Devoir d’asile

Poursuites-bâillons contre 35 réfugiés de Lesbos, le camp insalubre qui déshonore la Grèce et l’Europe

Devoir d’asile

par Anne-Sophie Simpere

Ils viennent d’Afrique ou du Moyen-Orient. Ils fuient la guerre, la terreur djihadiste ou les persécutions de régimes totalitaires. Ils ont osé protester contre leurs conditions d’internement indignes au sein du camp, surpeuplé, de l’île grecque de Lesbos. En guise de réponse, ils ont été la cible de violences policières et de punitions collectives. Le procès de 35 de ces demandeurs d’asile s’ouvre aujourd’hui en Grèce. Des associations françaises sont présentes pour surveiller l’impartialité des juges.

Le procès de 35 demandeurs d’asile, les « Moria 35 », s’ouvre ce 20 avril en Grèce. Les prévenus encourent jusqu’à dix ans de prison. Un procès sous tension : les accusés ont été très brutalement arrêtés en juillet dernier lors d’un raid de la police. Des réfugiés protestaient alors contre leurs conditions de vie dans le camp de Moria, sur l’île de Lesbos. Les inculpés sont accusés d’incendie volontaire, de rébellion, de violences ou de dégradation de biens. Des charges graves et identiques pour chacun des accusés.

Aux yeux de leurs avocats, cela démontre le caractère totalement arbitraire des poursuites, davantage basées sur une volonté d’intimider que sur des preuves concrètes. Outre la prison, les réfugiés pourraient aussi perdre leur droit à l’asile et être renvoyés vers des pays qu’ils ont fui, au Mali, en Gambie ou en Côte d’Ivoire, souvent parce qu’ils y risquaient leur vie. Pour les associations qui les défendent, ces arrestations visent à réprimer toute forme de contestation chez les demandeurs d’asile.

Le raid de la police vise le quartier africain du camp

Le 18 juillet dernier, en représailles à un sit-in devant le Bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO), le camp de Moria fait l’objet d’une violente descente de police. Arrivés environ une heure après la fin de la manifestation, les policiers grecs s’attaquent à tous ceux qu’ils croisent, sans distinction. On les voit jeter des pierre, des vidéos montrent des hommes qui fuient, d’autres roués de coups alors qu’ils sont à terre. Une femme enceinte est brutalisée. L’un des demandeurs d’asile arrêté ce jour là venait de rentrer au camp après un rendez-vous médical avec Médecins sans frontière (MSF). Alors qu’il n’avait participé à aucune des actions, il est tabassé jusqu’à en perdre conscience et ne se réveillera qu’à l’hôpital.

Le raid de la police vise le quartier africain du camp. Les agents forcent les portes des containers, arrêtent les hommes qui tentent de se cacher. Plusieurs seront encore sévèrement battus dans l’enceinte du commissariat, loin des regards, alors qu’ils sont menottés. Au point qu’Amnesty international demande une enquête pour recours excessif à la force, certain passages à tabac pouvant constituer des actes de torture. Trente-cinq réfugiés sont finalement inculpés et trente d’entre eux gardés en détention.

Une tactique pour briser toute forme de contestation

Plus de 6000 personnes vivent dans le camp de Moria, construit pour en héberger 3000. Depuis des mois, les réfugiés pris au piège sur l’île grecque de Lesbos, à dix kilomètres des côtes turques, tentent de s’organiser pour dénoncer leurs conditions de vie indignes et attirer l’attention internationale sur leur sort. Le camp est surpeuplé, insalubre et l’attente insupportable. Les procédures d’asile s’éternisent et les migrants ne sont pas autorisés à quitter l’île. Au cours de l’hiver 2016-2017, plusieurs personnes succombent à cause du froid. Les autorités empêchent des malades d’aller se faire soigner à Athènes.

« Les réfugiés ont commencé à s’organiser, que ce soit en écrivant aux autorités, aux députés européens, ou en organisant des manifestations pacifiques », explique Lorraine Leete, coordinatrice du Lesbos Legal Centre qui assure la défense de six des accusés. « Nous sommes face à une tactique pour briser toute forme de contestation. Les autorités portent des accusations de plus en plus graves, avec très peu de preuves. Les réfugiés sont arrêtés, ils peuvent être gardé en détention préventive pendant des mois. C’est extrêmement compliqué pour eux de comprendre le droit local, de trouver un avocat, des témoins... »

« Une centaine d’arrivées par jour en moyenne »

Il y a quelques semaines, suite à des tensions entre la police et des réfugiés irakiens et syriens, la police est venue arrêter des exilés pris au hasard. Deux d’entre eux ont démontré qu’ils n’étaient pas présents pendant les affrontements : l’un travaillait comme interprète pour un médecin du camp et l’autre accompagnait une femme enceinte à l’hôpital. Pour Lorraine Leete, « La police les a ciblé parce qu’ils étaient de la communauté concernée. Ils ciblent les communautés, pas les individus. »

Malgré ces punitions collectives, il y a peu de chances que la situation ne s’apaise à Lesbos. Les autorités grecques ont certes autorisé plusieurs milliers de demandeurs d’asile à quitter le camp insalubre cet hiver, mais l’île est de nouveau bloquée alors que les arrivées d’exilés connaissent un pic. 2856 nouveaux réfugiés sont arrivés à Lesbos en janvier et février 2018, dont une majorité de Syriens, 60% de femmes et enfants [1]. « En ce moment, on constate une centaine d’arrivées par jour en moyenne », estime Lorraine Leete. Fin mars, un Syrien de 26 ans a tenté de s’immoler par le feu après que sa demande d’asile aie été rejetée.

Des associations françaises surveilleront l’impartialité du procès

La plupart des "Moria 35" n’étaient pas présents à la manifestation du 18 juillet, ni aux affrontements qui ont suivi. Tous ont fui leur pays. Certains cherchent à échapper à une guerre, d’autres aux djihadistes, certains ont vu leur famille mourir, d’autres étaient persécutés pour leurs orientations politiques ou religieuses. L’un d’entre eux a vu sa demande d’asile acceptée depuis son arrestation. Lui, et tous les autres, pourraient perdre ce droit à la protection si les juges grecs le condamnent.

« Le dossier du parquet est presque vide. Cela n’a pas empêché les juges de garder trente des réfugiés en détention préventive. On espère que la présence internationale au tribunal les empêchera de condamner ces 35 personnes sans preuves. », espère Lorraine Leete. Des associations françaises – Gisti, Migreurop et Avocats sans frontières – feront parti des observateurs internationaux présents, pour s’assurer de l’impartialité du tribunal. Les audiences se tiendront sur l’île de Chios, toujours aux frontières de l’Europe. Le procès devrait durer trois semaines. Une enquête contre X a également été ouverte suite aux plaintes de certains demandeurs d’asile contre les violences policières. Mais de ce côté là, la procédure a l’air d’avancer bien plus lentement.

Anne-Sophie Simpere

Photo : CC Itchyklikfinger