Justice

Dans les prisons norvégiennes, des surveillants « travailleurs sociaux » avant d’être gardiens

Justice

par Déborah Berlioz (Hesamag)

En Norvège, les gardiens de prison ne sont pas exclusivement affectés à des tâches sécuritaires. Leur rôle, au contraire, privilégie la proximité avec les détenus. Récit, en partenariat avec Hesamag.

Seuls 25 détenus se côtoient dans la petite prison de Sarpsborg, au sud de la Norvège. Si les barbelés et les caméras à l’entrée signalent bien un établissement de haute sécurité, l’ambiance à l’intérieur semble plutôt détendue. Peu avant l’heure du déjeuner, quelques prisonniers parcourent les couloirs pour achever leurs tâches de la matinée. L’un s’occupe du ménage, l’autre du linge, tandis que cinq autres travaillent à l’atelier.

Tom, l’un des nombreux gardiens de l’endroit, n’a aucune réticence à se promener au milieu des détenus. Sourires, blagues et accolades sont de mise. « Lui c’est quelqu’un de bien ! Je peux lui parler quand je veux », s’exclame l’un des pensionnaires de l’établissement au passage du gardien. « Quand je suis rentrée dans le monde carcéral, nous n’étions pas supposés avoir des contacts avec les prisonniers, se rappelle Lena, dans le métier depuis 30 ans. Mais cela a changé dans les années 1990, et désormais nous prenons le temps de nous asseoir avec eux, de discuter. »

Une approche fondée sur la proximité et les relations humaines

« En 1850, on pensait changer le comportement des criminels en les isolant et en leur faisant lire la Bible, retrace Hedda Giersten, professeure émérite au département de criminologie et de sociologie juridique de l’université d’Oslo. À l’inverse, dans les années 1970 on croyait en la vertu du travail et de la production. Enfin dans les années 1990, on a davantage insisté sur les relations sociales au sein des établissements pénitentiaires. Les gardiens ne devaient plus seulement ouvrir et fermer les portes, ils devaient nouer des liens avec les prisonniers et leur servir de modèle en quelque sorte. »

Cette nouvelle proximité entre gardiens et prisonniers n’a pas pu s’imposer partout. Mais quand de nouvelles prisons ont été construites, comme celle de Bergen en 1990, l’architecture a été pensée pour permettre un autre type de relation. « Chaque bloc accueille 6 à 8 détenus, et il y a des espaces communs qui permettent aux gardes de passer du temps avec les prisonniers », poursuit la chercheuse.

« Ce sont les seules personnes de l’extérieur avec qui je peux parler »

Cette organisation de l’espace a facilité la mise en place d’un nouveau concept : la sécurité dynamique. Selon cette idée, les gardes doivent se mélanger aux prisonniers le plus possible. Ils mangent avec eux, fument une cigarette en leur compagnie dans la cour... Pour Asle Aase, dirigeant du syndicat norvégien du personnel pénitencier et des agents de probation, c’est idéal pour éviter les débordements : « Si j’apprends à connaître une personne, cela réduit le risque qu’elle se retourne contre moi. Par ailleurs en cas de problème, un détenu peut se transformer en allié. »

Depuis les années 1990, chaque garde se voit également assigner deux ou trois prisonniers, pour qui il est « l’officier de contact ». « Nous discutons avec eux de leurs objectifs, de ce qu’ils veulent accomplir pendant leur séjour carcéral, précise Asle. Nous les dirigeons en conséquence vers une formation ou un emploi. Et dès qu’ils ont un problème ils peuvent s’adresser à nous. »

L’accessibilité des gardiens est appréciée par Klaus, enfermé à Sarpsborg depuis sept mois : « Ce sont les seules personnes de l’extérieur avec qui je peux parler, souligne ce Danois en attente de jugement pour trafic de drogue. Si j’ai besoin de quoi que ce soit, comme envoyer des fleurs à ma femme, je peux aller les voir. »

Deux ans de formation, incluant sociologie et éthique

À Sarpsborg, les prisonniers peuvent suivre un programme censé les aider à mieux gérer leur stress. Ce sont les gardes qui l’animent. « La plupart des hommes ici sont en détention préventive, et donc en attente d’un jugement, précise Tom. C’est une situation très stressante. » « Notre mission est de les préparer à rejoindre la communauté, explique Lena. Nous sommes presque plus des travailleurs sociaux que des gardiens de prison. » La formation du personnel pénitentiaire doit donc être à la hauteur de la mission qui lui est assignée.

Pour devenir gardien en Norvège, il faut d’abord terminer le lycée, puis intégrer l’académie du personnel des services correctionnels. Deux ans sont nécessaires pour obtenir le diplôme, ce qui place la Norvège dans la fourchette haute des pays européens en matière de durée de formation.

Quand Asle a passé son diplôme dans les années 1980, la formation s’étalait déjà sur deux ans, mais son contenu a bien évolué depuis. « À l’époque nous apprenions surtout le droit et beaucoup de choses pratiques, comme écrire des rapports ou à quel moment un détenu doit être placé en isolement. Nous avions également des cours de psychologie, mais le niveau des cours a considérablement augmenté depuis les années 1990. Les étudiants suivent des enseignements de sociologie, d’éthique. Ils apprennent aussi à reconnaître les signes de radicalisation. »

Des salaires modestes, mais un travail varié

Toutefois, le syndicat d’Asle réclame une troisième année de formation pour tous les officiers de prison. Leur revendication a été partiellement entendue puisque 35 étudiants viennent tout juste d’intégrer un nouveau programme en trois ans. Parmi la liste des spécialisations disponibles on trouve, par exemple, « Approches structurées pour appuyer la lutte contre la criminalité – Interventions, historique et aspects critiques ».

Les gardiens ont en outre la possibilité de retourner sur les bancs de l’école tout au long de leur carrière. Un large catalogue de formations est à leur disposition. Patrik, 32 ans, qui alterne les gardes entre Sarpsborg et la prison toute proche d’Halden, a suivi, de cette manière, des cours pour organiser ses programmes autour des drogues.

Si la formation des gardes est payée par l’État, les salaires restent cependant modestes. « Un garde gagne en moyenne 30 000 euros par an, ce qui n’est pas très élevé pour la Norvège », précise Asle. Selon l’OCDE, le salaire moyen s’y élève à plus de 45 000 euros bruts par an. « À Halden, les gardes sont plus spécialisés. Ici je touche à tout. J’accueille les prisonniers à leur arrivée, j’organise les visites de leur famille, je surveille l’atelier... J’apprécie la diversité de mon travail », souligne Patrik.

« La vie en prison doit ressembler autant que possible à la vie à l’extérieur »

Pourtant, l’offre d’activités pour les détenus reste assez limitée à Sarspborg. Entre quatre et six d’entre eux peuvent travailler dans un atelier de conditionnement. Quant aux autres, ils suivent éventuellement des cours d’anglais ou de cuisine. La majorité des détenus étant en préventive, aucune véritable formation n’est disponible. Ils passent donc beaucoup de temps dans leurs cellules, où ils prennent la majeure partie de leurs repas.

Le soir les détenus se retrouvent dans la petite salle commune pour manger, faire des jeux ou encore de la musique. Klaus apprécie la vie ici, mais s’il est condamné, il aimerait être transféré à la prison d’Halden. « Ils y ont des meilleures formations, et plus de possibilités d’emploi », précise-t-il.

Ouverte en 2010, la prison d’Halden est assez emblématique de la nouvelle politique pénitentiaire norvégienne introduite dans les années 1990. Comme dans toutes les prisons du pays, chaque détenu y a sa propre cellule. À Halden, chaque cellule a aussi sa propre douche. « La vie en prison doit ressembler autant que possible à la vie à l’extérieur », peut-on lire sur le site de l’administration des services correctionnels. « Si c’est trop différent, le retour à la vie normale sera difficile, explique Asle. Nous devons faciliter la transition. »

Un taux d’occupation de 92%, contre 116,5% en France

Les prisons norvégiennes, par ailleurs, sont loin d’être surpeuplées. 92 % des 4000 cellules que compte le pays étaient occupées en 2017. En comparaison, à la même date, le taux d’occupation des prisons françaises était de 116,5 %...

Évidemment, tout cela a un coût. Selon les statistiques du Conseil de l’Europe, chaque prisonnier coûtait 348 euros par jour à l’État norvégien, contre 102,7 euros en France. De telles dépenses ne font pas toujours l’unanimité. Quand la prison de Halden a ouvert ses portes, les journaux locaux ont fustigé le « luxe » des cellules. « Ils soulignaient notamment que les personnes âgées étaient moins bien traitées dans les maisons de retraite, car elles étaient obligées de partager une chambre », se souvient Asle.

« L’État a répondu que ces nouvelles prisons étaient moins chères à gérer, explique Hedda Giersten. Comme les détenus ont leur propre salle de bain, il ne faut pas les accompagner et donc on peut faire des économies de personnel. »

Un modèle menacé

Mais la politique carcérale subit à nouveau des changements. Pour la coalition de droite au pouvoir depuis 2013, la priorité est aux économies. Depuis 2015, le budget des services pénitentiaires et correctionnels est amputé de trois à quatre millions d’euros chaque année. « Ils disent qu’ils veulent réduire la bureaucratie, mais dans les faits ce rationnement budgétaire conduit principalement à une réduction du personnel dans les prisons, regrette Asle. Si nous n’avons pas assez de gardes, nous devons nous concentrer sur les aspects sécuritaires, et nous ne pouvons plus organiser de programmes éducatifs, par exemple. »

En l’absence de personnel suffisant, les prisonniers sont aussi contraints de passer plus de temps dans leurs cellules. Or, la Norvège s’est déjà fait épingler par le Comité pour la prévention de la torture du Conseil de l’Europe sur le sujet de l’isolement. Suite à une visite au printemps 2018, le comité a constaté que de nombreux détenus norvégiens passaient encore 22 heures par jour dans leur cellule, pour des périodes prolongées et quasiment sans contact avec le personnel.

« C’est un vrai problème, avoue Asle. Les détenus en isolement sont de véritables bombes à retardement. » Son syndicat se bat donc contre les suppressions de poste et le maintien des programmes éducatifs dans les prisons. En novembre dernier, il a même reçu un soutien un peu inattendu. Des groupes d’anciens détenus ont organisé un concert en signe de solidarité avec les gardiens de prison.

Déborah Berlioz

Photo : illustration – JoshuaDavisPhotography (CC BY-SA 2.0)

 
Cet article été initialement publié dans le magazine Hesamag, consacré à la santé et à la sécurité au travail et édité en français et en anglais par l’Institut syndical européen. Le dossier de son dernier numéro est consacré à « Travailler derrière les barreaux ». Il peut être commandé ici.
 

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