Immigration

Propagande ordinaire en Sarkozie

Immigration

Quand les déclarations du porte-parole de l’UMP sur l’incendie du Centre de rétention administrative de Vincennes laissent présager le pire.

« Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose... » L’adage est devenu une règle de base de la communication politique en période de crise. Par-delà son ignominie ordinaire en ces temps de guerre idéologique tous azimuts menée par les communicants élyséens, la grotesque déclaration du porte-parole de l’UMP Frédéric Lefebvre (ancien assistant parlementaire de Sarkozy) au lendemain de l’incendie qui a entièrement détruit dimanche 22 juin le Centre de rétention administrative de Vincennes (Val-de-Marne) est ainsi peut-être plus habile qu’elle ne paraît.

Rappelons la teneur de ces propos historiques : « Il n’est pas tolérable que des "collectifs", type RESF (Réseau éducation sans frontières), viennent faire des provocations aux abords de ces centres au risque de mettre en danger des étrangers retenus. L’UMP demande la plus grande fermeté contre les collectifs qui se livrent à ce type d’actions à proximité de lieux où ils n’ont absolument rien à faire. L’UMP demande que dans l’affaire de Vincennes toutes les conséquences soient tirées y compris au plan judiciaire si la responsabilité de membres de collectifs comme RESF était avérée. [...] Des associations humanitaires ont accès quand elles le veulent à toutes les étapes de la politique de reconduite des étrangers, la CIMADE dans les centres, la Croix Rouge à Roissy, la plus grande transparence étant pratiquée dans notre pays. Raison de plus pour ne pas tolérer que des associations comme RESF viennent semer le désordre au risque de déclencher des émeutes et des actes irréparables. » Réponse un brin désabusée du RESF dans un communiqué daté du même jour : « C’est le coup classique du pyromane qui crie au feu et dénonce des innocents. »

C’est tout ? Peut-être pas. Les accusations explicites et objectivement délirantes contre le RESF dans l’affaire du CRA de Vincennes - comme si le Réseau avait tenu le briquet.... - participe de l’offensive idéologique en cours à l’égard des organisations qui osent encore s’opposer ouvertement, et souvent relativement efficacement, à une politique sarkozyenne de xénophobie d’Etat présentée comme une sorte d’humanisme pragmatique et responsable. A défaut de réussir à les contenir dans le cadre d’un débat démocratique classique, c’est la voie de la calomnie et de la répression policière et judiciaire qui est en train d’être tranquillement choisie.

Un certain style de militantisme - celui qui ne se contente pas de déclarations générales mais s’attache à rendre visible le réel et à agir en conséquence auprès des premiers concernés et du grand public - est tout doucement en passe d’être criminalisé. On se contente aujourd’hui de suggérer sans honte que quelques dizaines de manifestants pacifiques devant une véritable forteresse entourée de barbelés sont responsables d’un incendie. Si l’on n’y prend garde, le seul fait de défendre des idées opposées au discours ambiant sur l’immigration - et pourquoi pas sur bien d’autres sujets - pourrait peu à peu être rendu suspect. La fermeté de principe sur le respect des droits et de la dignité des étrangers vivant sur le sol national passera bientôt, au mieux, pour de l’idéalisme infantile (celui des Eglises, par exemple), et au pire, pour du fanatisme politique (celui des organisations militantes impliquées dans le mouvement social en général). Dans un contexte idéologique où il suffit de qualifier « d’extrémiste » son adversaire pour se sentir dispensé de discuter sérieusement ses arguments, le risque n’est plus seulement théorique.

Au début du mois de mai, certains médias (en particulier Le Point, sous le titre « les nouveaux combattants de l’ultra-gauche », n°1859) avaient fort docilement répercuté les inquiétudes des Renseignements généraux sur la résurgence en France d’un « mouvement autonome » susceptible de recourir au terrorisme pour défendre ses idées. Il était fort aimablement précisé que les individus suspects se situaient « à la gauche de l’extrême-gauche électorale » c’est-à-dire de la LCR, de Lutte ouvrière. Le syndicat Sud était également cité. Ce type de rapprochement, sans préjuger de ce que chacun est en droit de penser par ailleurs du style et des idées professées par ces organisations ou mouvements politiques et syndicaux, n’a évidemment aucun sens. Peu importe : ces noms d’organisations étaient livrées en vrac dans un contexte évoquant les risques « terroristes ». Un art subtil de la suggestion qui est exactement celui dont a usé en bon soldat du sarkozysme Frédéric Lefebvre à propos du RESF, confirmé sur Europe 1 le lendemain par le responsable jeunesse de l’UMP, David Weiss, qualifiant de « quasi-terroristes » les parents d’élèves, les enseignants, les lycéens s’opposant à l’expulsion de familles sans-papiers.

Jérôme Anciberro