de forêt. »

Des risques de pollution de l’air ?

Dernier sujet d’inquiétude : la pollution de l’air qui serait occasionnée par la centrale à biomasse. « Le projet Ecocombust impliquera de brûler de la biomasse et notamment des déchets de bois, ainsi que potentiellement des combustibles solides de récupération (CSR) dans une installation prévue pour filtrer les polluants liés à la combustion du charbon, remarquent Les amis de la terre, peu favorables à la conversion des centrales à charbon. À notre connaissance, aucune étude ou garantie précise n’a été produite par EDF afin d’estimer les émissions de polluants après modification du combustible. »

EDF affirme que les installations, récemment modernisées, « sont pleinement
opérationnelles pour la combustion de la biomasse »
. Concernant le bois de classe B, des essais sont en cours pour identifier, quantifier, et choisir les modes de traitement des polluants identifiés. Le Conseil économique social et environnemental des Pays-de-la-Loire estime de son côté que « à terme, il semblerait pertinent qu’une analyse d’impact sur la qualité de l’air soit menée afin de garantir l’exemplarité de Cordemais ». L’avenir de la centrale du Cordemais incarne ainsi localement et concrètement les nombreuses questions que soulève la mise en œuvre d’une transition écologique socialement juste, loin des discours convenus.