Sécurité

Paris en libertés (vidéo)surveillées

Sécurité

par Nadia Djabali

Sous prétexte de sécurité et de lutte contre le terrorisme, Paris va être quadrillée par plus de 1000 caméras de surveillance. Une promesse de Delanoë qui a du mal à passer auprès des associations de citoyens, d’autant plus que la concertation avec les habitants est inexistante et que le coût pour le contribuable parisien va s’élever à plus de 80 millions d’euros. Le projet est sur les rails et ses opposants ont bien du mal à se faire entendre et à exister...

« Nous sommes favorables au développement de la vidéosurveillance, dans le respect strict des libertés individuelles. Nous avons d’ailleurs accepté que la Ville de Paris participe au “plan des 1000 caméras” proposé par le Préfet de police. Nous étudierons par ailleurs la possibilité d’installer de tels dispositifs dans certains jardins publics ou équipements municipaux, sur la base des statistiques de la délinquance. » On pouvait lire cette déclaration dans le programme de Bertrand Delanoë lors des dernières élections municipales. Avec 1226 caméras installées dans les rues de Paris d’ici 2011, le maire de Paris a plus que tenu sa promesse électorale. Ces caméras s’ajouteront aux 120 de la préfecture déjà présentes sur la voie publique, aux 120 caméras embarquées dans des véhicules et hélicoptères de police, aux 9 500 de la RATP et la SNCF, aux 206 de la mairie de Paris et aux 114 du parc des Princes. Sans compter les dispositifs de surveillance installés dans les entreprises, les établissements scolaires, les lieux d’habitations individuels et collectifs, les parkings et les magasins.

Placées dans des bulles de plastique, les caméras seront suspendues à une dizaine de mètres du sol. Véritables couteaux suisses de la sécurité, leurs missions seront de gérer la circulation, de maintenir l’ordre public, de lutter contre la délinquance, de faciliter les interventions de secours et de lutter contre le terrorisme.

Avec 93 caméras, le 18e arrondissement décroche la timbale, devant les 16e et 12e arrondissements qui en auront chacun 83. Dans le 18e, le secteur très populaire de Goutte d’Or-Château-Rouge avec ses dix-neuf caméras arrive apparemment en tête des préoccupations de la préfecture. En guise de comparaison, le 2e arrondissement en totalise seulement 25. Beaucoup s’inquiètent déjà de ce quadrillage « Il y en a tellement dans la Goutte d’Or, qu’on se demande si elles ne vont pas servir à repérer les itinéraires des sans-papiers. Comment vont-ils faire pour emmener leurs gosses à l’école ou pour faire leurs courses sans avoir peur de se faire ramasser par la police ? », s’inquiète une habitante du quartier.

Aucune étude sérieuse

Un certain nombre d’associations telle la Ligue des Droits de l’Homme et de partis politiques (Parti communiste, Verts, Parti de gauche et NPA) demandent le gel de ce projet afin qu’une large concertation soit organisée auprès des habitants, des associations et des représentants des conseils de quartiers. D’autant qu’aucune étude sérieuse prouvant l’efficacité de la vidéosurveillance n’existe en France. « Un rapport du ministère de l’Intérieur montre que la vidéosurveillance n’entraîne pas de baisse significative des chiffres de la délinquance : l’impact des caméras est faible, jamais durable et vite contourné. En Angleterre, pays champion en la matière, la vidéosurveillance n’a pas empêché les attentats et n’a pas davantage conduit à une baisse des crimes et délits mais à leur déplacement », critiquent les pourfendeurs du projet.

Déjà en 2005, Philippe Melchior, un inspecteur général de l’administration que l’on ne peut guère soupçonner de gauchisme, indiquait dans un rapport remis au ministère de l’Intérieur : « Tout se passe comme si l’installation de caméras avait pour but principal de donner une réponse visible à des protestations. Elle permet au maître d’ouvrage de communiquer sur les moyens mis en œuvre ou les résultats obtenus à très court terme, sans analyse d’ensemble du problème posé et de la réponse apportée. L’inauguration d’un réseau de 30 caméras couvrant un quartier agité, puis un mur d’images devant lequel se relaie un contingent d’opérateurs plus ou moins fourni et compétent, tient lieu de politique de sécurité avant-gardiste. » [1]

Combien ça coûte ?

Michel Gaudin, préfet de police « avant-gardiste » de Paris est venu expliquer aux élus de la capitale les raisons d’un tel déploiement technologique : « La mission fondamentale de notre service public, c’est de garantir à tous un égal accès à l’espace public dans des conditions de sécurité », a-t-il dit avant d’ajouter que tous les citoyens avaient besoin d’être protégés. Il est extrêmement difficile de savoir combien coûtera aux contribuables ce « besoin de protection des citoyens ». Les sommes passent du simple au double pour la fourniture et la pose des caméras. 40 millions d’euros ont d’abord été annoncés puis 60 pour enfin arriver à 85 (soit 70 000 euros par caméras). Quant au loyer que la préfecture versera aux entreprises attributaires du marché, il oscille de 6 à 8 millions par an pendant 17 ans. Le contribuable ne serait donc pas à deux millions d’euros près chaque année lorsqu’il s’agit de sa sécurité...

Contrairement à beaucoup d’autres projets d’aménagement (équipements publics, voirie), la concertation s’est faite a minima, c’est-à-dire entre la préfecture et les élus, et n’a pas porté sur le principe de l’installation des caméras mais sur leur localisation. Daniel Vaillant, ancien ministre de l’Intérieur du gouvernement Jospin et maire PS du 18e arrondissement assume totalement la pose des caméras : « Ce projet était clairement inscrit dans le programme que j’ai porté lors des élections municipales. J’ai néanmoins écris au préfet pour demander l’anonymat des publics précaires (sans-papiers, toxicomanes et SDF) et des lieux qu’ils fréquentent (Point d’accès au droit, foyer de SDF ou centre sociaux). J’ai donc signalé six implantations pour lesquelles la mairie émet des réserves. »

De la vidéosurveillance à la "vidéotranquillité"

Dans le cadre d’un forum intitulé « Vos libertés, votre sécurité : parlons-en ensemble » [2], la préfecture a souhaité dialoguer avec les habitants sur la sécurité en général, dont la vidéosurveillance (appelée « vidéoprotection » par les services de l’État et « vidéotranquilité » par l’UMP). Quatre réunions ont été programmées à Paris. La première s’est tenue le 14 avril dans le 15e arrondissement, la deuxième le 29 avril dans le 18e. Les deux suivantes auront lieu les 12 et 14 mai, respectivement dans les mairies du 20e et du 17e.

Police partout, gauchistes nulle part

À défaut de réelle concertation avec les habitants, ces réunions sont de rares occasions de pouvoir interpeller les élus et la préfecture de police sur la vidéosurveillance. Mais si l’on se tient à la réunion du 29 avril, les adversaires des caméras ont de quoi être inquiets. Il faut dire que le terrain était bien préparé : la plupart des associations conviées à ce grand moment de dialogue n’ont été prévenues que quelques jours avant. La population qui s’est largement déplacée à la mairie du 18e était pratiquement entièrement acquise à la « vidéoprotection ». Le représentant de la Ligue des Droits de l’Homme [3] ainsi qu’un élu vert qui souhaitaient exprimer leur désaccord ont terminé leurs interventions sous les huées du public. Si la préfecture de police avait souhaité prendre le pouls de la population parisienne sur la question, elle aura été largement confortée dans son projet.

Mais où étaient les personnes qui militent contre l’installation de caméras et qui font autant de buzz sur internet ? Elles étaient entre elles, dans le 2e arrondissement, réunies pour organiser la « résistance » à l’invitation du Collectif Démocratie et Libertés [4]. Après avoir défilé le 1er mai, le Collectif participera au « briefing autour de la carte de la Préfecture de police de Paris sur le plan 1000 caméras » organisé par le Festival des résistances et des alternatives à Paris, dimanche 10 mai. Quoi qu’il ressorte de ce « dialogue » organisé par le ministère de l’Intérieur, ces réunions publiques sont malgré tout un lieu à investir pour mener la lutte contre ce projet…

Big Brother et prix Orwell

Voulant éviter d’être perçue comme un « Big brother », la préfecture a élaboré une « charte » encadrant l’usage de la vidéosurveillance. Un comité d’éthique composé de personnalités nommées à parité par le préfet et le maire de Paris veillera sur l’application de plusieurs règles strictes destinées au respect de la vie privée : concertation avec les élus pour la mise en place des caméras, interdiction de la visualisation des intérieurs de logements et d’immeubles, signalisation claire pour le public, habilitation des agents autorisés à utiliser la vidéosureillance. Mais ils seront tout de même 2500 à pouvoir accéder au système de façon non simultanée sur environ 300 postes de connexion. Selon l’appel d’offres concernant le plan 1000 caméras, publié le 11 avril, les images seront stockées pendant 15 jours minimum. Le réseau devra permettre l’interconnexion d’une trentaine de systèmes de vidéoprotection partenaires publics et privés. Toute cette « transparence » en laisse plus d’un dubitatif, à l’instar d’Alex Türk président de la commission nationale informatique et libertés (CNIL) qui regrette sa mise à l’écart. La Cnil ne siégera pas à ce comité.

De leur côté, les Big Brother Awards France qui décernent depuis l’an 2000 des prix Orwell aux personnes qui se sont illustrées en matière de promotion de la surveillance, d’atteintes aux libertés ou à la vie privée, ont clairement désigné le risque en décorant Bertrand Delanoë et Christophe Caresche, son ancien adjoint à la sécurité. Ils sont tous les deux lauréats du Prix Orwell-Localités, « pour avoir succombé aux sirènes de la vidéosurveillance, faisant allégeance à la surenchère sécuritaire du gouvernement, faisant fi des études démontrant son inefficacité ». De son côté, Michèle Alliot-Marie, a été distinguée pour l’ensemble de son œuvre et « pour avoir augmenté le nombre de fichiers policiers de 70% en seulement trois ans, pour sa « novlangue » en matière de promotion de la vidéosurveillance, et de fabrication d’un « ennemi intérieur » ».

Nadia Djabali

Notes

[1Cité dans La frénésie sécuritaire, retour à l’ordre et nouveau contrôle social, sous la direction de Laurent Mucchielli, La Découverte.

[2Le site internet de la préfecture de police indique que « Michèle Alliot-Marie a souhaité l’ouverture d’un dialogue entre les Français et les représentants des forces de l’ordre sur les thèmes des libertés et de la sécurité des citoyens. Ouverts à tous les publics, les forums « Vos libertés, votre sécurité : parlons-en ensemble » sont l’occasion d’expliquer les méthodes et les actions des forces de l’ordre, de répondre aux interrogations et d’échanger autour des besoins de la population. Leurs conclusions feront l’objet d’une restitution lors d’assises nationales le 15 juin. »

[3Le congrès national de la Ligue des Droits de l’Homme sera consacré au thème de la vidéosurveillance. Il se tiendra du 30 mai et 1er juin prochains au Creusot (71).

[4Le Collectif Démocratie et Libertés est composé de nombreuses associations et organisations dont Act up-Paris, Association pour l’Estampe et l’Art Populaire (20e), ATTAC (12e), Collectif de Vigilance pour les droits des étrangers/ RESF (12e), Comité Métallos (11e), Femmes Solidaires, Fondation Copernic, Initiatives Pour un Autre Monde, Ligue des Droits de l’Homme-Fédération de Paris, la Commune Libre d’Aligre (12e), La Coopérative (café culturel équitable, 18e), le Moulin à café (café associatif, 14e), les Amis de Tolbiac / le Barbizon 13e, les Verts (Paris), l’Ogresse-théâtre de marionnette (20e), Nouveau Parti Anticapitaliste (Paris), Parti de Gauche (12e), PCF (Paris), Souriez vous êtes filmés, SUD-PTT (12e), Union Syndicale Solidaires Paris, Urbanisme et démocratie (association de quartier 14e)