Déchets nucléaires

Perquisitions et répression à Bure : le silence de Nicolas Hulot

Déchets nucléaires

par Sophie Chapelle

Le 20 septembre, la gendarmerie a perquisitionné plusieurs lieux à Bure (Meuse) et dans ses environs, habités par des opposants à Cigeo, le projet d’enfouissement de déchets nucléaires. La « maison de résistance », une ancienne ferme transformée en lieu d’accueil des militants anti-nucléaires, a ainsi été perquisitionnée vers 6h20 [1]. Au même moment, quatre domiciles privés étaient investis par les forces de l’ordre. Du matériel divers - ordinateur, disque dur, clé USB, téléphones portables, livres... - a été saisi. Les forces de l’ordre ont justifié ces perquisitions par la commission rogatoire d’un juge d’instruction, dans le cadre de l’enquête relative à une action menée en juin dernier contre l’hôtel-restaurant du laboratoire de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, en charge du projet Cigéo.

Angèle, très investie dans la mobilisation, fait partie des personnes dont le domicile a été perquisitionné. « Ils ont fouillé la chambre, ont pris de vieux téléphones portables et mon ordinateur dans lequel ils trouveront mes cours en apiculture », raconte-t-elle à Basta!. Elle voit dans ces perquisitions « une escalade de la stratégie de la tension » dans un contexte où des problèmes de sûreté du projet Cigéo ont été soulevés par l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) [2]. « La préfecture tente d’allumer des contre feux médiatiques en mettant les projecteurs sur les opposants, en les criminalisant », estime-t-elle.

« La Préfecture fait tout pour que ça dégénère »

Joël dormait chez son amie lorsqu’ils ont été réveillés par une dizaine de gendarmes. « Ils ont sorti la commission rogatoire concernant l’affaire de l’hôtel-restaurant. Je leur ai dit que j’étais en vacances à ce moment-là, qu’ils pouvaient vérifier. Ils ont quand même pris un ordinateur, un téléphone et un disque dur », témoigne t-il. Joël fait partie des personnes qui ont été assignées à résidence durant la Cop21 à cause de ses activités militantes consistant, entre autres, à avoir co-organisé un campement à Bure trois ans auparavant (voir ici). « A partir du moment où il y a suspicion de culpabilité c’est un cercle vicieux. Ils me remettent dans le collimateur à chaque fois, même si l’assignation a été levée depuis la Cop21 et qu’ils n’ont jamais établi d’éléments à charge la justifiant. » Désireux d’obtenir gain de cause devant les tribunaux, il a décidé de saisir la Cour européenne des droits de l’homme.

« Un cap a été franchi dans un contexte de banalisation de l’état d’urgence », reprend Gaspard, un autre militant actif dans la lutte. « Cigeo subit une succession de revers tant juridiques que médiatiques et techniques. Le gouvernement mise désormais sur la répression. Cent gendarmes mobiles patrouillent tous les jours, on nous filme en permanence. Des personnes ont été contrôlées 35 fois en un mois ! Les gens sont excédés. »

C’est notamment le cas de Michel, un sexagénaire habitant Mandre, opposé depuis quarante ans au projet. « On ne doit plus s’opposer, c’est la nouvelle démocratie de monsieur Macron. Ils nous surveillent sans arrêt, ils nous font souffrir. Mais on ne lâchera pas », assure t-il. Gaspard poursuit : « La Préfecture joue le jeu du pourrissement et fait tout pour que ça dégénère, à l’instar de la répression subie le 15 août à Bure. » Lors de ce rassemblement, Robin, 27 ans, a été grièvement blessé au pied, comme le rapporte France 3 (voir la vidéo ci-dessous).

Nicolas Hulot avant, et après

« Le mutisme de Nicolas Hulot devient presque criminel », critique Gaspard. Cela n’a pas toujours été le cas comme en témoigne cette affiche datée du 9 octobre 2016 où l’on voit celui qui n’était pas encore ministre de la Transition écologique et solidaire tenir une pancarte : « Cigéo BURE, je dis non ! »

En janvier 2016, sur le plateau d’i-Télé, l’actuel ministre de l’Écologie déclarait : « Ces déchets, il faut bien en faire quelque chose mais, en tout cas, on ne peut pas imposer comme ça [ce projet] à des populations locales, sous prétexte qu’[elles] sont dans des endroits un peu éloignés (…), sans concertation, sans transparence. » Il ajoutait : « Le temps de la concertation, de la démocratie participative, est nécessaire. » [3]

Devenu ministre, il nuance sa position le 17 juillet dernier : « On a derrière nous des années de production nucléaire et donc de déchets radioactifs… Qu’est-ce qu’on fait ? On va les balancer dans la mer ou dans l’espace ? Ils ne vont pas disparaître comme par enchantement… Il va falloir les prendre en charge. Mon travail est de vérifier que leur stockage se fasse dans des conditions de sécurité absolue. Ensuite, cela doit nous pousser encore plus à réfléchir sur le nucléaire. Ce n’est pas ma conception d’une civilisation d’avoir des déchets que l’on délègue aux générations futures. Je ne veux pas me précipiter. On voudrait me faire prendre toutes les décisions en urgence, ce ne sera pas le cas. Je veux croiser toutes les informations avant de décider. » [4]

Alors que le ministère de la Transition écologique et solidaire se fait pour l’heure discret sur le dossier Cigéo, plusieurs rassemblements de soutien aux opposants à ce projet d’enfouissement se sont déroulés dans toute la France. Un appel à soutenir la Maison de résistance pour remplacer les portes et fenêtres détruites, ainsi que le matériel saisi durant la perquisition, a été lancé.

Notes

[1La Maison de la résistance est une ancienne ferme achetée en 2005 par des antinucléaires de France et d’Allemagne regroupés au sein de l’association Bure Zone Libre (BZL).

[2L’IRSN estime que le projet atteint « une maturité technique satisfaisante », mais pointe que le stockage des déchets « ne présente pas les garanties de sûreté suffisantes ». Source

[3Voir cet article du Monde

[4Voir cet entretien avec Ouest France