Passe-droit

L’épandage des pesticides à nouveau autorisé au plus près des habitations

Passe-droit

par Nolwenn Weiler

Les agriculteurs qui pulvérisent des pesticides ne sont pas confinés. Au contraire. Ils viennent d’obtenir de nouvelles facilités pour s’approcher des habitations. Jusqu’au 30 juin 2020, il sera possible d’épandre des pesticides jusqu’à trois mètres des habitations pour les cultures basses comme les céréales et les légumes, et cinq mètres pour les cultures hautes comme la vigne ou les arbres fruitiers. Et cela sans qu’aucune charte d’engagements – censée garantir une bonne conduite de la part de l’épandeur – ne soit approuvée par le préfet, ni soumise à la concertation publique comme le prévoit pourtant la loi. Pour le moment, 25 départements sont concernés, dont la totalité du grand Ouest, ainsi que l’Hérault, la Drôme, les Landes, le Nord et le Pas-de-Calais [1].

Exit les formalités démocratiques

Normalement, les zones de non traitement (ZNT) qui longent les champs arrosés de pesticides s’étendent sur cinq mètres pour les cultures basses comme les céréales et les légumes, 10 mètres pour les cultures hautes comme la vigne ou les arbres fruitiers, et 20 mètres pour les produits les plus dangereux. La signature d’une « charte d’engagements des utilisateurs », approuvée par le préfet après consultation du public permet de diviser ces distances par deux [2].

La crise sanitaire en cours, qui rend la concertation publique « difficile » selon le gouvernement va permettre aux agriculteurs utilisant des pesticides de se passer de cette formalité démocratique. Ils peuvent, jusqu’au 30 juin prochain, se contenter d’avoir déposé un projet de charte en préfecture pour avoir le droit de répandre leurs produits toxiques au-delà des zones de non traitement minimales prévues par la loi. Inutile d’attendre une quelconque autorisation : le préfet se contente d’accuser réception du projet de charte. « Les utilisateurs engagés dans un projet de charte s’engagent à mener la concertation dès que le contexte Covid19 le permettra », précise le gouvernement. Ce qui est suffisamment vague pour laisser les agriculteurs faire ce qu’ils veulent pendant pas mal de temps.

Face à ce qu’ils définissent comme « un nouveau tour de force de l’agro-industrie », les membres du collectif des victimes de pesticides de l’ouest ne décolèrent pas. « La seule condition imposée pour déroger à la loi, c’est d’avoir inscrit l’utilisation de systèmes anti-dérive (c’est à dire permettant davantage de précisions dans les traitements, ndlr), s’insurge Michel Besnard, membre du collectif. Déjà, ces soi-disant "chartes de bon voisinage" étaient une mascarade puisqu’elles ne réunissent que les acteurs de l’agro-industrie, aucune association ne représentant les riverains. Au moins, elles obligeaient à respecter une pseudo-concertation. » Dénonçant le « cynisme » du gouvernement et des dirigeants agricoles, le collectif demande l’annulation immédiate de ce passe-droit.

Des pesticides de synthèse « aggravant la détresse respiratoire des malades du coronavirus »

Avec trois autres associations locales (Eau et rivières, L’arbre indispensable, Nous voulons des coquelicots), le collectif demande la suspension des épandages de pesticides de synthèse car « non essentiels et aggravant la détresse respiratoire des malades du coronavirus ». Les associations s’appuient notamment sur la tribune d’un collectif de médecins qui s’inquiètent de la pollution atmosphérique comme vecteur du covid 19 [3]. Également en cause dans cette pollution de l’air : les épandages de lisier et de fumier, que les associations demandent d’encadrer strictement, avec une interdiction d’épandage au-delà d’une température extérieure de 18 degrés, le respect des pentes maximum autorisées et l’enfouissement immédiat.

Deux collectifs du sud ouest (collectif info Médoc pesticides et Alerte aux toxiques) ont également demandé à leur préfecture de suspendre les pulvérisations de pesticides de synthèse. Le refus de la préfecture leur a inspiré cette réponse : « La population girondine devra jongler entre les passages des pulvérisateurs pour s’aventurer les 60 minutes autorisées hors de son domicile, renoncer à ouvrir ses fenêtres, s’armer de patience, s’accoutumer à l’angoisse et s’en remettre à sa bonne étoile pour que son organisme ne soit pas rendu trop vulnérable au virus ou à ses complications ».

Notes

[1Voir une carte ici.

[2Cette dérogation permise par la signature de chartes est définie dans un arrêté du 27 décembre 2020, ici.

[3L’association Bretagne vivante s’inquiète elle aussi de la pollution de l’air induite par l’activité agricole et a interpellé la préfète de région dans un courrier le 6 avril.