Pays basque

Quand l’Etat s’acharne contre une chambre d’agriculture alternative et respectueuse de l’environnement

Pays basque

par Jérôme Anciberro

Depuis quatre ans, la « Chambre d’agriculture du Pays Basque » (EHLG, « Euskal Herriko Laborantza Ganbara » en basque) promeut une agriculture durable, plus économe en eau, attentive aux pollutions par pesticides ou engrais chimiques, et attachée aux petites exploitations… En retour, elle subit l’acharnement du représentant de l’Etat en Pyrénées-Atlantiques qui tente de l’interdire. Le 26 mars, la Justice rendra son verdict sur la plainte déposée par le Préfet, suite à l’audience du 29 janvier. Un verdict qui concerne également l’avenir du droit d’association. Entretien avec Jean-Noël Etcheverry, coordonnateur des comités de soutien à EHLG.

© Francis Blaise / Collectif Contre-Faits

Qu’est-ce qu’EHLG ?

C’est une association loi 1901, créée en janvier 2005 après dix ans de mobilisation en faveur de la création d’une Chambre d’agriculture du Pays basque, capable de répondre aux spécificités de l’agriculture locale, une agriculture de petites exploitations, majoritairement dans des filières de qualité. La plupart des paysans du Pays basque rejettent toujours la politique promue par la chambre d’agriculture officielle, celle des Pyrénées-Atlantiques, qui est aux mains de la FNSEA. Cette chambre promeut une agriculture industrielle intensive, qui conduit à la disparition progressive des petites exploitations et à la concentration, avec des moyens de production peu respectueux de l’environnement, comme le maïs irrigué massivement, l’introduction des OGM, l’emploi de plus en plus important des engrais chimiques et des pesticides…

Si la FNSEA dirige la chambre d’agriculture des Pyrénées-Atlantiques, c’est que les paysans ont voté pour les représentants de ce syndicat, non ?

Pas au Pays basque, où la Confédération paysanne est majoritaire, à 51%, contre 26 % dans le reste du département. Mais les pouvoirs publics n’ont jamais voulu donner suite à cette revendication d’une Chambre d’agriculture du Pays basque qui pourrait être créée par simple décret du Premier ministre. Après dix ans de bataille, les paysans ont donc refusé de se résigner, d’où la création d’EHLG, qui préfigure en quelque sorte ce que pourrait être cette Chambre d’agriculture Des milliers de donateurs se sont mobilisés. Aujourd’hui, EHLG compte dix salariés, des techniciens qui aident les commissions de paysans à définir les axes de travail, avec des chantiers ambitieux : la promotion de nouvelles cultures plus économes en eau, l’autonomie protéinique pour éviter l’importation de soja, ou la diminution des pollutions d’origine agricole dans le fleuve qui traverse le Pays basque [1]. Cette association a fait son travail malgré quatre ans de harcèlement systématique de la part des pouvoirs publics et en particulier du préfet.

Que reproche le préfet à EHLG ?

C’est écrit dans la plainte qu’il a déposée le 6 juin 2005. Je cite : « Cette association développe au titre des libertés associatives une activité qui vise clairement à concurrencer la Chambre d’agriculture des Pyrénées-Atlantiques, établissement public de l’Etat. L’objectif ouvertement déclaré est d’ailleurs de se voir officiellement reconnaître à terme comme institution consulaire agricole dans le ressort géographique du Pays basque. De la part d’une personne morale, cette attitude est constitutive d’une infraction que je me dois de porter à votre connaissance » (la plainte s’adresse au procureur de la République). Pendant quatre ans, le préfet a déployé une grande énergie pour nous mettre les bâtons dans les roues, en citant devant le tribunal administratif les communes qui voulaient nous voter des subventions, ou en faisant intervenir les services fiscaux pour que nos donateurs ne puissent pas bénéficier des 66% d’exemption fiscale sur leurs dons. Il est intervenu directement auprès de toutes les sources de financement public, des fonds de formation, pour qu’on ne puisse pas en bénéficier. Malheureusement pour lui et heureusement pour nous, il y a une grande mobilisation populaire. Des gens ont mis la main au porte-monnaie. Année après année, l’association s’est développée et dispose aujourd’hui d’un budget annuel de 450 000 euros, assuré en gros pour la moitié par les dons de particuliers, et pour l’autre moitié par des prestations de service et des soutiens financiers de certaines collectivités territoriales.

Jean-Noël Etcheverry, coordonnateur des comités de soutien à EHLG (© Francis Blaise)

Ce qui veut dire que vous touchez malgré tout des subventions ?

Oui, mais jusqu’à aujourd’hui nous n’avons pas pu en toucher de la part des collectivités territoriales du côté français du Pays basque. Elles ont toutes été attaquées au tribunal administratif. En revanche, des collectivités territoriales du Pays basque côté espagnol nous ont financé, elles. Et là, par définition, le préfet ne pouvait pas les attaquer au tribunal. Nous avons par exemple touché des fonds publics du ministère de l’Agriculture du gouvernement basque. Au bout de la troisième année, beaucoup d’élus locaux ont trouvé que les choses allaient un peu loin, d’autant plus que la plainte du préfet n’avait pas été traduite en procès. EHLG commençait à montrer qu’elle faisait des choses importantes, de plus en plus visibles, par exemple l’organisation trois ans de suite d’un Salon de l’agriculture paysanne et durable qui mettait en contact les paysans et les consommateurs. Selon les années, de 30 000 à 35 000 personnes sont venues y participer, avec des parrains comme Edgard Pisani, Albert Jacquard, Jacques Testart. Cette année, nous avons signé de grosses conventions avec le syndicat intercommunal du bassin de la Nive, qui regroupe une cinquantaine de communes, le syndicat intercommunal de gestion des déchets, qui en regroupe environ deux cents, et le Conseil régional d’Aquitaine a voté 96 000 euros d’aides à des chantiers menés par EHLG.

Mais aujourd’hui, la plainte du préfet est bien activée. Quels sont les risques encourus ?

Elle a été activée en juillet 2008. Le procès a eu lieu le 29 janvier de cette année. Les risques théoriques, ce sont l’interdiction de l’association, une peine d’un an de prison ferme pour le président, et une amende pouvant aller jusqu’à 15 000 euros. Mais il y a eu une grande campagne de soutien, des parlementaires et des élus de tous bords ont répondu à notre appel. Aucun de l’UMP, mais il y en a eu du Modem ou de l’Union centriste. Des anciens ministres de l’Agriculture ont aussi répondu présent, la Ligue des droits de l’homme, la Fondation France-Libertés de Danielle Mitterrand… Plus de mille élus locaux ont signé un texte de soutien, dont la majorité absolue des maires et conseillers généraux du Pays basque. Pourtant le préfet s’est permis d’envoyer une lettre à tous les maires qui avaient reçu le texte de la pétition de soutien dans laquelle il écrivait : « Je ne doute pas qu’en tant que détenteur d’un mandat public, vous ayez à cœur d’éviter toute initiative contraire à la loi et toute initiative susceptible de déstabiliser l’ordre public. » Et il ne s’agissait que d’une simple pétition à signer !

Quels sont les effets concrets de cette mobilisation ?

Le vent commence à tourner. L’opinion publique nous est très favorable, des journaux ont évoqué l’affaire. Le Monde y a même consacré une page complète. La tactique de nos contradicteurs a donc changé. Désormais, on nous explique que ce n’est plus l’existence d’EHLG qui pose problème, mais simplement son nom, lequel créerait la confusion. C’est ridicule : qui peut sérieusement confondre EHLG avec un établissement public français alors que notre nom est en basque non-traduit en français ? La procureur a donc mené une plaidoirie très en retrait, elle a même loué notre travail et dénoncé les lacunes de la Chambre de Pau. Elle s’est contentée de demander notre condamnation et que l’on sursoit à cette même condamnation, le temps qu’EHLG change de nom. Mais il s’agit plus d’un geste tactique que d’un véritable changement de fond. Une demande d’interdiction n’aurait pas été suivie par le tribunal, mais avec cette demande en demi-teinte, ils peuvent espérer arracher une condamnation qui validerait ces quatre années d’acharnement et nous mettrait dans une position très vulnérable. La Chambre d’agriculture de Pau pourrait se retourner contre nous au civil pour préjudice ou pour confusion, et la bataille reprendrait.

Quelle est la part de la dynamique identitaire basque dans l’aventure d’EHLG ?

Notre démarche est avant tout territoriale, et elle est très largement partagée ici. Il faut bien comprendre que ce ne sont pas seulement les militants autonomistes basques qui portent ce type de revendications. Les militants autonomistes basques représentent 10 à 15% de l’électorat. Mais les revendications du type création d’un département « Pays basque » ou d’une Chambre d’agriculture du Pays basque sont partagées, selon les sondages, par environ deux tiers des personnes interrogées, de toutes tendances politiques, écologistes, socialistes, centristes... Le département des Pyrénées-Atlantiques est complètement artificiel et concrètement bicéphale. Vous avez deux aéroports, deux diocèses, deux Urssaf, deux rédaction de France Bleue, deux éditions de Sud-Ouest… mais une seule Chambre d’agriculture.

Que ferez-vous si le procès est perdu ?

Nous nous réunirons immédiatement pour décider si nous faisons ou non appel, lequel appel est suspensif, tout comme un éventuel recours en cassation. Nous avons la possibilité de jouer la montre puisque nous nous renforçons chaque année… Mais le fait même d’avoir monté cette Chambre d’agriculture alternative, sans aucune violence, s’inscrit dans une démarche de désobéissance civile constructive. Nous n’avons pas voulu, après dix ans de mobilisation, rentrer à la maison, ou encore entrer dans la clandestinité. Nous avons dû chercher une troisième voie. Nous l’avons trouvée en créant quelque chose de nouveau. Si nous sommes condamnés, je suppose que cette capacité de création saura encore se manifester. Mais cet affrontement permanent continuera. Ce serait dommage. Tout le monde est d’accord pour dire qu’EHLG fait un boulot remarquable au service de l’agriculture, de l’environnement et des consommateurs. Aucun délit n’a été commis. Il y a eu une enquête avec perquisitions, interrogatoire du président d’EHLG, pour voir si l’on avait utilisé quelque part sur nos documents l’expression en français « Chambre d’agriculture du Pays basque ». L’appellation « Chambre d’agriculture » est en effet protégée par le Code rural. Mais il n’y avait rien. Cette enquête nous a d’ailleurs plutôt servi dans le procès.

Pourquoi cette question du nom est-elle si importante pour vous ?

Lorsque nous avons déposé les statuts de notre association, on ne nous a rien reproché. Or, dans ce département, on refuse généralement d’enregistrer les associations dont le nom est considéré comme incorrect. Une autre association qui voulait utiliser le mot « fondation » dans son nom n’a ainsi pas pu être enregistrée, parce que « fondation » correspond à une réalité juridique bien particulière. Mais nos statuts ont été enregistrés et publiés au Journal officiel. Deux mois plus tard, le préfet a déposé sa plainte, et à l’époque, en 2005, cette question du nom ne semblait pas l’obséder. Le simple fait de revendiquer la création d’une Chambre d’agriculture du Pays basque et de prétendre incarner ce que pourrait être cette Chambre d’agriculture si elle était effectivement créée sont-ils des délits ? Nos avocats sont unanimes : si nous étions condamnés sur cette question, cela constituerait une jurisprudence très grave pour le droit d’association en général.

Recueilli par Jérôme Anciberro

 Le site d’EHLG

Notes

[1L’Adour, ndlr