Régionales 2010

Peut-on mesurer les performances sociales et écologiques d’une région ?

Régionales 2010

par Ivan du Roy

Les régions protègent-elles de la crise sociale et environnementale ? Pour que, aux lendemains des élections régionales, ce soit vraiment le cas, d’autres indicateurs que la sacro-sainte croissance devront guider l’action des Conseils régionaux. L’empreinte écologique et, surtout, l’indicateur de santé sociale permettent de montrer ce que le PIB dissimule. Le Limousin par exemple, obtient la palme de la « santé sociale ».

Richesse ne signifie pas forcément bien-être, encore moins justice sociale et efficacité environnementale. En matière de Produit intérieur brut (PIB), l’Île-de-France arrive largement en tête (41 700 euros/habitant) suivie, de loin, par les régions Rhône-Alpes (27 000 euros/habitant) et Alsace (25 700 euros/habitant). La « région capitale » est ainsi l’une des agglomérations les plus riches d’Europe. C’est aussi l’une des plus inégalitaires. Les 10% les plus aisés y déclarent des revenus sept fois plus importants que les 10% les plus pauvres. Par comparaison, en Bretagne, cet écart n’est que de un à quatre.

Cette inégalité se traduit aussi géographiquement. Le taux de pauvreté en Seine-Saint-Denis est le plus élevé de l’Hexagone : dans le « neuf trois », un habitant sur cinq (21,6%) dispose de moins de 876 euros mensuels pour vivre. Au contraire, c’est à l’Ouest de Paris, dans les Yvelines, que l’on rencontre le moins de pauvres en France (avec un taux de pauvreté de 7,2%). La périphérie nord-est de Paris détient un autre record : le niveau de « développement humain » parmi les plus faibles de France. Cet indicateur (IDH-2) combine la santé des habitants, leurs niveaux d’éducation et de vie. Au contraire, à quelques kilomètres de distance, l’Ouest francilien, des quartiers « chics » de la capitale à Saint-Germain-en-Laye ou Versailles, concentre les communes où l’indicateur de développement humain est le plus élevé.

Trois planètes pour vivre

On le sait, le PIB ne reflète que l’activité économique et marchande, et absolument pas le niveau de redistribution des richesses. Le bien-être des habitants, leur santé, leur environnement, y compris au travail, leur qualité de vie indépendamment de leurs revenus, leur niveau d’éducation ou leurs perspectives sont également ignorés par le PIB. Problème : c’est lui qui guide encore prioritairement toute action politique. Or, il « ne distingue pas les dépenses qui servent à réparer un dommage de celles qui améliorent véritablement la vie des populations » d’une région, rappelle La Revue Durable [1]. Le PIB additionne ainsi l’argent dépensé pour acheter des cigarettes, et le coût nécessaire à traiter un cancer. Il nie totalement tous les effets environnementaux : « Si un pays abat une forêt et bétonne des terres fertiles pour construire une ville, seules les dépenses liées à son édification sont comptabilisées ; avec lui, la destruction du capital naturel passe inaperçu. »

Pour compenser ce miroir déformant basé sur la sacro-sainte « croissance », d’autres indicateurs ont vu le jour, en particulier en matière environnementale. L’empreinte écologique est le plus médiatisé. Il permet de mesurer notre « influence directe sur la nature », en estimant la superficie nécessaire à la satisfaction de nos besoins en ressources naturelles, agricoles ou minérales, que ce soit pour se nourrir, se déplacer, se loger ou se chauffer. Dans la région Nord – Pas-de-Calais, en pointe dans l’élaboration de nouveaux indicateurs, l’empreinte écologique d’un habitant est de 5,4 hectares globaux. La capacité maximale disponible étant de 1,8 hectares globaux par terrien, cela signifie que trois planètes sont nécessaires pour assouvir les besoins moyens actuels d’un ch’ti. Pour l’Île-de-France, cette empreinte monte à 5,58 hectares globaux, soit plus que l’empreinte moyenne d’un Britannique ou d’un Allemand. Paradoxalement, un Francilien émet en moyenne deux fois moins de CO2 (6 tonnes équivalent CO2) qu’un Français (11 tonnes), grâce notamment à la densité de son réseau de transport en commun.

Mesurer la santé sociale

Si l’empreinte écologique permet de sensibiliser facilement élus et citoyens sur les questions de pollutions, de production de déchets ou de surconsommations, elle est pour l’écologie aussi réductrice que le PIB pour l’économie. « L’empreinte écologique est entachée des mêmes limites que tout indicateur synthétique. Agréger en un chiffre une réalité complexe implique des raccourcis et des simplifications », même si « c’est le prix à payer pour faire émerger sens et lisibilité », écrit La Revue Durable. Comme le PIB, l’empreinte écologique ne prend pas en compte les inégalités, y compris environnementales, encore moins le fait qu’un riche pollue plus qu’un pauvre.

En 2008, en collaboration avec la région Nord – Pas-de-Calais, deux chercheurs, Florence Jany-Catrice et Rabih Zotti [2] ont mis au point un nouvel outil d’évaluation : l’indicateur de santé sociale (ISS). Celui-ci prend en compte l’éducation, l’espérance de vie ou le revenu mais également les expulsions de logement, l’accès à la justice, le taux de surendettement, la fréquence des maladies, les accidents du travail et de la route, les crimes et délits ou le taux de chômage. Le mode d’élaboration de cet indicateur est d’autant plus original que le groupe de travail associait élus, experts et « société civile ». « Droit au logement y côtoyait ainsi la Banque de France, le secours populaire, les statisticiens de la Direction régionale du travail », soulignent Florence Jany-Catrice et Rabih Zotti, qui se sont également inspirés des travaux autour du Baromètre des inégalités et de la pauvreté (BIP 40).

Le Limousin, champion du bien-être social

Appliqué aux régions, que révèle ce nouvel indicateur ? La région la plus performante socialement n’est pas l’Île-de-France, malgré sa richesse, mais le Limousin qui a pourtant l’un des PIB par habitant le moins élevé. Les plus sinistrées sont le Nord – Pas-de-Calais et le Languedoc-Roussillon. « Les régions économiquement riches se situent plutôt dans le centre et dans l’est et le sud est, tandis que les régions ayant une bonne santé sociale se situent plutôt dans le grand ouest français. Ensuite, les régions Nord-Pas-de-Calais, Languedoc-Roussillon et Provence-Alpes-Côte d’Azur (qui comptent à elles trois 18,5% de la population française) présentent les santés sociales les plus précaires. Et c’est le Limousin qui bénéficie, de loin, de la santé sociale la plus favorable », commentent les chercheurs.

Coïncidence ? C’est dans le grand ouest que le vote sécuritaire et xénophobe pèse moins lourd qu’ailleurs lors du premier tour des élections régionales du 14 mars 2010. Quant à l’Ile-de-France, sa situation « est en toutes dimensions atypique : soit ses performances sont largement meilleures que les autres régions françaises : accidents du travail, précarité, taux de pauvreté des enfants, espérance de vie... Soit cette région est dans la pire des situations : expulsion locative, crimes et délits mais aussi inégalités de salaire et taux d’ISF (impôt sur la fortune). »


L’indicateur de santé sociale des régions françaises : en blanc là où il fait bon vivre, en noir là où la santé sociale est la plus précaire

Source : Institut pour le développement de l’information économique et sociale (Idies)


Les Conseils régionaux respectifs sont-ils responsables – en bien ou en mal - de l’empreinte écologique ou de la santé sociale des territoires qu’ils administrent ? Ces instances n’existent que depuis 1986 et n’ont pas la main sur tous les leviers du développement social et environnemental. La plupart – à l’exception du Limousin et du Nord-Pas-de-Calais gouvernés par la gauche depuis le début – ont basculé à gauche en 1998 ou en 2004. Le Conseil régional du Limousin est cependant celui qui investit le plus dans l’éducation, comparé au nombre de lycéens, ainsi que dans les trains express régionaux (juste derrière la Picardie) [3]. C’est aussi l’une des régions qui – proportionnellement à son budget et à la valeur ajoutée dégagée par les entreprises – soutient le plus le développement économique. En matière d’éducation, par exemple, l’Île-de-France traîne en queue de peloton alors qu’elle figure parmi les premières dans les dépenses environnementales.

Guider l’action des Conseils régionaux

Il est cependant difficile de savoir l’influence réelle de ces politiques sur l’état social et environnemental d’une région. À quoi servent donc des indicateurs alternatifs au PIB ? « Outil d’animation du débat public, il part de la question : « à quoi est-il important de donner de la valeur ? Quels sont les éléments qui doivent guider le regard sur la richesse d’un territoire, d’un pays » ?  », répondent Florence Jany-Catrice et Rabih Zotti à propos du « Produit intérieur doux ».

Empreinte écologique ou indicateur de santé sociale révèlent des tendances lourdes, soulèvent des problèmes masqués par la seule mesure de l’activité marchande. Ils peuvent ainsi guider l’action des collectivités territoriales, en particulier des régions si elles veulent incarner une véritable protection sociale et environnementale face à la crise. Plusieurs régions se sont ainsi dotées de nouveaux baromètres, prenant également en compte d’autres éléments, comme la pollution de l’eau ou des forêts, le niveau de bruit ou la biodiversité. La région Île-de-France s’est dotée de son Institut d’aménagement et d’urbanisme, l’Alsace de son « tableau de bord du développement durable ». Une fois le diagnostic réalisé, reste à agir efficacement en lien avec les populations concernées pour que les régions constituent réellement une « protection face à la crise », comme le souhaite la gauche.

Ivan du Roy

Notes

[1La Revue Durable, janvier 2010

[2du Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques, Université Lille 1.

[3Voir l’enquête réalisée par Le Nouvel Observateur du 11 mars 2010.