Agriculture de demain

Notre-Dame-des-Landes : paysans et occupants mènent leur propre opération d’utilité publique

Agriculture de demain

par Nolwenn Weiler, Sophie Chapelle

C’est une foule armée d’outils agricoles qui a envahi la « zone à défendre » de Notre-Dame-des-Landes ce 13 avril. Objectif : cultiver et expérimenter là où l’État, une majorité d’élus locaux et le groupe Vinci veulent bétonner. Symbole de l’alliance entre les paysans et les occupants, l’opération « sème ta ZAD » marque une nouvelle étape dans les projets d’autonomie alimentaire et de pratiques écologiques portés par les opposants à l’aéroport. Des expérimentations agricoles qui visent à répondre aux défis climatiques et énergétiques. Tout le contraire du futur aéroport.

La ferme de Bellevue est encore debout. Située au cœur de la « zone à défendre » (ZAD) de Notre-Dame-des-Landes, elle aurait dû être rasée à la fin du mois de janvier. « Nous avons guetté le départ du paysan, pour que les bulldozers n’aient pas le temps d’arriver, témoigne Juliette, une retraitée qui vit temporairement sur place. Quand il a fermé la porte, nous avons investi les lieux. » Pour décourager les forces de police, une chaîne de tracteurs a été formée autour de ce lieu de résistance au projet d’aéroport.

Selon le calendrier de ses promoteurs, le nouvel aéroport doit entrer en service en 2017. Dans quatre ans, à la place de la somptueuse allée d’arbres centenaires qui mène à Bellevue, des plaques de bitume et le bruit assourdissant des gros porteurs. Car la ferme est située au bord de la future piste Nord. Les voyageurs pourront cependant continuer d’admirer un aperçu du peu qui restera de ces 2 000 hectares de bocages riches en biodiversité : grâce à un « musée du bocage » intégré au projet, ou aux haies artificielles qui tenteront de reproduire sa géographie oubliée entre les places des parkings géants gérés par Vinci.

Légumes ou bitume ?

Pour le moment, haies naturelles, bosquets non virtuels et chemins avec de la vraie boue sont encore là, autour de la ferme. Grâce à la garde constante des occupants de la ZAD. « Il y a des tours de garde, jour et nuit, pour que le lieu ne soit jamais vide », détaille Juliette. Ce midi, une dizaine de personnes revenues des travaux de maraîchage, des fours à pain, ou d’un chantier de construction d’une maison en bois s’attableront dans la cuisine, comme tous les jours, ou presque, dégustant des plats en partie issus de la production locale. « C’est important et agréable de bien manger quand on travaille dehors toute la journée », sourit Juliette. Dans quatre ans, les voyageurs qui avaleront un plat cuisiné industriel ou une viennoiserie décongelée dans les espaces restauration de la zone d’embarquement auront peut-être une pensée émue teintée de mélancolie pour la manière alternative dont on voulait vivre, ici.

La ZAD aujourd’hui :

Bastamag

La ZAD vue par Vinci et l’État :

Car ce 13 avril, les opposants à l’aéroport mènent une journée « Sème ta ZAD » : une opération collective de mise en culture des terres que Vinci et l’État prévoient de bétonner. Après la grande manifestation de reconstruction de cabanes du 17 novembre 2012, qui a rassemblé près de 40 000 personnes, place donc au travail de la terre. Une mise en culture brandie comme un acte de résistance au projet de bétonnage. Et comme une alternative de société. « Cultiver la terre, collectivement, c’est proposer un autre monde que celui du développement infini, de la croissance, de la sur-consommation que symbolise l’aéroport », témoigne une Camille (nom collectif des occupants à Notre-Dame-des-Landes). Les averses intermittentes et insistantes ont rendu les semailles prévues impossibles. Mais les chantiers de préparation ont animé les champs et chemins de la ZAD tout au long de la journée et occupé entre 2 000 et 3 000 personnes. Certains érigent des petites buttes de terre, avant de planter, une pratique issue des expériences d’agroécologie. D’autres montent des serres.

Ce n’est pas la première fois que les riverains de la ZAD voient défiler une foule armée d’outils agricoles. En mai 2011 déjà, un solide cortège s’était ébranlé en direction du lieu-dit Le Sabot. Pour défricher, labourer, et planter de quoi subsister. « C’était un moment très fort, se souvient Marie, une voisine de la ZAD. Être simplement là, tous ensemble, à construire, cela noue des liens. Et puis on travaille à se nourrir. Cela a beaucoup de sens. » C’est autour du Sabot que se sont tissés les premiers liens entre paysans et occupants. C’est aussi là que les forces de l’ordre se sont acharnées, en octobre dernier, en saccageant les potagers. Mal leur en a pris. Elles ont rendu les amitiés plus solides, entre paysans et occupants, entre générations, cultures d’engagement et histoires de vies différentes.

La ZAD, un champ d’expérimentation

« Sème ta ZAD, c’est un processus, qui prolonge ces rencontres et les assemblées paysannes qui ont eu lieu tout l’hiver », explique Raoul, qui vit sur place depuis plusieurs mois. « C’est vraiment le symbole de l’alliance entre les occupants et les paysans », poursuit Juliette. « Il y a une convergence de luttes : pour d’autres modes de vie et de travail, et contre la spoliation des terres agricoles. Il y a des échanges très forts entre nous. Et entre gens de diverses générations. Ce n’est pas possible de réduire ce qui se passe ici à un conflit entre tenants de barricades et forces de l’ordre. »

« Ils nous ont apporté des fèves, en nous expliquant comment les cuisiner. Nous avons travaillé le sol, pour pouvoir les semer », illustre Cyril, un agriculteur installé non loin de Notre-Dame-des-Landes. « Les collectifs de la ZAD préfèrent les productions bio, avec une vision de la consommation très intéressante. Dans laquelle on réfléchit à ne pas gaspiller. Et où l’on diminue les protéines animales, pour aller vers des protéines végétales. Avec la crise énergétique actuelle, nous n’aurons pas le choix que de modifier nos comportements. La ZAD est pour cela un champ d’expérimentation très intéressant. »

Pour 2017, Vinci envisage la création d’une Amap (Association de maintien de l’agriculture paysanne) pour que les personnels travaillant à l’aéroport puissent s’approvisionner en produits locaux et bio. « Dégagé du souci de rendement et de vente, le producteur recherche la satisfaction des consommateurs en privilégiant les variétés végétales – ou races animales – du terroir ou anciennes reconnues pour leur qualité gustative », expliquait le géant du BTP dans une annexe de son projet de contrat de concession. Exactement ce que souhaitent faire paysans et occupants des 2 000 hectares de la ZAD, que la multinationale attend de voir vidée de ses occupants pour entamer les travaux. Mais les produits ne proviendront plus du bocage recouvert de béton. Bagagistes, hôtesses et agents de l’aéroport pourront toujours se souvenir de la manière dont on produit légumes et fruits grâce à l’« espace de déambulation et propice à l’attente bénéficiant d’un point de vue sur les jardins botaniques », que prévoit Vinci dans la zone d’embarquement.

Une occupation d’utilité publique ?

Celles et ceux qui s’investissent dans la ZAD pensent déjà à l’avenir, sans aéroport. « Nous continuons à occuper mais nous souhaitons anticiper les questions qui se poseront après l’abandon du projet d’aéroport. Pour que cet endroit ne se retrouve pas sans rien du jour au lendemain. Avec l’invasion de projets agricoles intensifs contre lesquels on se bat aussi. Parce qu’ils vont à l’encontre de l’autonomie des paysans, et du respect de la terre. » Les projets agricoles à petite échelle, qui puissent donner du travail à tous, sont donc privilégiés. Ce qui correspond à ce que défendent les organisations professionnelles réunies au sein du « Copain » (Collectif d’organisations professionnelles agricoles indignées par le projet d’aéroport).

Les rêves semés sur la ZAD sont incompatibles avec les récentes conclusions du volet agricole de la commission du dialogue. Nommée par le Premier ministre Jean-Marc Ayrault pour rediscuter de l’utilité du projet, et proposer des modifications à la marge, cette commission reconnait le manque de sérieux des prévisions de compensation pour les agriculteurs. Elle suggère que 8 à 17 hectares supplémentaires ne soient pas enfouies sous le béton. Problème pour le concessionnaire : cela signifierait rogner sur les parkings, l’un des pilier de la rentabilité financière du projet.

L’assiette de 2050 testée à Notre-Dame-des-Landes

Les réflexions menées dans la ZAD font écho à une autre vision du développement. Celle d’un scénario agricole, moins consommateur d’énergie et moins émetteur de gaz à effet de serre, « basé sur une transition alimentaire visant à inverser le rapport entre protéines animales et végétales dans notre alimentation, ainsi qu’à limiter les gaspillages. » Ce scénario, élaboré par l’association Solagro et baptisé Afterres 2050, propose une autre utilisation des terres d’ici 2050, un usage qui puisse répondre aux défis de demain : nourrir la France malgré les contraintes énergétiques sans aggraver la menace climatique. « Notre assiette en 2050 sera plus riche en céréales, fruits, légumes, coques (noix, amandes). Elle contiendra deux fois moins de lait et de viande », détaille l’association Virage Énergie-Climat qui décline localement ce scénario.

Et c’est bien dans cette perspective que s’inscrivent les expérimentations menées à Notre-Dame-des-Landes. L’assiette que l’on sert déjà dans les cabanes et fermes occupées de la ZAD ressemble à s’y méprendre à celle prônée par les promoteurs d’une autre agriculture, et illustre très concrètement le changement. Bref, une toute autre ambition que celle de répondre à une hypothétique hausse du trafic passagers de l’aéroport de Nantes. Lequel de ces deux projets peut-il se réclamer de la plus grande utilité publique ?

Texte : Nolwenn Weiler, avec Ivan du Roy

Vidéo : Sophie Chapelle

 Photos : Basta!
 Vue parking : Vinci