Chemises arrachées

Procès Air France : les accusés assimilés à des « hordes sauvages »

Chemises arrachées

par Franck Dépretz

Une « horde » de « casseurs », des « voyous », des « gros bras hyperprotéinés »... Les adjectifs n’ont pas manqué au procureur Philippe Bourion pour qualifier la CGT, ce 27 septembre, lors de son réquisitoire qui a clos deux jours d’audience dans l’affaire des « chemises arrachées » d’Air France. Après deux reports, le procès a enfin pu se tenir au tribunal correctionnel de Bobigny.

Quinze salariés et ex-salariés – tous syndiqués à la CGT, sauf un à FO – comparaissaient suite aux débordements intervenus durant le comité central d’entreprise de la compagnie aérienne du 5 octobre 2015, dont l’objet était notamment d’annoncer 2 900 suppressions de poste potentielles (lire notre article). L’image des « chemises arrachées » des deux cadres Xavier Broseta et Pierre Plissonnier avaient alors fait le tour du monde, sans que l’on puisse distinguer nettement qui est à l’origine des gestes qui les a laissés torses nus.

Cela n’a pas empêché la presse de faire largement écho aux éléments de langages du procureur pour qui la CGT a « instrumentalisé » les salariés : « Ce n’était pas une opération syndicale » mais une « opération de casseurs puis de voyous ».

Malgré l’absence de preuves dénoncée par la défense depuis le début de cette affaire, le procureur a requis deux à quatre mois de prison avec sursis pour cinq d’entre eux qui répondaient de « violences en réunion » commises contre les deux cadres, ainsi que deux agents de sécurité. 1000 euros d’amende ont été demandés au titre de « dégradations volontaires en réunion » à onze prévenus, l’un d’eux étant jugé pour les deux chefs d’accusation. En clair, la direction reproche à ces derniers d’avoir forcé une grille – exceptionnellement fermée ce jour-là – pour permettre à leurs camarades, bloqués à l’extérieur, de rejoindre les locaux d’Air France.

Bien que les condamnations requises soient disproportionnées à ses yeux, Medhi Kemoune, secrétaire général adjoint de la CGT Air France, remarque que « les charges très fortes du procureur sont paradoxales, car à la fin il demande du sursis... Le parquet – lui-même aux ordres du gouvernement – a peur de reproduire l’erreur de Goodyear où les salariés [accusés de "séquestration"] risquent de la prison ferme. Air France est un laboratoire social pour eux, une sorte de mini-France. »

D’un côté, le représentant syndical s’indigne à l’idée que les onze salariés qui ont forcé la grille « doivent repayer, car ils ont déjà eu une mise à pied de deux semaines, ce qui correspond à une perte de salaire à peu près égale à mille euros ». De l’autre, aucune preuve matérielle n’étaye les accusations de « violences en réunion ». « Tout se base sur des propos », dénonce Medhi Kemoune, qui a été entendu devant la barre en tant que témoin de la défense.

La désignation des auteurs de l’arrachage de chemise se fonde en grande partie sur des images. Mais il y règne une telle « confusion » que les enquêteurs de police eux-mêmes reconnaissent « qu’il est impossible de distinguer des éventuels auteurs de violences ou de dégradations » dans leurs procès-verbaux révélés par Mediapart.

Pourtant d’autres images existeraient... « Des rushes pris par BFM TV et iTélé, non diffusés durant leurs journaux télé, auraient été livrés à la police. Les journalistes disent que ce n’est pas vrai, or je l’ai lu dans les rapports de police », nous assurait Medhi Kemoune quelques jours avant l’ouverture du procès. Des images qui n’ont pas été présentées au tribunal. « Desserviraient-elles l’accusation ? » se demande-t-il.

« Faute de dossier béton, le procureur et les avocats de la partie adverse ont insulté les salariés tout le long du procès », conclut le secrétaire CGT. Et de condamner les « références claires » au nazisme et aux « "hordes sauvages" comme a connues l’ex-Yougoslavie » employées par un avocat pour parler de l’« instrumentalisation des salariés » par la CGT. Cette deuxième référence a été reprise dans la bouche du procureur lors de sa réquisition. « Malgré cela, la direction dit qu’elle veut s’inscrire dans un dialogue social... » Le jugement sera rendu le 30 novembre.

[Mise à jour le 30 novembre 2016] Trois anciens salariés d’Air France ont été condamnés à 3 à 4 mois de prison avec sursis pour violences, tandis que deux autres ont été relaxés. Les dix autres salariés ou ex-salariés ont été condamnés à 500 euros d’amende.